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Foyer à ciel ouvert de littérature contemporaine européenne

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Grammatica

Bernard Saulnier

novembre 2000

Une civière dans la station de métro, quelqu’un qui hésite après une visite à l’église. Je réfléchis sur les causes de ma folie. Métro Berri des employés de la commission des transport cruisent les serveuses du comptoir à beignes. Ça sent le vomis pendant qu’une femme passe avec son chien suspendu à son ventre. Ma montre vient de beeper trois heures. Je veux pas montrer ma gueule de salaud sur les boulevards. J’aime pas l’odeur de savon cheap à base de lotion hydratante ça sent la vieille matante. Grammatica se garroche dans le dictionnaire pour voir un corps en coupe, pense à elle une vache qui ne m’aime plus. Christ ! Que ça fait mal en dedans c’est comme une main qui tord l’âme. Les gourous m’énervent, un homme avec un bandage au visage sans nez et les yeux couverts. Il marche dans la lumière. Il suit les rails vers un garage où y’a des camions, des gars travaillent. Je sens qu’ils me rejettent, font des blagues de cul, je les ai toutes entendues. Ils offrent des gâteaux gratuits. Je crois pas qu’ils chantent pour me faire plaisir plutôt pour que j’enrage. Je peux aller trop loin, c’est quoi loin ? La mort est tout près. J’écoute Alice’s restaurant. L’amour, l’amour véritable… C’est l’anniversaire de la mort de Callas. J’ai plus de rythme, je pense à la suite des choses elle est pas comme je veux. Un concerto, de papillons, à l’orientale, je vois la Chine immense et fière. Grammatica marche engueule ses fantômes et se retourne pour dévisager une présence diabolique. Il est harnaché dans la folie. Coltrane joue a la radio c’est tu beau la culture ! Derrière la porte y’a un rire démoniaque comme si le diable voulait m’emporter. Ma santé mentale est défaillante j’accepte mais trouve le temps long. Y’a une langue qui me fait défaut. Une fois rentré dans le rang je me la ferme m’assois sur mon steak et regarde chier les pigeons. J’ai rien à voir avec l’intellectuel ma chose c’est cérébral. Tout est sale, aussi sale que mon âme, des mouches écrasées, de la crasse sur les portes, du gras dans les vitres, poussière sur le tapis. Travailler ? Où est ce que j’irais ? Il est minuit docteur Schweitzer. Quelqu’un me dit que nous allons battre des records d’atrocité. J’échoue dans le vague l’imprécis dans un purgatoire sans sortie. Je perds mes journées dans les couloirs du métro au milieu des courants d’air. Ça va ça vient. Un vrai ostie de malade ! Grammatica dit à la serveuse don’t spit in my food. Je suis accroupi dans la station les agents de sécurité sont là un pianiste joue du ragtime. Elle, elle a trouvé le moyen de me demander un dollar. Fait trois fois le tour de la station je pue. Je suis ému. Je sais rien. Si tu sais rien ferme ta gueule ! J’ai mal right next to the hospital Notre Dème. Je fais peur chu ben lette ! Elle me donne du gros tarla, elle tousse, je suis pas à ma place. Elle dit you are a nobody. Une idée de fin du monde dans la tête j’attends qu’il fasse une erreur. Dans le quartier grec un gars gueule à une fenêtre. C’est pas le caractère méridional c’est le manque de savoir vivre. Un type sort la tête d’une limousine et crie à mort gros twit ! À part d’avoir de la gueule, du panache, de la répartie, de l’humour j’ai rien pas une once de génie. Elle, son parfum m’excite ses cheveux me frôlent mais je ne joue pas là. Mon cœur continue de saigner, une phrase idiote tirée d’une chanson. On va faire un beau mort bien fardé tout juste si on lui foutra pas un sourire montrant son râtelier, le mort c’est moi, le sans génie. Je veux rester dans le silence. Je sors un tas de guenilles de mon manteau. Je remplis ma tête y’a des mots. J’ai que le souvenir d’avoir voulu la retenir. Un beau jour ça va faire boum je vais péter les plombs. Grammatica et moi on écoutait une bande coupée sur un magnéto, mon frère a apporté deux bouteilles de Sprite. Je veux chanter du blues à l’enterrement du psy. Il me manque la lumière la lumière des esprits brillants qui savent défendre une idée généreuse du genre humain.

J’écoute le match Penn State versus Ohio State à la demie je zappe tombe sur une animatrice aux gros nichons, je perds tout intérêt pour le match, veux me mettre quelque chose dans la bouche, une cigarette. Hey toé ! Hey toé répond pas. Quand t’es habité par la haine, ta haine, la haine de toi… Y’a des gens vêtus d’un sac à ordures orange orné d’une croix de malte avec à la ceinture une spatule et sur la tête un chapeau plié à la mousquetaire. J’ai peur, peur de tout ce qui est différent, peur des accrocs dans ma petite vie réglée au millième de seconde comme une montre électronique. Je m’agite le ciboulot au milieu de ma cage. L’écriture c’est juste une prison un peu plus grande. Ça y est je suis bloqué comme un drain où un morceau de savon est tombé. J’arrive pas à roter. Je sais pas pourquoi on disait faire un rapport peut être à cause de l’armée où la seule expression permise est le rot. Je m’agite, je m’agite, hey toé ! Hey toé ! Hey toé ! Pourquoi tu pleures ? Pourquoi ? T’as pas vu ? T’as pas vu que ça sert à rien, c’est comme ça, c’est comme ça la vie. Hey toé ! Tu pleures encore debout devant rien pas même un mur ils passent devant toi les larmes ça leur dit rien. Tu vois bien que personne t’écoute t’as beau gueuler faire comme eux botter des culs ta face sera toujours la même. Hey toé ! Résigne toi ce sera ça. Ta musique elle nous fait rien, on a pas le cœur sensible, c’est plus dur que le rock, on est pas des cœurs de pierre on en a pas de cœur. Hey toé ! T’arrêtes là, tu vas pas plus loin sans ça on te sacre une bonne trempe. Tu va pleurer pour kèk chose si t’es encore capable quand on va t’avoir enfoncé ta gueule de sensible.

À la radio ils parlent de l’œuvre de Ferron. Le pire c’est de jamais me souvenir des lectures que je fais. Hey toé ! Ta gueule, on en a rien à faire de tes lectures c’est ton cash qu’on veut et ton âme perdue devant l’écran, ton âme on va la torturer même quand tu demanderas pardon. Le crayon me regardait là sur le cahier. Il attendait patient. Je l’ai regardé à mon tour. Hey toé ! Kesse tu veux, reste là, mes doigts en ont assez ma main est fatiguée. Prends moé fais moi dire ce qui se dit pas. Mon ostie de crayon commence pas à faire le fanfaron. J’essaie de passer dans le tourniquet avec une bicyclette, les gens gueulent, je laisse le vélo là. Je rencontre deux Européennes je tripote un mamelon de la brune. Je cherche le sublime. Je m’arrête pour refaire mais j’y crois pas ma bouche c’est un clapet je quitte pour l’obliveon. Hey toé ! Trouve toé une job. Je veux arrêter de fumer. Hey toé ! Mon sacrament ! T’arrêteras pas de fumer comme ça, kesse tu penses ? Les petits crottés comme toé on les laisse se débrouiller avec leur addiction. Les hommes sont tous les mêmes y’a que le paysage qui change, y’a pas de place pour l’altruisme c’est claque sur la gueule pour claque sur la gueule, c’est seconde après seconde tu passes dedans c’est épais comme de la mélasse collant comme du goudron brûlant. Condamné à subir l’éternelle terreur de ce qui existe. Gombrowicz. La pornographie.

J’ai peur de sortir de marcher ces inconnus jusqu’où iront-ils dans leur entreprise de démolition dans leur carnage. J’ai peur de moi. Je me sens pesant. À la radio je crois que c’est Tchaïkovski. Y’a des matins où je me lève comme si j’avais passé la nuit à bosser. Les gestes que je fais comme une machine, l’eau pour le café, la cigarette, faire le lit. Hey toé ! Écœure nous pas avec ta routine matinale. J’ai fait fondre de la glace dans l’évier comme ce qui me reste d’âme froide qui se dissout dans le temps. La radio est allumée je me fais rincer par tous les trous, hier, une émission sur Montherlant il s’est suicidé semble que l’homme était pas sympathique. Hey toé ! Tes apartés littéraire on s’en passe, on va trimer ce matin, toé t’es assis sur ton cul. Tu veux pas affronter le monde la vie t’es qu’un connard. Ta paranoïa tu y crois on est là pour te le rappeler. Je travaillais sans masque dans une usine de polyuréthane, soudais à l’à peu près en respirant les vapeurs de l’arc et de l’acier qui fond. Je pense à tous ces gaz à toutes ces fumées inhalées ce que ça a provoqué dans mon cerveau. Hier près du métro je regardais cette dame donner des feuillets et prêcher Jésus-Christ. Les publicités lui donnaient de la compétition. Je veux passer à côté de la souffrance, l’éviter mais c’est impossible. Je me sens seul dans ce sentier broussailleux sans machette pour tailler comme si je devais arracher de mes mains des racines profondément enfoncées dans la terre. Y’a une différence entre être cérébral et intellectuel, un cérébral comme moi ne manie pas les concepts facilement, un intellectuel en fait ses gorges chaudes.

Hey toé ! Contente toé d’écrire sur la plèbe, sur tes pareils, les estropiés de la vie qui ont jamais vu Paris qui connaissent que la misère quotidienne. Je décrépis lentement mes oreilles saignent, mes sinus bloqués, mes articulations douloureuses. J’essaie de voir au travers de ce noir. Hey toé ! Ta yeule ! Elle, elle a des partitions de musique allemande, l’air androgyne. Elle m’a souri. J’ai vite détourné mon regard suis tombé sur la verrière du métro McGill. J’ai lu que donner la mort procurait un sentiment de toute puissance, de la maladie mentale. C’est moi que je veux tuer. Elle s’est penchée les fesses bien en l’air tout près de mes mains. J’ai pas touché ça sentait les problèmes. Elle peut bien se faire baiser par l’autre. Hey toé ! Ta yeule on veut le cash. Ça prend du courage pour subir la banalité du quotidien son insignifiance. De la merde ! Je me sens comme de la vraie merde. Elle m’a croisé dans le métro son regard disait you are a nobody. Comme si l’opérateur du métro me criait va te faire enculer. Hey toé ! T’as un problème. Je crois que j’ai à souffrir beaucoup plus pourquoi ? Le destin, la fatalité, quoi dire d’autre, j’anticipe, je suis perdu.

Hey toé ! On le sait que tu rêves d’être poète t’as que ça dans ta sale tête de connard. Les beaux mots la belle phrase, sale orgueilleux ! C’est pas en jouant du verbe que tu vas pincer une minette. Hey toé ! Vieux salaud ! Vieille épave ! Tes rêves on s’en contrecrisse on veut les défaire. Hey toé ! Raconte nous encore tes histoires de cul, tes assieds toé dans ma face pis fais ta pesante. Pauvre con ! Raconte nous une autre de tes histoires de cul, une de tes aventures de salope de suceux de cul. Bon ben ! La saison va être longue cette année onze buts dans un match de hockey. Hey toé ! Hey le poète de quoi tu te mêles ou ben tu fait du sport ou de la poésie c’est vrai que t’es un gérant d’estrade. Une grand yeule incapable. Contente toé donc de ta petite musique de fif, fais nous pas chier. Que tu crèves devant un écran on s’en kriss. Grammatica est inondé dans l’anglais américain ils ont pas le th des british. Nouvelle Angleterre contre Indianapolis. Ça me fatigue de regarder ça. América ! América ! Ils veulent me vendre toute sorte de babioles moi je m’évade en regardant voler le ballon dans les airs. Assis tranquillement devant ma télé, une jeune fille se fait violer, un homme colle le canon de son arme sur sa tête, on débranche un vieux pour donner la place a un autre. Hey toé ! Le grand tarla qui se décrotte le nez quand tu roules ta morve ça t’écœure pas.

Dans ma peur j’essaie de m’isoler de mes persécuteurs c’est tous et n’importe qui. Grammatica conjugue sans faute tous les verbes dans tous les temps dans dix langues. Grammatica c’est un rédacteur de dictionnaire qui fréquente les cinq à sept et cherche de nouveaux mots. Aucun de ses dictionnaires est publié. Hey toé ! Tchèk ta game ! T’en joues une game ! T’es un phony ! Un phony ! Écouté une émission sur Narbonne s’est sacré dans le pétrin pendant la guerre. Grammatica a cherché des mots toute la nuit incapable de créer un nouveau mot, toutes les choses, les émotions, les faits ont été nommés sur la terre et aux cieux. Il cherche de la nouvelle matière un peu à la façon d’un physicien qui à partir de calculs arrive à une hypothèse. Le nouveau mot nomme une nouvelle chose, l’univers est déjà vieux. Les sept milliards d’habitants ont différentes façons de nommer les choses parfois même l’horreur. La Shoah, l’holocauste et pourtant ça crève encore. Je cherche des mots pour prier me raccrocher à l’espoir. Nommer le choses… Hey toé ! Écœure nous pas avec les pseudo outrages. Nous autres on veut des faits rien que des faits on s’en sacre de l’intangible. Ça nous prend de la grosse violence grasse, sale mariole ! Elle, elle me parle de Grammatica, lui ai dit que je le connais, je la comprends plus, Grammatica est trop orgueilleux ça le ruine. Je me frappe au matin, j’ai un goût de merde dans la bouche. La théorie du roman Grammatica en faisait ses choux gras avec de beaux grands mots, bien maniés. La révolution a pas eu lieu je suis d’avis qu’il serait pas là pour en parler. Ces concepts là c’est comme une casserole d’eau bouillante sans poignée quand tu viens pour la verser ça éclabousse tout autour, ça te brûle les doigts mais t’as quand même ta tasse de café.

Maintenant Grammatica cherche ses mots, il bafouille c’est un maniaque de la précision, du mot juste, pour lui y’a pas de t’sé veux dire, c’est toujours long laborieux ça remplace la concision lâche et lapidaire. Je les entends chanter l’internationale sera le genre humain en jetant des tasses d’essence dans les poubelles de café, c’est idiot. Je suis d’aucune importance pour la suite du monde ou la suite des choses. Hey toé ! L’est c’est par-là, ben oui l’est c’est par-là tu y retrouves la misère. Grammatica est perdu comprend pas les annonces de départ et d’arrivée ses dollars sont américains, thirty percent, y’en a pour son argent. Elle, elle est au téléphone hang on ! honey qu’elle dit. Grammatica veut partir pour vrai dans une autre vie. Hey toé ! Té yinc une ostie de pute comme les autres, un taré ! Elle porte un chapeau vert et un foulard assorti s’amuse avec le chien. Hey toé ! Continue à la taire ta saloperie de conscience t’as des visions d’aveugle. Le monde se mettra pas à genoux devant toi vont seulement t’enfarger. Le combat contre les fantômes continue. Grammatica pense à la semence ou à la sémiotique. Il cherche le sens comme moi je cherche un sens à tout ça. Je suis en beau joual vert. Hey toé ! On te l’a pas assez dit de farmer ta yeule pis de bosser. T’es rien pis t’auras rien, rien que ce… No place to run , nowhere to go.

Je suis juste le public qui regarde Grammatica. J’ai peur d’être heureux de connaître un peu de bonheur. Je trouve que le tragique me va bien. Hey toé ! Arrête de faire ta tête de cochon pis krisse nous la paix. Grammatica se plaint qu’il trouve pas de mots. L’idée de voler autre chose que des mots lui vient pas. Faut avoir l’humilité de sa condition sans renoncer à mieux, à un bonheur qui ne vient jamais qui passe à côté. Hey toé ! L’exalté fais nous pas le coup du bonheur c’est le cash qui compte rien que le cash et les belles blonde pis le gros char. Une plorine voilà ce que je suis une plorine. Parfois la haine me quitte la haine est infréquentable le pire des maux. Hey toé ! Même si tu nous hais nous autres on te lâchera pas on va te faire cracher, te faire cracher ce qui te reste de bonté tu seras un monstre notre monstre. Grammatica trouve difficile les th anglais. Il est un gros point d’interrogation une énigme remplie de règles que lui seul connaît. Je cherche la frontière entre le divertissement et la prise de conscience. Hey toé ! Pour qui tu te prends maudit cérébral déjanté, fun, y’a que ça. J’ai pas envie de me faire chier dessus par une femme. Hey toé ! Le mal baisé, la petite vite sacre nous patience avec tes petites perversités. Grammatica cherche d’autres mondes, d’autres chemins des chemins plus fertiles plus allumés. Perdu dans ses langues il n’arrive plus à saisir l’essence des choses tout se perd tout s’envole. Grammatica… Grammatica fouille au fond, le don des langues est plus faible que Dieu. Hey toé ! T’est pris au piège avec l’image du Père. Nous on crache dessus on t’invite en enfer les portes sont grandes ouvertes pour laisser passer ta grosse tête d’hydrocéphale à faire sauter. J’écoute les variations Goldberg, je pleure, je me trahis se tromper soi même c’est la pire des trahisons. Je pense à Grammatica qui décortique des chansons finlandaise Le bon peuple on aime bien qu’il crève en silence. Hey toé ! Le hippie réformé crisse toé une patate dans yeule pis chante nous old man de Neil Young. Au fond si je me faisais la peau ça ferait un connard de moins sur la planète. Elle, elle écrivait méthodiquement toutes les semaines. Hey toé ! Va donc affronter le monde va voir dehors si tu y es. Je suis plongé dans la pluri-ethnicité vécue à travers les bars de la rue Saint Laurent c’est naïf, ça fait partie d’une sous-culture du on s’envoie en l’air. T’est un kriss de loser ! Grammatica en veut pas de ces mots là. Grammatica préfère le partage la compassion, il reste muet devant ça perd parfois une larme. Je me répète une litanie, humilité, humilité, humilité. Ai lavé la salle de bain pour me donner l’impression de faire quelque chose. Hey toé ! Tes ennuis ménagers on s’en sacre on veut ton cash de raté. Comment traduire educational psychosis, psychose éducative, quand autour les sons ne sont plus musique et que tout tient à cette partie du cerveau qui garde clos, hors du langage, hors de la communication labiale. Je songe à mon ambivalence sexuelle. Hey toé ! Garde les pour toé tes problèmes de cul dis nous comment tu couches et avec qui on va se faire une opinion assez vite. Je dois vivre ici maintenant avec ces blessures qui me font mal à l’âme. Hey toé ! Tes histoires d’âme garde ça pour d’autres, les sœurs, les frères, les prêtres toé t’as que des histoires de faux prêtres. Et que toute langue confesse que Jésus Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. Grammatica le polyglotte vient de lire ça, ses histoires avec Dieu sont confuses. Il prête une âme aux mots. Hey toé ! Parle nous de tes valeurs de pépère perdu. Les Yankees ont gagné la série mondiale de baseball ça change rien dans ma vie. Je me vois le matin près de la cantine, café, sandwich fromage aux œufs humides, attendant que la cloche sonne. Hey toé ! Faut que tu manges ben de la marde. Elle, elle crie, un cri d’horreur, pour qu’ils sachent, tous ces gens béats gagas, qu’ils sachent que c’est à cause d’eux qu’elle est une ruine de vingt quatre ans qui a cru au mensonge. Grammatica pense à elle à ses borborygmes. Hey toé ! T’a le trou du cul comme un chou-fleur. Grammatica voit déjà l’année finir, il est bouche bée, plus un mot lui qui parlait tant. Elle l’a assommé ne s’exprime qu’en cri. Il essaye de comprendre y’a que le changement de tonalité. Hey toé ! T’est mal pris obligé d’inventer des histoires au sirop. Grammatica sait pas comment lui parler comment lui dire à elle aux yeux fous au cri malade. Une musique venant de l’envers du monde passe dans la tête de Grammatica. Je suis le même partout avec mon âme déchirée, mes idées, ma folie des grandeurs. Je ne suis qu’un homme poursuivi par l’échec et l’ignorance. Hey toé ! Le cave, réveille tu vois pas que se mettre des choses dans le cul c’est pervers, les vrais hommes ils entrent leur bite là où il faut et de la bonne façon. On va te cogner le crâne mon pédé, ça va péter comme un melon échappé. D’où je viens on dit pas au revoir ils voulaient pas me revoir. Hey toé ! Tes petits jeux de mots on s’en contrecinciboèrise, ta façon aussi. On veux te voir souffrir pleurer saigner te vider de toute ton eau. J’ai plus de rythme comme si mon cœur avait cessé de battre. Hey toé ! Le ti-jos connaissant c’est nous autres qui va t’endormir à coups de pied au cul.

Grammatica y’é loadé loadé entre les deux oreilles mais rien sort de lui, il emmagasine, d’autres diraient qu’il intériorise mais t’as beau savoir les plus beaux mots ton âme peut être sale. Hey toé ! Lâche nous avec tes insignifiances, fous toi une bite dans la gueule ça va t’occuper on aura pas à subir. Grammatica cherche encore le mot exact un polyglotte muet ça sert à rien. Ses mots se sont envolés dans le vent personne écoutait, il avait inventé des formules toutes faites… Il a préféré devenir muet. Je cherche la musique bien au-delà des mots. Je songe à l’humilité faut que je forge un rythme comme un faussaire. Hey toé ! Laisse faire le beat t’es pas drummer ta grosse criss de tête on va te la secouer à coups de baguettes. L’oreille de Grammatica est inondée de jurons. Hey toé ! On les connaît tes jérémiades ça sert à rien on va te foutre dans le bain, la marmite de nos préjugés et te faire bouillir te faire attendrir la peau jusqu’à ce qu’elle décolle de tes os. Les choses de Grammatica avaient l’allure d’un grimoire. Il se rend dans des réunions religieuses où les gens parlent « en langue ». Il reste muet c’est du charabia. Tiens ! Grammatica est resté accroché sur un nouveau mot : sabatière. Connais rien de sa signification. Hey toé ! Le rythme ous’que tu l’as laissé petit mangeux de marde, on te laissera pas tu seul deux menutes on va te faire un beat du yable. Ma face de chien on t’haït. Hey le mangeux de balustre envoèye charche nous, charche nous tu nous trouveras pas on va te suivre jusqu’à la mort. « Écrire simplement suppose toujours un esprit complexe mais qui sait choisir ; un esprit « simple » écrit prétentieusement parce qu’il sent son vide », C.F. Ramuz.

Pauvre salope ! On va te donner juste assez de corde pour que tu te pendes criss de peau de cochon, tu te fais des accroires, t’as qu’à te fermer la yeule. Grammatica écoute des chansons, souvent et longtemps, il pleure. Je suis un miteux. Hey toé ! Agace nous pas t’est incapable d’être le moins que rien tu réussis pas, tu tombes tout de suite dans les sentiments, on veut te voir pourrir vivant te faire dévorer les yeux par des rats. J’attends Grammatica, je l’entends plus, muet qu’il est dans sa paranoïa. Elle, elle porte un chapeau bas sur le front d’énormes lunettes fumées, Grammatica a rabattu sa casquette sur son visage. Elle trouve important d’être photogénique. Elle veut poignarder Grammatica. Hey toé ! T’es une ostie de plogue. Grammatica erre dans la ville ses yeux regardent mais ne voient plus rien, voient pas elle à ses côtés qui hurle comme si ils étaient dans un étau. Il est loin maintenant Grammatica y’a que d’étranges mots qui lui passent dans la tête, reloin, parcon, sontab, bibon, biba, plon, psein, pactron… Elle hurle. Grammatica sait que ses mots sont des préfixes et des suffixes interchangés. Grammatica il a tout ça dans la tête, peut pas exprimer, ça sort pas étourdi par la cacophonie il va au vide avec elle. Grammatica n’a plus de monde elle le guide en criant au travers de la présence des autres. Grammatica est toujours dans l’obliveon. Il est hors de toute communication, elle le tire toujours en hurlant. La nuit le seul moment où elle arrête. Ils se couchent sur des cartons et elle écoute sa respiration. Pour Grammatica ça y va en grand ça défile dans sa tête, il se demande combien de temps ça lui prend pour passer d’une syllabe à l’autre. Il entend rien garde les yeux ouverts voit qu’un halo de lumière. Elle, je l’attendais pour qu’elle lave l’injure, lui pour qu’il me dise un mot. Je savais pas qu’ils étaient rendus dans les hurlements et le mutisme. Je suis tombé dans l’abîme neurasthénique. Hey toé ! Le cave, qu’esse tu penses ? Nous faire brailler sur ta vie de raté sur tes rendez vous manqués. Elle et Grammatica s’épouillent comme des animaux, elle ramasse des sacs elle crie toujours. Hey toé ! Conte nous tes histoires de tante tes gang bang ça va nous titiller un peu. Elle se demande si je vais être là, j’y vais où j’y vais pas, je crierai comme toujours. Faut être mêlé en ostie tomber en amour avec une androgyne une femme qui a des airs de petit gars. Y’a ce fou de Grammatica avec elle qui hurle à mort qui crie la douleur à des milles et des milles. Hey toé ! L’écrivant, monte un peu sur le pont on va te montrer la bonne hauteur pour sauter. J’attends Grammatica il pense plus à ses vêtements. Elle est en noir comme pour veiller Grammatica elle ne crie plus c’est devenu juste une longue plainte. Grammatica commence à se frapper le menton se cogne la tête sur un mur. Elle geint toujours. J’ai pas de pouvoir sur elle ni sur Grammatica. Je lui achèterais bien des fleurs à elle, pour qu’elle oublie Grammatica, c’est encombrant des fleurs c’est embêtant, on, surtout elle, sait pas quoi faire avec ça. Grammatica c’est l’homme des mots perdus. Il fixe le mur tourne le dos à la lumière Y’a une musique dans sa tête du Varese avec des onomatopées. Elle a recommencé à hurler. Elle en avait assez d’être la grosse gentille compréhensive. Ils sont entrés dans le métro à cinq heures trente du matin. Elle s’est apaisée, la lumière du néon, le semblant de calme dans la station. Elle a regardé la céramique du métro Papineau. Ils ont fait toutes les lignes d’un bout à l’autre. Grammatica lit le nom des stations ça se rajoute dans sa tête. Ils n’avaient plus conscience de l’heure ou du temps. Le participe passé employé sans auxiliaire s’accorde avec le nom auquel il se rapporte. Grammatica a une auxiliaire, elle, peut pas vraiment dire qu’il s’accorde, dans son mutisme. Elle est un complément d’objet direct. Grammatica peut s’en passer. Il reste assis sur la banquette de la station regarde les rames passer ad vitam eternam. Elle pleure jaune dans l’hystérie qui explose. Elle peut d’un coup de main arracher mon sexe. Elle attend dehors se répète faut que je quitte Montréal. Elle a de gros seins. Je veux lui offrir des pantalons bavarois. Elle pense se servir de son foulard pour en finir. Elle étais confesseuse écoutait et remontait. Grammatica marche, il aperçoit des lueurs. Je sais plus qui de moi ou Grammatica était le plus snob un soir de beuverie il a voulu m’entrer son index dans le cul. Le son de la pisse dans la cuvette m’empêche d’entendre les mots du poète. Grammatica parle plus mais a retrouvé la vue, il ne semble pas comprendre ce monde, cette ville ses habits sont souillés. Elle, je sais plus où j’en suis avec elle. Je la laisse aller. Son monde je ne sais par quel bout il rejoint le mien. Elle adorait les ténors, Grammatica est pourtant muet elle n’a que son regard perdu dans les immensités insondables. Elle m’appelle le fou. Grammatica sent qu’il doit quitter cet état de zombie, il hésite la peur, peut pas accepter de se faire blesser de faire écorcher son amour propre. Elle est une vertueuse de vert vêtue au vêtement volant vers la vue du vieux vivant en veuf. Je connais ses pas à Grammatica il laisse un bruit traînant à la façon des nobles d’un autre temps. Il est assis face au mur, il se rappelle une présence y’a encore beaucoup trop de mots qui trottent dans sa tête. Elle, tout le monde voulait la botter c’était un coup facile après ils partaient. Lentement des souvenirs apparaissent au travers des mots, ses nuits sur les marches de la bibliothèque nationale. Soudain ça se referme ça s’endort. Pris au piège dans des milliards de mots Grammatica a jamais eu de vie. Elle est partie je ne sais où. Les mots attaquent de plus en plus Grammatica. Maintenant elle chante. Hey toé ! Essaye pas de nous perdre on est là on te regarde te débattre avec tes conneries. Tu nous fais pitié, tu fais pitié mon gueurlot ! Va, va faire ta marde ! Grammatica aimerait que son esprit devienne vierge sans stimulation. Ses sens sont amplifiés ça le plonge dans la confusion. De quel acabit est ta bite. Chez elle y’a un chat cancéreux et une odeur de merde. Elle a déjà été belle maintenant elle fane et bouffe d’énormes Toblerone. Elle vit dans ses souvenirs et parle d’engagement social comme d’autre parlent de sport. Elle m’a vraiment fait manger de la merde. Elle dit que je dois cesser d’écrire, écrire ces deux âmes brassées par la vie. Elle fait la liste de ses amis militants. Elle a pas cessé de me dire de vivre dans la réalité. C’est ce que ça donne se prendre pour un autre. Je suis rien, une parcelle de monde dékrissé. Dieu doit savoir. Je cherche Grammatica pour qu’il s’occupe d’elle. Elle a toute ma tendre affection mais je peux rien faire. Je pense à Grammatica seul dans un monde fermé a quoi il réfléchit. Il sait les choses mais ne les sent pas ne les ressent pas. C’est quoi cet univers pour qu’il refuse d’en dire un mot sur quoi il accroche ? Quand le soleil se couche, elle va au parc monte debout sur une balançoire et essaie de déjouer la pesanteur. Grammatica compte maintenant et un et deux et trois un rythme les mots sont trop longs où trop courts ils ne se placent pas, pas de verbe, pas de phrase que des mots épars divers. Y’a les mots horribles, viol, inceste, suicide, pendaison, trépanation, empalé, torturé, sodomisé, électrocution, injection, abus, profanation. Grammatica sait plus, sait plus. Moi aussi je sais plus, je pense à mes deux évaporés mes deux étourdis. Hey toé ! Quand est ce que tu vas la fermer ta gueule maudite femmelette. Grammatica se demande qui c’est le type qui se reflète dans une vitrine. Il retourne vite à son beat et un et deux et trois… Sa tête est un puzzle c’est la mort qui trotte dans son cerveau ex communicado. Cette histoire c’est une agonie la mienne comme celle de mes deux restants. Elle veut de l’amour au poids. Grammatica hallucine des femmes de néon, Babel est dans sa tête. Je l’attends dans une pizzeria du métro. Je suis pas certain qu’il se souvient. Je crois qu’il va se fier à son instinct comme un animal blessé. Hey toé ! T’attends pour rien ton freak viendra pas. Sale con ! J’attends quand même peut être qu’elle ? Elle aussi va passer. Elle est passée exhubérante dans sa misère. J’attends de voir son visage dans la station. Je tremble tout tremble. Je vois rien qu’un tas de gens. J’ai aperçu Grammatica, passé tout droit, il a pas pu, il était sur sa planète alphabétique la barbe sale pleine de bave, un vieux costume crasseux. Je sais ça fait cliché, Grammatica a longtemps traqué les clichés en est devenu un. Je veux couper à travers les chemins de traverse, semble que mon cheminement n’est pas celui là, raccourci facile mais souffrant. Le chien sale, le chien sale à Grammatica est parti. Il a longtemps regardé le métro passer il a sauté le salaud pendant que je l’attendais. Pour Grammatica le monde était partout pareil. Elle, discute seule avec le fantôme de Grammatica, délire, l’engueule, parle à son souvenir et dérive de station en station comme pour un long chemin de croix.

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Rythmé par des interruptions régulières du narrateur, « mêlé », par une voix agressive et insultante, un texte enlevé et accessible.

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Paysage 887 : Olives, Corse (2009)