Chien

Pierre Igot, novembre 1996
(création : octobre 1993)

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Je parle des excuses
De ma pensée plate
Il n’y en a pas

Qu’une idée-phrase flotte à la surface
Depuis dix heures
N’explique rien

Qu’une autre ne s’accepte pas
D’annuler son apparition
N’arrange rien

Que la proximité des répétitions me gêne
Ne fait rien avancer
Ne produit rien
Et ne cache rien non plus

Que j’aie dit cent fois la même indifférence
Aujourd’hui
Et que personne ne l’ait jamais comprise
Ne peut plus me surprendre

Que ce soir mes muscles nus se tendent
Pour des gestes nocifs
Que je le voie
Et que je n’en pense rien
De sortable
Que les sens dans lesquels se relâchent
Mes mille éclats de temps quotidiens
Ne convergent plus
Que l’enflure de mon nom crié
N’ait plus de place pour la caresse
Qu’il sort de s’offrir

Tout cela, non, Rousseau, ne résout rien
Entre au contraire
La phase crue des chiens

Je ne vous laisse pas imaginer

Les chiens augmentent. La force avec laquelle ils suivent la bêtise de leur maître ne surprend que les observateurs irréguliers qui n’ont aucun droit de juger. Les suppliciés objectifs ne se regardent plus. Leur souffrance, après être passée par les phases habituelles, n’a maintenant plus de nom.

Mais les chiens augmentent toujours. Il y en a jusque dans les arbres, dans les déserts, des punk et des grunge, il y en a chez ma cousine, quand j’aimais, j’aimais ma cousine, je crois bien que je n’aime plus, en tout cas je n’aime plus ma cousine.

Je suis sot. Il y a longtemps déjà que j’aurais dû m’acheter un chien, puis le vendre, avec 52347 maladies vénériennes à répandre, toute une vie d’enculage germinatif devant soi, le chien le plus heureux de la planète. J’aurais dû l’acheter.

Je l’ai vu un matin dans la boutique de mon voisin (celle où les gens viennent souvent demander l’ours — Mais quel ours, monsieur ? — L’ours qu’on voit dans la devanture. — Il n’y a pas d’ours dans la devanture. — Mais si je vous assure, je l’ai vu en arrivant, il regarde en direction de la vitrine…), j’ai été tenté de le voler, puis de l’acheter, puis de le vendre, je suis entré, je crois que le vendeur ne m’a pas compris, je suis ressorti devant le magasin mon autre voisin attendait, il avait vu un ours, disait-il, qui lui plaisait bien, il avait bien envie de l’acheter, je n’ai pas l’habitude de répondre à mes voisins ici, d’ailleurs il ne s’adressait pas vraiment à moi, il me semble, il avait des joues

vertes
et de grands yeux bleus
injectés de noir
il aurait voulu que je lui ressemble
comme je ne lui ressemblais pas il m’en voulait
si je lui avais ressemblé il m’en aurait voulu aussi
hier soir il m’a tué
il se trouve que je me trouvais en bas, sur le trottoir
au moment où il a eu envie de tirer sur le trottoir
pour faire taire les chiens
il a un chien aussi
mais son chien est différent
il a du poil
il a des dents
bientôt il sera plus grand
il mourra quand, a demandé Monique (elle a deux ans)
on a giflé Monique
ces choses-là ne se demandent pas
maintenant je suis mort
je ne demande pas pourquoi

mon cadavre n’a pas encore bougé
bientôt je serai suspect
à mon non-enterrement il y aura assez de chiens
pour aboyer la terre entière
je serai assez lâche pour ne pas répondre

sur ma seule tombe il y aura écrit :

Il s’est cru victime
De la phase crue des chiens
Or chacun sait
Que les chiens n’augmentent pas
Donc chacun sait
Qu’il est vivant
Nous gardons volontiers son âme

Dieu ait sa merde.


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