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Foyer à ciel ouvert de littérature contemporaine européenne

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Repeat

Bernard Saulnier

avril 1999

Dehors y’a un deal de dope dans une voiture stationnée devant l’immeuble. Le silence provoque l’angoisse. Je pars, Toronto, Boston, Québec, Chibougamau. Dès neuf heures c’est le gouffre, je suis pris comme un rat dans un coin. À quand mon heure ? Accroché par les poignets, la caresse de la faux sur la jugulaire. Au lac acide le suicide assisté, mourir sans arme me fait peur. Un immense bloc noir, je pense au néant. I am a houndog on Greyhound, je m’enfuis dans la nuit. Un criss m’éviscère, quarante cinq chromé. Ça fait tilt dans ma tête, tout est éteint. De vieux rockers et de vieux truckers pathétiques sur la quatre cent onze. À bout de munition je ne veux laisser aucune trace tout ça c’est bien enfoui trop bien enfoui. Le Sud Américain a un accent à couper au couteau, il se prend pour Jim Morrisson. Il ne garde de ses racines que l’espagnol, il joue au billard, dans une taverne, au son d’une musique des années soixante, Riders on the storm. Il se détruit lentement parfois il a des ecchymoses sous les yeux. Il garde toujours ses cheveux humides et lisses. Il sniffe un petit remontant, sa copine se fait une gloire d’avoir marié un junkie. La nuit va être longue. Je me tape le quartier gay à pied, j’entends des rires gras et faux. Les voyages c’est pas pour moi. Je cherche un fil conducteur entre mes allées et venues. Dans le miroir je me reconnais c’est moi Narcisse Saulnier. Je me blesse le nez. Des conversations qui tournent aux alentours de rien. La vie défile comme une idée déjà mûrie et assimilée. Ne reste plus qu’à attendre c’est long très long. Je suis comme la bille du pinball machine, je n’arrive jamais à la partie gratuite. Y’a ce show de blues en plein après midi au Rising Sun. Nowhere to run no place to go it’s ten below got some spare change chum I know I am a bum I don’t need sorrow just a few blow, gimme some fun, the journey is so so where will I end with no dough. Je suis pas Lowry. J’observe le visage des femmes sous certains angles même les plus laides sont belles, y’a une voiture qui passe avec des haut parleurs, le type gueule des joyeux Noël. Je m’égare. Un meurtrier de ma connaissance n’a aucun remords. Quoi faire d’autre avec la mémoire des lieux des gens des odeurs et des choses, raconter, raconter simplement comment l’hiver est long dans la démence, la lourdeur des heures de paranoïa incontrôlable. La jungle urbaine est si sordide, quinze ans dans le merdier les escaliers, les enseignes lumineuses à la campagne ce serait le ravin ici c’est le bas fond. Y vendent pas de drogue illicite au drugmart. Riding sweet and fast, je fous le camp dans la matinée. Dazed and confused de Led Zeppelin. Je bois toutes les nuits je drague des filles faciles je suis pervers. Je téléphone y’a pas de réponse de toute façon je vais mourir un jour, vil et puéril, menteur et irresponsable. Je suis blessé et je frappe. Je suis pas un chêne ni un bouleau pas plus un érable qu’un platane pas même une fleur ni une mousse. Je suis pas un saule ni un palmier encore moins un hêtre ni un roseau. Je grandis pas je donne pas de fruit ni n’éclos. Je fleuris pas. Je ne sens plus mes jambes elle sont engourdies. J’ai perdu ma virginité morale et ma confiance en l’être humain après l’accident. Je suis là au bord de l’autoroute, le visage ensanglanté tenant le lambeau de chair qui me pend dans le visage. J’ai un mandat à changer. La misère me colle dessus comme de la gomme de sapin. Cash has no colors ! Je ne partirai pas d’ici, bloqué, quelqu’un siffle je suis dans le red light à neuf heures du matin. J’ai hérité du ciment et de l’asphalte. Isn’t it a pity. La flic enfilait ses gants au cas ou y’aurait de la bagarre. Je lance la bouteille de bière elle éclate sur le plancher je crie mon dégoût de la vie. Ma désespérance est innée. J’ai tué Mickey Mouse Donald Duck et compagnie ne reste que la démarche d’un junkie. Une commotion cérébrale provoquée par un poing dans un gant. Cet ego destructeur cette âme pourrie. Nord Ouest de Montréal, métro Henri Bourassa autobus soixante neuf. Ils veulent me casser le nez pour le redresser. Y’a du plomb dans mes mots, Tide lave plus blanc que blanc on retrouve pas sa virginité pour ça. J’essore mon vocabulaire c’est d’un sale gris lavasse du vrai jus de bas. Destination Bordeaux beach, le trou carcéral provincial, on m’a mis sous arrêt, une voiture de police est arrivée on m’a fouillé et enfermé dans une cellule après m’avoir pris mes objets personnels. Y’avait deux téléphones j’ai appelé un copain afin que ça n’aille pas plus loin. Y’avait un Brésilien avec moi il parlait portugais je lui ai pas dit un mot, j’ai passé une partie de l’après midi dans cette cellule, je sais pas combien de temps des détectives s’activaient dans l’allée. On a pris le fourgon cellulaire pour Bordeaux, j’étais menotté à un autre détenu. Il faisait froid dans le camion la banquette était raide, le chauffeur passait dans tous les nids de poule, un gars m’a donné une cigarette. On a attendu un bon bout dans le fourgon, une fois entrés on nous a enlevé les menottes et nous sommes passés dans un cubicule, nous étions six, j’attendais mon tour, j’avais peur, j’étais anxieux, un type a raconté quelques histoires d’horreur. Mon nom est sorti du haut-parleur on a pris ma photo mon identité et quelques autres questions. Le garde a fait venir l’infirmier, il m’a demandé : « C’est quoi ton problème », j’ai dit la schizophrénie, ç’a été la fouille à nu. On m’a donné une couverture et des articles de toilette. J’étais seul dans une cellule. Je me souviens plus combien de temps j’ai attendu. Ils m’ont libéré mon copain avait payé. Un mexicain vêtu comme un caballeros chante des complaintes espagnoles. Who cares ! They are all going home. Deux Amérindiens à grandes gueules sont montés à bord du wagon parlent de sniff et de pacemaker en rigolant. Un couple de punks fringués avec de la belle guenille s’embrassaient, des anarchistes aux belles dents. Joe voulait se faire sucer, homme, femme, travelos, camés ça n’avait aucune importance. Dunkin Donuts ça peut se traduire par trempe ton beignet. Un type se curait le nez un autre baillait à lui voir les amygdales. La fille gobait des comprimés, j’ai pas demandé les clés de la pissoire du faubourg. Toujours la même chose bouteilles de bière cassées vomissure gelée restait cet arbre en polyuréthanne dans la cour de Concordia University. J’ai le choix entre un peep show et la bole de Renaud Bray. Tiens, tout à coup je suis en voiture, je roule à une vitesse de fou, y’a de la glace noire sur la route. Soudain je dérape tout se passe au ralenti, l’arrière de la voiture va vers la gauche l’avant vers la droite, je vois le clos, le fossé, l’horizon bascule, un tonneau, la ceinture de sécurité me donne une douleur à l’épaule gauche, ça sent l’essence, je sens la portière contre moi, le pare brise éclate, le toit s’écrase sur ma tête, du sang me sort du nez. Une femme pense qu’elle va se marier avec le Christ, elle mène une vie dissolue multipliant les aventures sexuelles avec comme prétexte de prendre de l’expérience pour satisfaire son futur mari. À quoi sert ce cœur oublié par Dieu obnubilé par ce manque de souvenirs. L’enfer est doux à coté des barreaux qui emprisonnent mon âme. Pusher, avec ma casquette irlandaise on m’attaque à coups de marteau dans les toilettes de la brasserie. Je bumme vingt dollars me tape des histoires de trucs volés. Au resto bar La Skala la fatigue vient vite comme trois heures du matin. Du temps comme de la vitesse de croissance d’un crâne. La jeune fille assise devant moi a vu ma braguette baissée ça l’a effrayé. Elles me font capoter quand elles jettent un regard rapide entre mes deux jambes. Hier à Bordeaux y’a eu une émeute, une livraison de dope ratée. Dans mon enfance y’a des policiers de fer blanc peints en bleu qui indiquent l’arrêt. Je finis tramp dans le bas de la ville emprisonné dans la paranoïa, la maladie mentale. Une vie de cul prise comme de la merde. Je rêvais d’être Batman personnalité schizo. Je regarde les traces de la voiture. Je délire au bar en callant des bières dans ma folie j’y vois une entrée facile pour des immigrants français illégaux. Je me sens prisonnier de mes faux raisonnements enchaîné à ma petite galère quotidienne, l’autodestruction prend le dessus. Je me gratte la chair au sang. Je suis fébrile ce matin encore devant le vide d’une journée, et maintenant que vais-je faire de tout ce temps que sera ma vie. J’ai le front rempli de plaques rouges. Real life habit. Comment traduire ça comme si il y avait une fausse vie et une vraie vie, mes habitudes dans la vraie vie. Où elle est la fausse vie, elle peut être fausse à cause d’une certaine morale empruntée. Les moutons noirs ne croient ni à Dieu ni à diable. Ce matin sur l’afficheur Vo BN de là à veau banque nationale… Ils discutaient pléonasmes et d’une copine qui travaillait dans un café. Jazz bluesé dans une nuit d’errance d’un club à l’autre, d’une boîte à l’autre. Y’a une mélancolie dans cette musique. Un hang over je pue le fond de tonne et la nicotine hier je jouais au flambeur dans la demi obscurité. J’ai ramassé une autre épave nous ne voulions que nos corps. Les canailles de toutes les espèces se réunissent pour s’assouvir pour remplir leurs âmes vides. Y’a plus rien qui gèle, je fume en prenant la porte de sortie arrière. C’est de la neurasthénie. J’ai donné ma guitare. Je suis toujours dans l’à peu près à proximité du bâclage. Dans l’ouest de Montréal ça sent le parfum dispendieux comme si ils embaumaient les déchets. Je ne fais que des cryptogrammes illisibles. Un éclopé se fait voler son téléavertisseur l’autre a été battu, le guichet bancaire ne fonctionne plus faute de fonds, c’est la galère. Je me réveille sur le trottoir, dans un appartement inconnu, dans un parc. Je pense à Judas comme étant un ostie de chien ayant vendu le Christ pour trente pièces d’or. Évidemment ça sonne comme de la folie. Douze février place Gamelin un abîme de gratte ciel et de pas perdus. Je suis pas un tire la dent de la gloriole. J’ai sauté une coche. Y’a les éboueurs et le camion de la brasserie équipé d’une grue téléguidée. Des placards gauchistes. Derrière y’a la ruelle et des cours enneigées, une moto passe l’hiver pas protégée sur un escalier de secours y’a une pompe à chaleur, une terrasse dévastée avec les vestiges d’un poêle BBQ, un traîneau en polystyrène, si je regarde au dessus des toits je vois le Mont Royal. Des jeunes cinéastes tournent en seize millimètres, une jeune fille transportant la caméra se met à jurer comme un charretier c’est une façon de se donner de l’importance. Y’a Jean Sébastien Bach qui est toujours là. Deux artistes d’un ton affecté chient sur le peuple. Elles font de l’Art avec des concepts obscurs. La camée se croit enceinte du Saint Esprit. Un nouveau Messie vient au monde, toxicomane héréditaire et halluciné congénital. Je pense à une chambre de plomb kafkaïenne avec seulement un guichet pour la nourriture. Quand j’écoute les oldies nine ninety CKGM je suis dans une ville de province ou perdu en forêt dans un état américain ou une arrivée à Thunder Bay, la métropole en prend pour son rhume. So I went crazy ! Je suis devenu fou manquant de sommeil délirant dans une langue qui n’appartient qu’à moi. Je crie mon long monologue. J’ai peur de l’empoisonnement, décharné je me fais des violences insupportables. Je psalmodie des choses insensées. Matricule cent trente et un sept communiquez ! They say get a life ! À quelle heure on meurt, ils veulent m’enculer, je suis un pleumas. En bas profondément sur le gravier, dément, des soubresauts émotifs, je racle et j’étouffe au mur des lamentations faites à Dieu. Billy Idol, Rebel Yell, Robbie Robertson, Somewhere down the crazy river. Je suis acouphène. Je pense à l’antéchrist des choses disparaissent et reviennent. Au bar dans une pièce contiguë y’a des jeunes filles qui jouent sur une table à faire tomber des soldats de plomb, j’entre par la porte de droite et sort par une autre à gauche, j’ai un sac de toile, le bar est dégueu des crachats partout des types ensanglantés, je me retrouve avec une guitare brisée. Je suis dans un appartement au dessus d’un escalier en colimaçon aux marches inégales. Je cherche le bar Guinness un vieux serveur embrasse une femme, je bois un scotch, le bar est dans une ruelle, j’ai un morceau de peau qui se détache sur ma jambe. Je suis toujours en plein cauchemar. Tie a yellow ribbon around the old oak tree. Mustang Sally, I’ve been mistreated. Un lounge c’est une boîte à ragots. Le ventre et le visage enflés par la bière on se frotte sur la piste de danse dégoulinant de sueur tout le monde se trémousse dans l’odeur âcre et la puanteur de la fumée c’est vraiment trop chaud je m’installe sous le conduit de climatisation de quoi attraper une pneumonie, les âmes souffrent plus noires que la pièce. Gibbys a trois bouteilles de fort sur son bureau, gros, il est incapable de se déplacer de sortir de son lit, c’est un ancien prospecteur qui joue à la bourse. Il me raconte l’histoire du wiseman canadien français qui pour faire vivre sa famille achète un hôtel dans le nord de la province. Walk on the wild side, Lou Reed. La nuit les rues sont infréquentables dures et froides, couillard ! Si tu veux. Je suis saoul je joue au billard, Boston. Le portier s’étant fait demander mon nom, a répondu Arthur. Arthur c’est trop d’honneur comme le grand Rimbaud. Un petit crotté ça devrait fermer sa gueule. Le sang dégouline sur le rideau de plastique. Blue rondo a la turk, Dave Brubeck. Ça sent la nuit torride d’un pas rapide je retourne chez moi après un one night stand, bien baisé pas dormi pris une douche et suis parti me faire cuire deux œufs. Mes fringues me donnent des allures de noceur. Drifting de baise en baise, I did it my way de Sinatra. My way la débauche ! I am a poor cynical dandy qui mange dans les missions. Dans ces trous à rats y’a que des camés étendus sur de vieux fauteuils forties brûlés, ça sent la pisse. J’ai des neurones en trop faut que je les brûle. L’Amérique est parfois morne et plate. L’hiver le port est déserté, à part quelques trains dans les gares de triage adjacentes on y voit pas grand-chose. Le boulot je m’en fous, je dors, ce soir je recommence la rumba je banderai sur une femme. Toujours l’odeur de sueur de gros gin qui reste. Je refuse parfois je me fais l’impression d’être une guidoune. Try to change the system from whithin, Leonard Cohen. Je suis un sans génie. La félicité est trop loin quant à l’exaltation je la tiens à des lieues. Les appareils ménagers ML ML ! Marxiste Léniniste. Assis devant une rangée de bouteilles sur fond miroir je vois ma gueule défaite. Je commande un verre pour partir vite dans la rêverie. Je donne toujours cinquante sous comme pourboire. Je prends une gorgée, y’a plus de magie, y’a longtemps qu’elle n’y est plus, ça jacasse, ça s’esclaffe. Je coule, je coule. Je suis un morceau de peau de cochon nourri à la rancœur. Ils nous ont vendu du psychédélisme à l’adolescence pour nous laisser éventrés dans un fossé au bord d’un rang abandonné. Je… Ici, maintenant, y’a la radio, la télé, l’ordi, le pupitre, les photos, la bibliothèque, les livres, le téléphone, des cassettes, le futon, des couvertures, le frigo, des aliments, le poêle, la bouilloire, le grille pain, le coffre, la commode, le garde robe, le garde manger, les chaises, la table, les cahiers, les onguents, le jeu de cartes, les cigarettes, la bicyclette, le sel, le poivre, les clés, le carnet de banque, le cendrier, le prospectus de la pizzeria, la boîte de kleenex, les pinces, le coffre à outils, la montre, le briquet, le porte cigarettes, le baladeur, le dictionnaire, les mots, les maudit mots qui me mutilent.

Lexique

guidoune : prostituée
ostie : juron (une ostie de chien : une saloperie de chien)

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Paysage 406 : Lac de Côme, Italie (août 2007)