Cimes en abîmes : La Lune d’Espiau (1/2)

Jean Figerou, août 2007

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Elle a beaucoup pleuré, elle ne pleurera pas longtemps. Elle a tant et tant pleuré qu’elle ne pourra pas pleurer longtemps. Elle n’aura plus de larmes. C’est pas que je sois mauvaise langue mais quand on éclate en gros gros chagrin au début, après on n’a plus de chagrin parce que tout le chagrin a coulé d’un seul coup dans le grand éclatement de douleur du début si bien qu’après il n’y a plus de chagrin. C’est comme les pleureuses qui pleurent avec tellement d’intensité et de force que peu à peu le chagrin s’évanouit. Ça dégage le chagrin et le chagrin s’épuise et cesse. C’est ça. On est vide. Et comme ça on peut refaire sa vie. C’est bien fait la vie, enfin la mort parce que dans ce cas-là il s’agit de la mort plus que de la vie. Non c’est bien d’évacuer sa peine tout au début début parce qu’après on a de la place pour vivre, enfin pour survivre. Elle peut refaire sa vie plus facile comme ça. C’est sûr. C’est assez bien fait la survie dans le malheur. Ça décongestionne la douleur le chagrin, ç’a du bon, c’est thérapeutique en fait.

Mais en sus du plus il y a eu malheurs. Et gros malheurs répétés, réitérés même. Oyaillllhe ! Parce que, à collectionner les bévues ils ont accru le malheur ces tarés des pompes funèbres du funérarium. Ç’a été désordre toute l’après-midi la veille de la cérémonie. Un cauchemar calvaire qu’ils lui ont fait endurer ces cons ! D’abord ils se sont trompés de prénom. Si ! Si ! Des brutes ! Au lieu de graver Aventin, ils ont gravé Lucien, putain ! De quoi que ça avait l’air d’avoir l’air ? Putain ! Parce que Lucien c’est le prénom de son sien frère qui a été emporté par les évènements d’Algérie, il avait pas 25 ans. Ils meurent jeunes dans la famille. Ça faisait double deuil et double peine avec ces deux morts. Alors pour redoubler la douleur ils pouvaient pas faire pire. C’est des excavassés de crevasses écervelées ces de la pompe funèbre. Double peine et triple malheur ils nous ont offert ces cons patentés !

Vous parlez d’un plaisir, vu son état c’était surinhumain. Elle a dû revenir faire changer le prénom mais après ces choux-fleurs se sont trompés de date. Oui ! Oui ! Putain. Elle a dû y revenir. Oui. Elle a dû y rerevenir. Ça vous triple les soucis et vous dilate la rate en révolte, vous comprenez des erreurs pareilles. Mais comment ça se peut se faire ce peut ça ? Qu’ils prennent des illettrés aux pompes funèbres pour écrire sur les cercueils quand même de quoi que ça a l’air ? Ils ont confondu la date de naissance ces analphabètes de l’intelligence ! Ils l’ont tué en 38 au lieu de 39. C’était vraiment pas la peine de le vieillir. Ils avaient une dent contre lui ? C’est à croire ? C’est à croire ? Vraiment. Des imbéciles malheureux que ces drôles. Qu’elle a dû y revenir une deuxième fois au funérarium pour faire changer la date. Vous vous rendez compte ? Non mais quelle incompétence ! Quelle incompétence ! Que le chagrin il était déjà intense à son maximum en pleine pression alors à l’annonce de la seconde connerie ça lui a nonuplé la peine. Putain ! On aurait dû les pendre. Y a rien qui fait plus de mal que la bêtise et la connerie ! Si seulement ils avaient fait exprès, on aurait pu leur casser la gueule. Ça aurait fait moins mal je crois. Oui. Sûrement. Sûrement ! Des abrutis du cercueil que ces charognards de la mort !



« Ça me déchire encore. Tu me manques déjà. Je ne pourrai pas vivre sans toi. » Et c’était des je t’aime et des je t’aime au cadavre, que j’en étais dans le malaise. Des je t’aime et des je t’aime sans fin sur le macchabée tout barbouillé de ses larmes. Ouiouillhhe ouilljhhe ! Ohyaillhe ! Tous ces baisers cadavres, mon Dieu, mon Dieu ! C’en était indécent. Tant de bonté, tant d’amour ça en devient malsain à force d’une certaine manière. Ça gêne, c’est ça, ça gêne. Surtout pour les autres, les témoins, ceux qui se tiennent au bord de la scène. Comme moi. Qui ne suis que le beau-frère malgré tout et encore assez éloigné. Mais elle chialait tellement sa peine que quand même elle faisait bécasse. À être toute enlaidie de malheur comme ça.



Il est tombé aux moutons sur la montagne d’Espiau. C’était un jour de lune grasse, je me le suis méfié aussi. Je me la suis regardée avec crainte. Lune obèse, jour mal à l’aise. Il était à pâture comme tous les jours. La veille était monté l’orage, peut-être que ça l’avait énervé. Les bêtes sont fragiles les jours d’orage et la foudre lui en avait encore emporté quatre. C’était malaise, malaise partout, malaise dans le temps et malaise en son cœur. Putain ! Parce qu’au train où allaient les choses, il n’aurait plus de bêtes avant la fin de l’été ! Putain ! Si la foudre continue à lui griller les bêtes sur pied ! De toute façon ç’a plus importance grande, maintenant qu’il est parti le troupeau il n’en a rien à foutre. Le berger c’est pas avec le troupeau qu’il monte au ciel, c’est avec les talents comme il dit le curé dans l’Évangile. Si c’est pas malheur ça ! Toutes ces brebis égarées par la foudre. Ah ils ont pas vraiment la chance ! C’est sûr qu’avec une lune dans cet état on peut que lever le drame. Tout était bas dans la vallée et pas seulement le plafond du ciel. Le jour de son enterrement il pleuvait averse à chialer, il pleuvait en inondation. Le ciel participait du deuil en déluge. Il était très aimé de tous et de tout.

Et je la vois et je la vois en loques, d’âme elle était ma belle-sœur. Je la vois encore chialer à ruine. Que c’était pas supportable, énorme. Une catastrophe de pleurs. Elle n’arrêtait pas de se répandre et de s’épandre sur le cadavre que je n’en pouvais plus. Il était vert d’être jaune le défunt et tout glacé de mort, luisant de mort couleur de ver blanc et elle l’embrassait et le serrait tout glacé sans le moindre dégoût, la plus petite répulsion. Que de l’amour. Que c’en était dégoûtant à force d’être touchant. « Tu me manques déjà, tu aurais pas dû partir, qu’est-ce que je vais devenir sans toi, méchant ! Ne m’abandonne pas, ne m’abandonne pas, elle gémissait. Il était toute ma vie, je suis morte sans lui, autant mourir, il me vide de toute ma vie », elle n’arrêtait pas de geindre sans fin à rabâcher à se donner la migraine. Elle se répandait de larmes et de chairs sur le cercueil ouvert sur le corps de son mari qu’elle n’arrêtait pas d’embrasser de pleurs à bouche que veux-tu, à la lui en tordre la chair au bougre. « Pars pas, pars pas si tôt, pas encore, pars pas de si tôt ! C’est pas juste ! » Qu’elle geignait. Même le ciel en était ému, qu’il pleuvait des sonnailles !

Que c’en était même dégueulasse et plus que gênant cette pauvre femme qui n’en finissait pas d’embrasser cette chair vomie toute avariée de livide que ça soulevait le cœur et elle de le bégoter en grand comme quand on fait l’amour. Elle le copulait de la gueule, le goulot insatiable, comme si à lui donner son souffle, elle allait lui redonner souffle, lui communiquer sa vie et le faire revivre. Elle croyait qu’à force de baiser et de cajoler son corps mort, elle allait ranimer sa chair. C’est ça qu’elle faisait, l’amour avec un mort, l’amour en symbole. Mais la pauvre, c’était que symbole. Il était bien mort, de mort morte. Ça l’a pas ressuscité. D’ailleurs il a toujours été paresseux de toute façon.



Ça avait été homériquement épique. Il avait fallu descendre jusqu’à la ville, jusqu’à Luchon pour acheter un appareil photo pour garder un dernier souvenir du mari, pour se venger un peu de la mort en éternisant et lui faire un petit croche-pied en faisant une dernière ultime photo.

Et maintenant elle le massacrait de photos. « Je veux un souvenir, je veux un souvenir, je veux un souvenir, c’est tout ce qui me reste, je ne veux pas que la mort m’emporte tout », elle hurlait dans le funérarium échevelée de douleur en prenant des photos et des photos, éclaboussant de flashs le cadavre de son défunt. Et puis après il a fallu la prendre à côté de son mari. Et puis après il a fallu la prendre dans les bras de son mari. Enfin dans les bras, c’est manière de dire. Elle se tenait toute collée, pelotonnée-blottie la pauvre dans le sein du cadavre tout autour. Ohllala ! Qu’elle le pelotait à mille mains son cadavre de mari tout vert, tout glacé, que c’en était difficile à supporter. Ça devenait pénible pénible pour les témoins ! Enfin c’est comme ça. Qu’elle tenait sa tête glacée de mort entre ses petites mains. Ça faisait grande pitié à voir. Il était bleu d’être vert comme une toiture de mousse gelée de stalactites de neige en plein hiver de pluie. Que c’était pas supportable. Ça remuglait et elle elle l’embrassait comme s’il était tout neuf. Que voulez-vous, c’est ça le vrai amour, il ne connaît pas le dégoût !



Aussi, aussi, je l’avais remarqué. Elle a mauvaise mine la lune ces temps-ci. Je l’ai remarqué. Elle ne valait même pas moitié. C’est dire si elle portait peu de lumière. Elle était triste, c’est pour ça qu’il est mort. Elle portait masque funéraire la lune. Si. Il aurait pas dû monter, je le sentais. Il aurait pas dû aller à Espiau à l’estive. Mais comment faire ? Il aurait pas dû monter, je le savais. Mais… ? Mais… ? C’est son métier, comment l’éviter ? Les moutons c’est sa matière. L’estive c’est sa vie.

Bon, c’est pas tout ça de s’occuper des morts, va falloir aller à récolte et vivre des vivants ! On peut pas remugler sans fin. Ça serait pas sain. Faut pas la laisser se complaire à jouer les Maria Dolorosa. Va falloir planter pendant que la lune décroît. Dès qu’elle aura moins mauvais caractère je plante. Trois jours après l’enterrement ce sera bon. Il faut bien trois jours pour que la terre se refasse du malheur mais quatre jours ce serait trop, elle l’oublierait. Non trois c’est bonne dose pour planter le radis. Et le dahlia on le plantera à huitaine. Voilà ! Voilà ! La terre c’est comme la vie, ça va, ça vient, ça meurt, ça renaît, c’est comme les hommes. Hein ? Hé si ! Ils renaissent dans leurs fils, comme la terre renaît dans ses fruits. Hé oui ! Le paysan ça il le sait de sang. Mais… c’est criminel, on n’ose pas le dire. Et pourtant c’est vrai. Si c’est vrai. C’est ainsi, on n’y peut rien, autant en profiter. Bon ! Y a pas à le claironner sur tous les toits mais on fait en fonction. Parce que la terre est plus fertile après un mort. Oui, c’est comme un sacrifice qu’on fait à la terre, comme l’offrande qu’on faisait autrefois d’autrefois, au temps d’avant Dieu, enfin avant Dieu Jésus. Et la terre est contente d’être honorée et elle est plus fertile après qu’on lui ait offert un mort. C’est un peu monstrueux mais c’est comme ça. Alors autant en profiter ! Hé oui ! Enfin bon ! De toute façon il est mort, on l’a pas tué, alors tant qu’à faire autant qu’il rende service. Ça fait une trace. Et puis ça fait un souvenir dans les fruits que l’on recueille et que l’on communie. Elle est nécrophage la terre. Y en a des qui disent même que la lune aussi est nécrophage. Je ne l’ai pas expérimenté mais ça ne m’étonnerait pas. Non ! Et puis quand je mangerai un radis à la saison de la cueillette, ça sera un peu lui. Je communierai de lui. Que l’engrais qui a nourri l’humus de sa décomposition c’est un peu de sa chair ? Hé oui ! C’est pas anthropophage. Mais enfin si dans un sens. C’est chrétien et communion, on s’alimente de sa substantifique moelle. Il n’en sera que meilleur le radis ! Enfin faudrait pas m’en souvenir trop de lui ce jour-là, ça m’affadirait le goût. Parce que manger les morts on n’a pas l’habitude. On n’est pas nécrophage de l’espèce nous autres les hommes. Enfin en principe. Enfin pas directement. Juste que ça arrive défois par nécessité absolue ou par cataclysme et calamités extrêmes de famines ou de guerres et des choses pareilles qui ne sont pas à souhaiter à voir ! Non ! Non ! Attends ! Que c’est déjà assez pénible de prendre en charge le deuil du beau-frère que l’on va pas subir en sus toute la douleur du monde aujourd’hui, non ! Hé non ! On est bon mais pas couilllon ! Hé non ! J’ai pas envie de m’éjaculer de moi-même moi aussi !



« On est rien, on est rien. On n’est rien vraiment. On est vraiment si peu de chose. C’est… bouhhhh ! Si peu de chose ! Si peu… Si… On n’est que de la bouffe à la terre, même pas que de l’engrais à la terre, c’est tout. Oui. On est de la sève à radis et du nectar à soucis. Je suis funeste. J’ai une vie rongée par le vide. J’avais pas une vie reluisante avant déjà, elle chevauchait d’inutilité mais là c’est l’étale de basse mer par grande maligne d’équinoxe ! J’ai toujours eu une vie pâle mais là sans lui elle est livide. Je ne demande pas grand-chose, je suis pas exigeante, je suis née pauvre, je suis une fille de la misère, je n’ai jamais eu le cul en dentelles et le râtelier dans la gueule ! Je suis du peuple moi, je trempe mon pain dans mon bol de café au lait le matin, je ne suis pas du genre à grignoter un toast à côté de la tasse le petit doigt dressé à gigoter. Alors pourquoi qu’ils me l’ont pris mon mari ? Pourquoi ? En pleine sève ? Alors qu’il y a tant de vieux qui ne demandent que ça qu’on les délivre ? Hein ? Que ça les soulagerait. » Elle n’en finit pas de hululer sa plainte qui croît à la lune pleine. Elle colle à la douleur comme une chaînette de pied love sa cheville. Et quand je l’entends chier sa peine, ça me met en ménopause. Je suis prostré de la prostate. J’en ai la tête au carré jusqu’à la racine ! Ohlala ! Elle pleure, elle pleure, elle pleure comme coule la rivière, remarquez c’est son rôle, c’est l’épouse. Mais moi je suis un homme si je le pleurais c’est comme si elle elle jouait aux boules. Et d’une certaine manière c’est plus difficile de vivre l’œil sec. C’est plus dur. On n’a aucune larme pour huiler sa peine et l’apaiser. C’est plus profonde misère. Il faut avoir les dents bien implantées pour vivre ça planté tout droit comme un mélèze sans avoir aucune branche à qui se retenir pour soulager sa douleur. C’est misère la vie pour les hommes trop hommes. Ça se paie bien cher de vivre le panache dressé et tige haute. Oui, vraiment ! Parfois, pas souvent, mais parfois, je regrette de ne pas être une femme. De pas pouvoir me soulager. De…

La mort ça vous prend toute votre vie pour toujours, y a pas de retour. Non, je veux dire, ça rend enceinte votre mémoire et vous accouchez de cette mort en permanence pour toujours attablé dans votre souffrance. C’est ça la mémoire. La mémoire c’est la terre de la souffrance. De la souffrance sans fin. Et elle qui pleure comme il pleut en Écosse ou au Bengladesh pendant la mousson. Boudouhhh ! Ça vous arrache des cris de silence qui vous déchirent la vésicule en miettes de marécage que de l’entendre broyer son noir.

Et lui qu’il est mort comme ça sans raison, au plein de l’âge ! 67 ans. C’est rien. Si seulement on lui avait fait avaler la plante à succession ! Hein ! Vous connaissez pas ? La plante à succession ? C’est la digitale. Oui. On l’appelle comme ça parce qu’elle est tellement toxique que si vous en ingurgitez, elle vous arrête le cardiaque. Oui. Elle vous livre mort. C’est pour ça qu’on l’appelle la plante à succession. Elle vous amène directement chez le croquemort pendant qu’elle trimbale rapide votre famille chez le notaire. Oui. C’est toujours à issue fatale la digitale. Ça ouvre directement la succession. Oui, oui.



« Pour moi il est pas mort. Non il est pas mort. Il ne peut pas mourir. Il ne peut pas me faire ça. » C’était à vous fendre l’âme que de l’entendre. « Je ne veux pas que tu meures. Tu n’es pas mort. Reviens, reviens ! Ne fais pas ton égoïste, pense à moi, ne meurs pas ! Reviens vite ! Ça suffit ! Ne me laisse pas toute seule ! » elle hurlait. Ils ont dû l’attacher. « Pourquoi tu es parti vilain, reviens ! » Et ça n’en finissait pas d’agonir de lamentations. « Boutdedieu ! Je t’aime, je t’aime, mon petit cadavre, je t’adore. Ne me quitte pas ! Je t’interdis ! » Et ça durait et ça durait. Elle jouait des baguettes de tambour avec ses jambes tellement elle tremblait. Elle était hors d’elle. Oui, littéralement, hors d’elle, de douleur. Elle vivait carrément dans les pommes tant elle saignait de l’âme. Ça geignait de partout. Elle était aussi livide que lui, si c’est pas plus, par mimétisme amoureux sans doute. C’était plus une femme, c’était un linge ! Un linge, que dis-je, un torchon. Un tissu de pleurs, tout tordu de contorsions. Que vous étiez malade rien que de la regarder. Qu’on avait même peur qu’elle se tue, qu’elle meure à son tour rien qu’à la voir. Elle vivait suicidée. On voyait à travers elle tellement elle pleurait. On voyait à travers ses larmes. Déjà qu’elle n’était pas grosse alors il ne restait plus rien à vivre. Bouhhhh ! Tout était saignant dans sa tête. « Il n’y a pas d’âge pour mourir mais là c’est trop jeune, vraiment c’est trop jeune. » Et elle se déchirait à pleurer. « Ne me manque pas ! Sois gentil reviens, reviens ! Reviens ! Reste avec moi ! Je ne peux pas vivre sans toi, tu me manques trop ! » Et ça n’en finissait pas de se lamenter. Elle se déchirait de mots. « Tu veux ma mort c’est ça ? C’est ça ? »

C’est horriblement égoïste la mort quand on y pense. On ne pleure que sur soi à travers l’autre en fait. On ne pleure que sur soi. On est toujours égoïste de l’autre. Surtout dans la mort. J’avais jamais remarqué à ce point. Plus on se morfond de compassion à s’apitoyer sur l’autre plus on s’aime en fait. L’autre n’est que votre miroir. Votre reflet en lequel vous vous lisez. Oui, tiens, c’est la première fois que je me fais la remarque ! La douleur du deuil c’est sa mort qui se reflète dans la mort de l’autre. Enfin quelque chose comme ça. Oui.

Pschiiii ! La douleur c’est toujours les autres, surtout dans un couple mais là c’est la douleur absolue, quelqu’un qui vous quitte pour la mort, pour toujours mais lorsqu’en plus c’est votre aimé, c’est intolérable. Parce que c’est votre aimé qui vous inflige cette douleur en vous quittant pour toujours. C’est comme s’il vous était infidèle pour aller aimer la mort pour vous tuer un peu la vie. Quand votre époux meurt, la mort vous fait cocue. C’est vraiment désespérément désagréable la mort mais toujours elle advient, irrémédiable. Que c’en est une honte inacceptable. Être cocue de son mort elle ne supportait pas.



Non vraiment c’est jeune qu’il est parti ! Mais c’était prédestiné. Il est mort sur une montagne de mort. Il est mort à Espiau. Elle lui avait demandé de pas monter à Espiau que c’est la montagne de la mort. Mais comment faire ? Espiau c’est l’estive, et il est le berger du village, il est bien obligé d’y monter à l’estive, éh pardi ! Il a pas le choix Mais il faudrait aller faire pâture ailleurs pour la survie des vivants, c’est ça que je dis moi. Parce qu’Espiau elle est mortelle, elle porte le mal, oui ! Parce qu’Espiau c’est une montagne préchrétienne vouée à la mort. Si, si, il y a du paléolithique monolithique dans la montagne. Des œuvres de pierre ibères, des crèches celtes et d’avant même et d’avant avant même à ce qu’il paraît, qui sont des tombes au soleil. Dressées sur la courbe de la montagne à un retour de combe dodue au plein du soleil. Que déjà au tout début du monde ils enterraient les morts dans la terre au soleil sous des pierres dans des puits de terre. Parce qu’il y a plein de ces puits de terre et d’os, pleins de cromlechs dans la montagne avec des morts très anciens qui remontent à des 5000 ans à des tout début de la Bible. À des très anciens temps. Que même Dieu il était en train d’émerger du déluge en ce temps-là. Si, c’est écrit dans la Bible. On est même pas tout à fait sûr qu’il était né. C’est même un chanoine de Saint-Gaudens de la Collégiale qui est venu les déterrer les os au cromelèque question mauvaise œil. Ils ont fait venir un chanoine pour procéder liturgiquement aux fouilles. Et qu’il emporte le malheur avec lui après, qu’il ne reste pas à rôder après sur la montagne. Mais il a pas dû tout bien exorciser le mal. Il a dû lui en échapper un ou deux des génies du malheur, puisqu’il y est mort le beau-frère. Ohlala ! Ça fait plus de 5000 ans qu’il le guettait ! Plus de 5000 ans vous vous rendez compte si c’est ancien le malheur. Elle a raison la belle-sœur c’est dire si elle est maléfique cette montagne. Sur l’Espiau prend vite le taïaut, il dit bien le dicton du village. D’ailleurs rien que cette année il en a déjà perdu quatre de brebis au-dessus de la combe, c’est dire, c’est dire ! C’est malheur et maléfices cette montagne-là. C’est toujours malheur la montagne mais surtout cette montagne-là elle l’est en grand, c’est écrit dans ses pierres. Elles sont noires d’être trop blanches. Surtout à la lune mauvaise. D’ailleurs personne n’y monte à la lune mauvaise. Ça hallucine trop là-haut. Ça mugit en tourmente à grande frayeur, l’air est tout cousu de maléfices et de malices. Et la lune était mauvaise, ces temps-ci. Il aurait pas dû y aller. Elle le lui avait bien dit ! C’était sûr qu’il allait s’y faire peler la vie comme par une nuit d’orage.

Et même que c’est un cimetière très ancien. Et que dans les cimetières la mort ça rôde depuis toujours. Surtout dans les très, très anciens. Pensez, depuis le temps que la mort y a établi ses quartiers, elle connaît tous les lieux de l’horizon. C’est tout hanté là-bas. Surtout les nuits de lune glacée de mauvais ! Parce que la mort elle est païenne. Elle espère toujours que l’on va lui mettre dans le cromlèque un client, qu’on va lui jeter offrande dans un puits de pierres, qu’on va lui donner quelqu’un à dévorer. Elle s’illusionne depuis des millénaires, elle espère. Alors quand quelqu’un passe, elle prend son dû, elle ne se gêne pas. Elle est grand, grand danger, oh oui ! Oh oui !

Non la mort c’est pas permis. La mort comme ça, si jeune c’est pas permis. Non, il aurait pas dû Dieu. Non, c’est révolte la mort, ça révolte tout le monde, y a tout le village qui pleure. Il compatit, il a tellement peur que ça lui arrive, il projette et crie à l’injustice. Comme a dit l’instituteur Dieu parfois est injuste. Si ! Ça devrait pas être permis tant d’injustice. Comme elle disait. C’est pas juste. Pourquoi lui et pas un autre alors qu’il a pas encore vécu, il n’a même pas touché sa retraite comme certains. L’emporter dans la force de l’âge, Dieu est vraiment incorrect. Il aurait dû rappeler un ancien s’il se sentait seul. Prendre quelqu’un qui a bien vécu, bien fourni de vie et qui maintenant vit malade et souhaite en finir avec la vie. À qui ça rendrait service. Elle aurait mieux préféré la belle-sœur que ce soit un vieux qui meure. Le père du beau-père qui a 92 ans, elle a pensé. Il est presque centenaire déjà. Il en a bien profité de la vie ce grand égoïste. À chacun son tour, éhtèh ! Il a fait son temps quand même, il en a même abusé de son temps de vie. Alors ? Mais on ne peut pas faire un échange standard à ce qu’il paraît. Pourquoi c’est pas lui que la mort a emporté ? Hein ? Même que pour lui c’aurait été une délivrance. Mais c’est peut-être pour ça aussi que elle n’en a pas voulu la mort. Que c’était plus qu’un déchet le père au beau-père, on peut dire. Y a belle lurette qu’il aurait dû être parti s’il avait un peu de décence ce vieux ! 92 et même 93 on peut dire puisqu’il y va vers. C’est que ça fait plus de cinq fois maintenant qu’il a passé son tour. Il en abuse. Il fait trop de politesse pour être honnête. C’est à lui à y aller maintenant, il a qu’à y aller sans rechigner. Un peu de courage que diable.

Il s’incruste sans fin dans la vie alors qu’il a fait plus de deux fois son temps déjà ! Une vraie sangsue, il se cramponne à sa vie à en être égoïste de temps on peut dire. Oui. Il pourrait partir pour laisser la place à un plus jeune, un jeune de que 64 ans. Ne serait-ce que par civisme quand même ! C’est pas qu’elle lui souhaite la mort mais tout de même. Ça aurait été plus décent que ce soit le vieux déchet qui meure. On ne souhaite la mort de personne mais enfin. Ça serait mieux. Et plus logique et plus propre. En tous cas plus dans l’ordre des choses. Mais il veut pas le comprendre le pépé. Il veut pas se sacrifier. C’est connu, plus on vieillit plus on est égoïste. Il s’accroche à la vie comme le gui au tremble. Ça serait une chance pour lui qu’il meure. Il est vieux, vieux, vieux. Vieux ; une antiquité ruine ! Il est tout pilé ! Oui, il n’a plus de cœur. Ni de pique, ni de trèfle, ni de carreau. Non, je dis ça parce qu’il jouait beaucoup à la belote autrefois d’autrefois avant, aux jours d’autrefois, avant les malheurs des ans, enfin je veux dire avant le grand, grand malheur des ans avant que son esprit ne se cloisonne dans le gâteux. Tous les ans même il gagne le concours de belote de la fête du village le 3 juillet à la Saint Thomas. Que c’en est devenu une systématique. Il aime, il aime beaucoup. Il aime beaucoup gagner. Ça lui fait des économies de gagner qu’il dit. C’est sûr qu’avec tous ces lots qu’y a, c’est un peu bombance. C’est un acharné de la partie. On ne l’a encore jamais vu quitter une partie. Même que son désir de gagner qu’il a en permanence ça le maintient dans la vie. Sûr que c’est pas à une table où se tape le carton qu’il finira bu par la mort, il est trop passionné du jeu pour se laisser faire. Et là même encore aujourd’hui il joue dru la partie, il a pas envie de perdre avec la mort. Elle ne l’aura pas, il est trop fin joueur. C’est un limier de fond que ce pépé. Il se le joue centenaire, sûr ! Sûr que c’est un mauvais cheval pour remplacer le beau-frère. Elle aurait dû miser ailleurs la belle-sœur ! Faut dire qu’elle est pas tiercé aussi. Elle est pas bonne. Même pas au loto ou au trictrac. Elle n’y pipe rien au jeu. C’est pour ça aussi qu’elle n’a pas de chance. Mais il est insatiable le vieux. Il veut rien lâcher et pas crever le pépé. Je me demande même s’il ne la gagnera pas sa partie contre la mort, il est tellement fort ! On n’a jamais vu quelqu’un ne pas finir par mourir ? Peut-être ? Mais lui il est tellement fort au jeu que je me demande s’il n’arrivera pas même à la gruger la mort ! Il est étonnant ce vieux débris tout usé à la carte. Et puis hé ? C’est triste à dire mais ce n’est que le père au beau-père ? La famille proche avant tout, hé ? Et pour sûr. Et tèh pardi ! Pardi !



C’est long la mort. C’est très long et c’est sans fin. La douleur paraît éternelle surtout au début. C’est le plus long. C’est long la mort. C’est si long que ça paraît l’éternité en plus long, c’est sans fin. On croît que jamais l’on en franchira le cap mais on s’y fait, on survit. On survit mort mais on survit. Enfin on survit mort surtout au début. Et puis on s’accommode. On tente même de reprendre du poil de la bête. Et l’on y arrive. Et l’on fait vie neuve. Au moins pour les moins fragiles, les moins débiles. Et c’est bien. L’homme s’adapte à tout même au pire du pire. C’est rassurant d’une certaine manière. Ça forme la mort. C’est l’école de la vie.



« Il n’est pas mort. Non tu n’es pas mort. Tu te tiens tout nu au très chaud de mon cœur ! Je sais bien que tu es vivant là dans mon cœur à me cogner si fort dans ma poitrine, tu me déchires si fort que je vais m’évanouir en toi mon amour. Tu tapes, tapes dans mon corps à me faire hurler. Vas-y, vas-y mon aimé que ça te ressuscite ! Encore, encore ! Je sais que tu vis, j’ai tellement mal. Cogne, cogne-moi que je t’entende vivre dans mon cœur au tout chaud de ma poitrine que tu cognes, que tu cognes ! Tu me fais tellement mal que tu es présent dans mon ventre, je te porte mon aimé adoré. » Elle rabâchait en pagaille, maso de l’amour à se déchiqueter, mâchouillant sans fin son infinie douleur. De l’entendre ça crissait comme un urticaire dans ma tête.



Ç’avait été panique chez les pompiers et le Samu. Au fourgon le mari transpirait à grosses, grosses gouttes, il était trempé à tordre. Le pauvre bougre n’arrêtait pas de se répandre d’eau comme fontaine, la peau visqueuse, blanche éraillée de bleu, cyanosée de livide. Il était en nage et tout ridé de mort qui peu à peu n’en finissait pas de fleurir sur sa face, plissée de douleur et vide de sang. Il portait la mort en masque. Et elle, la déchirée de malheur, elle n’arrêtait pas de se répandre. Elle tremblait de la tête aux pieds en hystérie. On entendait ses os s’entrechoquer, dans ses jambes ses tibias se conjuguaient à ses péronés. Dément à ce qu’il paraît. Ils avaient jamais vu ça les sauveteurs. Ils n’arrêtaient pas de la piquer et la piquer pour la rétablir tant elle tremblait et toujours plus fort en battant de cloche. C’était pas croyable une douleur pareille ! Tous ses os étaient en carambolage dans son ventre, dans son dos. Incroyable, elle faisait un bruit de clé. Elle s’écorchait tant et tant de panique qu’elle avait tous les membres à vif et giclait de sang et n’arrêtait pas de hurler et de se cogner la tête dans la camionnette qui ramenait le corps d’agonie de son mari. Son époux était à la mort mais c’est elle qui agonisait. Elle se cognait si fort contre les murs et contre les parois de la camionnette, la chair désespérée qu’elle n’arrêtait pas de cabosser la carrosserie à la martyriser d’ergots et la déchiqueter d’épines de métal et de briser ses vitres si bien que ses poignets et son front ouverts saignaient à gros bouillons, la douleur palpitait dans sa chair. Elle écumait de douleur, la chair consommée. Et ça n’arrêtait pas et le cadavre de son mari qui n’arrêtait pas d’agoniser. Je m’en souviens à hurler, ça trépigne encore dans mon ventre. Une furie de haine en supplice de cris, harpie en calvaire de silice et de sang. Ils l’avaient attachée mais elle se cognait quand même, à se fracturer, à saigner gravement, sans doute qu’inconsciemment elle voulait participer à la douleur de son mari. Sans doute. Où va pas se nicher l’amour ! Elle voulait partager son agonie. Elle gesticulait à s’écorcher à nu. Et puis ils arrêtèrent le camion pour opérer un massage cardiaque de dernier secours et les massages cardiaques de derniers recours sont d’une extrême violence. Il fallait pas qu’elle voie, déjà que tout son corps était en enfer, elle aurait pas tenu et serait morte hystérique de sa douleur. Alors ils l’ont attachée en dehors du camion pour pas qu’elle voie la boucherie du massage. Mais elle n’arrêtait pas de se retourner, elle se contorsionnait et voyait tout. Elle hurlait à nu de douleur. Elle se tordait les poignets qui saignaient écorchés à vif tant elle les violentait et les torturait à les casser, pendant qu’ils jouaient au puching-ball sur la poitrine de son défunt mari, enfin il n’était pas encore complètement mort mais ça n’allait pas tarder, ils lui avaient déjà cassé deux côtes et une dent à lui shooter des coudes dans la poitrine. Elle éructait de douleur révulsée de chagrin, bavant son calvaire et sa peine à grands cris, énormes de larmes et infinie détresse, elle gisait ravinée de douleur, détériorée de misère, sang et larmes mêlés, échevelée de malheur, affouillée de désolation, érodée de désespoir, sorcière en charpie, épave, déjà en deuil de sa chair, de la chair de sa chair. C’était son époux sûr mais c’était surtout son enfant. Effrayant à voir. Elle n’était que tremblements et déchirée de cris. Pendant qu’ils s’acharnaient sauvagement à six à sauver le cadavre, deux autres la piquaient sans fin et sans le moindre effet. Bien que plus ligotée qu’un saucisson elle n’arrêtait pas de se contorsionner et de se libérer. Il faut dire qu’elle était infiniment maigre à force de pleurer, elle pissait l’eau à force de se bouleverser de chagrin. Elle est pillée par la douleur et toute chavirée de tortures. Son âme, son corps, son regard, tout est ruine en elle. Tout était mort autour d’elle, le monde, la vie. L’univers était anéanti. Elle suppurait la mort de tout son corps. Elle crachait son désarroi comme le cœur de son mari le sang avec la même ardeur essoufflée d’échec lorsqu’il se sclérose de thrombose. Vraiment c’était saignant et deuil. J’avais honte pour Dieu. J’étais au bord de la maladie. Bouhhhhh ! Surtout quand j’ai vu ses yeux, ses yeux qui crachaient toute la douleur du monde, j’ai… J’ai… Depuis je suis perdu pour le courage et porte l’avenir défunt, juste sous mes semelles. Ohlala j’ai la langue épaisse à vivre toute cette peine ! J’écume en marécage. Bihhh ! Allez, faut évacuer. Je vais marcher un bon coup et respirer large et ailleurs pour plus y penser, c’est trop dur à porter. Putain ! Putain ! Putain ! Putain ! Putain ! Putain ! Sauvage elle est la mort.



C’est trop dur la mort. Je sais bien que la mort conclut toujours la vie. Mais pourquoi la mort s’acharne-t-elle de souffrance sur ce pauvre pantin comme un tortionnaire ? Pourquoi ? À quoi ça sert ? Une vengeance de Dieu ? Il ne peut pas être Dieu s’il est aussi mesquin. Le curé il dit que la mort c’est l’accomplissement de la vie, que c’est divin, que c’est l’aboutissement du projet divin, que c’est la volonté divine, pour vous accueillir dans son sein. Moi je veux bien mais ça me rassure pas intense. Ça m’accentue même l’angoisse parce que tout de même s’il était si bon que ça, il me laisserait en vie ? Moi et ma famille. Et mes amis. Et tous mes amis. Bref, tout le monde. Il me demanderait mon avis d’abord et ensuite il me laisserait dans la vie ! J’ai pas tellement envie d’être dans son sein, à m’étouffer. J’en ai même aucune envie à dire vrai. Qu’il se le dise. Moi j’ai besoin d’air. Il me fait peur même Dieu. Comment peut-il être bonté et amour en étant l’auteur d’une telle cruauté ? Hein ? Je vous le demande ? Je vous le demande ? Ah ? Ébé ? J’aimerais bien qu’on me donne la raison. Le curé ou un autre. Elle me tarabuste le rachis. Comment est-ce Dieu possible d’être aussi méchant ? De jouir de tant de souffrance ? Je peux pas comprendre. Je suis trop con pour comprendre, je suis pas assez méchant.

La vie c’est la mort et la mort c’est la vie en kyste, pardon en Christ, il radote le curaillon paroissial. Oui, c’est ce qu’ils disent à l’église mais j’ai bien peur que ce soit fariboles de bonnes femmes. Non ? Vous croyez pas ? J’en ai bien la peur. J’en ai pas la certitude, non mais j’en ai la peur.

Moi je veux bien que ce soit divin la fin de vie mais si ça l’ennuie pas trop trop au Bon Dieu, j’aimerais autant pas qu’il me rappelle pas auprès de lui. Oui, je laisse ma place facile et généreux à un autre qui ne saurait s’en passer, à un fervent. Je voudrais pas le vexer mais vraiment je m’y trouve bien sur la terre. Si, si, vraiment bien. Je n’ai aucune envie de monter tout là-haut, là-haut, que je suis sujet au vertige. Je ne voudrais pas m’asseoir à sa droite, j’ai peur de gêner et de prendre la place de quelqu’un d’autre, plus méritant que ce serait pas juste. Et puis il est tellement, tellement lumière que j’ai peur de brûler et je suis très peureux de nature. J’ai une peur panique des brûlures. Alors s’il voulait bien avoir l’amabilité de me laisser sur la terre le plus, le plus longtemps possible, je lui saurais infiniment gré. C’est mon souhait à moi, pas le ciel, la terre ! Pourquoi qu’il ne me laisse pas tout plein de vie ? Il y a déjà tellement de monde au ciel ! C’est déjà tellement encombré ! Au contraire ça dégagerait une place déjà. Une place c’est pas tout à fait rien. Ça ferait un peu de place au ciel pour les gens envieux. Tout le monde y trouverait son compte et chacun y trouverait son dû. Ce serait bien et agréable et magnifique même. Je crois qu’il faudrait aller dans ce sens-là. Si j’ai un conseil à lui donner au Père, c’est de naviguer vers ce sens. Ohla, rien que d’y penser ça me remonte la rate ! J’ai comme l’impression que ma vessie elle me remonte le rein à gué et se verse dans l’iléon ou le côlon, je ne sais pas au juste. J’ai comme une douleur qui me remonte le coccygru sous la prosta… Bien ! Bon.

Je suis pas là pour vider mes angoisses. Je suis là pour accompagner la mort du beau-frère. Faut pas confondre. C’est lui que l’on pleure ce jour, c’est pas moi. J’aurai tout le temps demain pour me plaindre à foison. Aujourd’hui c’est de lui qu’on cause. C’est lui le sujet. Moi ça sera demain. Allez, arrête d’en profiter pour t’ausculter la rate et le teint ! C’est pas toi le malade, c’est lui le beauf qu’il est macchabée et qu’on le pleure, c’est pas ta dernière diarrhée qu’on va compulser sur le sujet. T’es hors sujet, t’as compris ? Que t’es intense ridicule avec tes petites difficultés de prostate et tes obsessions herniaires à côté d’un mort ! Hein ? D’ailleurs le curé il l’a dit, ils le disent tous, on n’a pas droit d’être égoïste et de penser à soi le jour d’un mort !… Quoique ? Il y a quand même le coup de charité bien ordonné. Et tout le reste qui va avec aussi également. Mais enfin c’est ainsi.



« C’est trop tôt, c’est dégoûtant. La mort l’a emporté avant même qu’il ait commencé à vivre. Quand je pense qu’il en avait à peine pour un an avant de toucher la retraite. Qu’il aurait juste commencé à vivre. Que la vie il l’a perdue à travailler. Il s’est échiné à la gagner jusqu’à l’infractus, mon pauvre biquet ! Ohlala! C’est pas juste juste ! Enfin il a pas souffert. Ou si peu pas trop longtemps, par rapport à d’autres de ma connaissance que ç’a été que calvaire. Que celui du Christ à côté c’était crotte d’alouette et chagrin de pucelle. Que ça n’a même pas duré trois jours pleins ! Tandis qu’à lui la vie elle lui a fait vite faux bon. Le pauvre, la vie elle lui est passée à côté sans s’arrêter, il n’aura même pas eu le temps de la vivre. Il était toujours à travailler. Il a jamais eu le temps de se reposer et maintenant il en aura trop de temps pour se reposer pour toute l’éternité, il n’aura plus que ça même ! Tous ces soucis que je vais avoir avec sa mort ! Oh lala ! J’en suis que sang mauvais, tourments et empoisonnement. Et toute rechignée. »

Rien que son nom sur la porte du funérarium ça lui faisait mal. Rien que de le voir imprimé là sur la porte. Elle n’arrête pas de lever sa douleur. Elle pleure plus que la neste en crue. Au centre funéraire, il était tout rigide cadavre et elle le bécotait et elle le bécotait tout froid, tout couleur de lavabo qu’il était. C’est que bon, d’accord… Mais ça levait la gêne en grand, en très grand tout de même. Elle le bécotait à bouche que veux-tu, à croire qu’elle faisait l’amour avec le nécrophage. C’est que ça vous entraîne défois l’amour à des gestes inconsidérés. Si. C’est certain. Des choses presque honteuses de faire mais c’est comme ça. Et tout ce bien qui part pour rien. Toute sa vie qui vaut plus rien d’un coup si c’est pas honte parce que personne ne veut prendre la succession. Ils travaillent tous à la ville. Tout son bien, tout son travail inutile que personne n’en veut de tout ce patrimoine en sa famille. Si c’est pas honte. Ça vous vide une vie. Ça vous tue toute raison d’existence ça. Avoir mis toute sa vie pour rassembler ce petit pécule, ce petit bien pour rien, que personne n’en veut. Des fermettes qui en veut maintenant ? Personne. Elle est même trop mal placée pour servir de résidence secondaire et elle est toute entièrement à l’ombrée et n’arrête pas de pleurer d’humidité même au cœur de l’été dans la canicule, c’est dire. Qui en voudrait ? Bon, on la garde pour ma belle-sœur, faut bien qu’elle crèche quelque part ! Mais elle ne vaut rien. Un bien pareil c’est plutôt poids qu’un bien. C’est pesant, faut être né ici et avoir connu le calvaire de la vie d’ici pour pouvoir y habiter. Même un rmiste il n’en voudrait pas. Même la lune elle est pas jouasse en ce moment, elle se goberge de nuit en deuil.



La solitude ? Quand on est veuve, c’est le silence. Pour toujours, d’un coup. C’est terrible. C’est le plus dur à porter, le silence. Pour la première fois de sa vie elle se retrouve seule sans l’autre qui vient de lui faire faux bond, qui vient de partir dans la mort le gros égoïste. C’est tout nouveau pour elle. Il ne l’avait jamais quittée, même pas un week-end ! Vous vous rendez compte ? Le silence pour la première fois de sa vie, le silence éternel qu’elle touche pour la première fois de sa vie. Elle touche le lugubre. Parce que se parler toute seule lorsque l’on est seule, c’est pas facile. Hé oui ! Elle est le silence. Surtout que quand on est seule, on n’a pas de dialogue ! On n’a pas… Ni l’envie, on est si seule ! On a une vie glacée et absente des mots. On n’a pas vraiment de lendemain quoi ! Elle est morte aux morts maintenant.

Parce que le finaud c’est de partir le premier dans un couple. On n’a pas à vivre les séquelles de la mort et toutes les tracasseries administratives et successorales et fiscales et les larmoiseries et je ne sais pas quoi encore. C’est le plus malin qui part un beau matin sans rien dire et laisse l’autre accroché à la vie comme un naufragé d’inondation perché sur son arbre qui voit tout autour de lui le monde se catastropher en déluge. Il était coquin le malin, il l’a compris ça avant même de commencer à vivre je crois. Au petit jeu de la vie et de la mort le gagnant c’est le premier parti. Et comme il était assez égoïste en fait et qu’il aimait pas perdre, il est parti le premier. Il a toujours été un peu canaille. Parce que celui qui reste, c’est qu’un reste, il n’a plus à vivre que le désolé.



Elle était tellement arrachée à elle-même qu’elle s’est ancrée à l’idée fixe. Ça taquinait la manie, ça la taquinait en cauchemar. L’obsession s’est incrustée en idée fixe : elle avait une peur panique qu’il ait un torticolis mort, faut dire qu’il était très sensible au torticolis, aussi si elle le craignait. Elle l’appréhendait en énorme. Parce que s’il avait eu le torticolis mort la bouche tordue sur la béance et le cou tombé d’un côté comme une porte mal fermée, elle aurait eu la honte, la honte énorme. Et puis ça aurait porté le mauvais sort. C’est ça qu’elle craignait le plus. C’est pas qu’elle était superstitieuse mais… tout comme. Heureusement il avait pas eu le torticolis mais elle le craignait à chaque instant. Elle pensait qu’il pouvait advenir à tout moment le torticolis, il l’avait tellement visité de son vivant. Parce que ohlala, j’ose pas y penser ! Que la tête aurait été en biais dans le cercueil de quoi que c’aurait eu l’air ? De quoi ? J’ose pas y poser ma pensée. C’est pour le coup qu’elle aurait mangé toutes les étoiles la veuve ! Ohlalaa, voilà t’y pas que sa tête serait restée coincée cadavre en biais ! Et qu’elle ne serait pas rentrée dans la boîte ? Oh mon Dieu ! Oh mon Dieu ! Oh mon Dieu ! Putain de Dieu, il aurait plus été sacré cette fois-là ! Putain ! Je l’encensais à l’enculer le Dieu ! C’est pour le coup qu’elle s’ensevelissait sous la terre à manger toute la prade la Blaisine à s’inhumer de honte ! Ohlala ! Qu’il aurait fallu faire une bosse, une petite cahute en excroissance dans la tête du cercueil pour la cacher la tête à lui qu’elle soit présentable puisqu’elle sortait et qu’on la voit toute nue de livide ! Oyailleahaye ! Qu’il aurait fallu la scier ? Lui couper la tête ? Oh Non, c’était pas Dieu possible ! Tu parles d’un drame catastrophique que c’aurait été. Elle aurait valdingué à vie dans les pommes la sœur-belle ! C’était Lannemezan HP direct ! Elle y aurait pu larmoyer à vie après ! Ça la hantait ce torticolis à la belle-sœur. C’est curieux ces idées fixes qui se logent comme ça dans la cervelle et y nichent, s’y incrustent à ne plus vouloir en sortir. Ça doit être comme un médicament contre la douleur, comme un expédient pour tamiser la douleur, je pense. Un dérivatif comme on dit. C’était un torticolis de circonstance dans sa tête qui monopolise toute son attention pour ne pas à avoir à penser aux choses graves et aux choses de douleur en fait. On monte en épingle un faux souci pour enliser les vrais soucis dans l’oubli, je crois. Ça fait baisser la tension de la douleur. Ça doit être sûrement ça.

Qu’est-ce qu’elle pleure ? Elle pleure, elle pleure, elle pleure. Elle pleure tellement qu’on pourrait croire qu’elle pleure après son argent mais pas du tout, non, elle pleure pas l’argent c’est pas le genre. Mais c’est quand même racket sur macchabée les pompes funèbres. C’est incendiaire l’argent qu’ils prennent ! Obèse ! Monstrueux ! Ils exploitent la douleur en charognard ! J’en ai honte pour eux. Profiter de la faiblesse des gens comme ça c’est pire que Treblinka d’une certaine matière. Profiter ainsi de gens qui sont réduits en poussière et sans défense pour les dépecer sur le cadavre même, c’est immonde ! C’est des nécrophages coprophages ces porcs de croquemorts. C’est, c’est… Ça me révolte tellement que je n’ai pas de mots pour le dire ! Je… Je… J’en suis révulsé. Faut pas que j’y pense en intense, je vais provoquer ma propre mort et les enrichir ces maquereaux frelatés de pourriture ! Oh rien que d’y penser ça me vieillit encore d’un an, tant ils me répugnent ! Cesse ! Cesse ! Ou tu vas crever et finir dans un cercueil le corps en portefeuille à les gaver de pésètes ! Alors cesse ! CESSE ! Il ne faut jamais nourrir un criminel et encore moins son meurtrier. Arrête ! C’est pas ton genre de jouer au maso. Ça me laisse bancal. Ouyaillhe, rien que d’y penser ça me remonte la prostate ! Arrête d’y penser ! Putain quelles charognes de tinettes vivre de l’argent des morts ! C’est pas chrétien ! Et encore moins musulman d’ailleurs ! C’est un scandale d’indécence ! Ça devrait être gratuit, un service public ! C’est l’État qui devrait prendre en charge vos obsèques, pour vous remercier d’avoir eu la gentillesse de vivre un petit moment de bout de chemin avec le monde et qui devrait vous rendre grâce pour lui avoir payé l’impôt toute la vie et l’avoir fait vivre de charité pendant tant et tant d’années sous son racket légal, que les plus lécheurs appellent son autorité. Bon. Ça m’essouffle le bouillon au sang. Je préfère abandonner le plaidoyer et pas abonder sur le sujet que ça m’encrasse la sensation et me perturbe le delco et me décapite le tuco ! Vraiment ça me gonfle les oreillettes et ça me fait monter les petits pois en tension dans les tendons ! Que ça m’emmerderait de crever d’indignation. Il manquerait plus que ça ! Pour les enrichir de ma colère qui me porterait la mort ? Ébé ! Il manquerait plus que ça alors !


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