Le Glauque

Bernard Saulnier, juin 1999

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Le glauque rêve toujours d’un grand destin, du glamour. Tout ce qu’il a c’est sa famille, à part ça il écrit. Parfois un brunch familial vient briser la monotonie de ses journées. Sa mère à soixante-cinq ans s’entête toujours à dire qu’une certaine animatrice de radio est originaire d’Odanak plutôt qu’Oka. Sa sœur employée de la société des alcools prend son job à cœur elle parle des vins avec la rustrerie d’une buveuse de bière. Le glauque est si malade que tout ce qu’il lit il a l’impression de l’avoir déjà lu, il tourne en rond. Les voitures devant chez lui ne tiennent pas compte du sens unique ni du feu rouge. Le glauque se demande quand il va se faire frapper écrabouiller banalement après une course. Le glauque est un casque de bain ignorant. Gros soleil ! Le glauque revient de la bibliothèque il s’attarde à un souvenir de fraîcheur dans un chalet fermé pour l’hiver. Il est dans un passage à vide pas de retour du fils prodigue. Le glauque est amoindri défait sans patrie sans terre sans métier. Il ne sent plus cette urgence d’écrire. Que des entraîneuses et des bars, elles sont jolies malgré la pénombre, le moment qu’il déteste c’est quand assis face à face elles se jouent dans les cheveux, tirant une couette l’enroulant autour de l’index. Il avait la danse de Saint Guy. Le glauque se rappelle la laiterie où on sépare la crème du lait, en traîneau avec le grand il pleure, le grand lui montre le pis des vaches et le sien. Ils ont peur de dealer la dope. Ils restent assis chez eux bien tranquillement pendant que le glauque se rend dans les trous à rats pour un gramme ou deux. Le glauque se voit dans un grand jardin rempli de fleurs multicolores et d’odeurs enchanteresses. Il marche à l’ombre des ormes. Tu le trouves beau toi le monde quand des mongols à batteries des wisigoths des ostrogoths et leur hannibal assis dans des machines vous rient dans la face. Y’a toujours les œuvres de satan, le mal qui prend des formes pernicieuses quand les hommes se prennent pour l’ange Gabriel. Le glauque écoute Don Giovanni à la radio ça prend toute la place ça meuble l’angoisse. Le glauque est un imprévoyant imprévisible. Dis ! T’a déjà cherché Dieu toi ? Le glauque cherche et ne trouve pas il paresse au lit l’oreiller imprimé dans la figure c’est rien de très édifiant. I’m fuckin gonna fly fly my way to the sky I won’t say why gonna stay high high as my my question of fright. Y’a un arbre tronçonné devant, le glauque a vu des cadavres au bulletin de nouvelles télévisées, l’horreur chez lui par la lucarne lumineuse les choses continuent dans le même sens. Le glauque va littéralement s’accrocher comme les quartiers de viande vus à l’abattoir. Ils disent qu’il prend un tournant dans sa vie, ça l’écœure. Le glauque est sur une ligne droite sur l’autoroute de l’enfer, il a eu un lift jusqu’à l’accueil Bonneau, il ne comprend pas, tout ce qu’il trouve à faire c’est de prendre deux grosses bières à onze heures le matin. Il habite nulle part sans le sou, la misère monétaire, une chose, morale, une autre. Le glauque crève son âme il y entre une lame, d’éclair, d’esprit, tout ce mal qui l’affame. The rat race is over y’a que son ombre qui le suit et parfois… Le glauque est au bar il pelote une fille il veut manger, la fille veut rentrer avec lui, elle lui paie le repas. Le glauque lui dit qu’elle est trop laide après c’est l’orgie à quatre le glauque se sent d’un ridicule. Pris de peur il brûle son petit livre rouge. Devant quitter il se met à hurler comme si tous les démons de l’enfer étaient après lui. Le glauque va dans son n’importe quoi il lit Stendhal Le rouge et le noir. Il entend des claquements venant du plafond ça dure toute la nuit toutes les nuits. C’est une histoire de galère mal barrée, les timbales résonnent toujours dans sa tête. Combien d’idioties il a dit entre deux séances de masturbation à ville Mont Royal et la bourgeoise qui panique. Le glauque est dans la boîte d’une camionnette il fait de petites fraudes pour la dope et l’alcool les gars crèvent de leurs beuveries chient dans leurs pantalons. Le glauque à treize ans est balafré, il se saoule à la taverne du Central un gars après avoir versé sa bière sur lui, lui donne deux ou trois coups de poing sur la gueule. Le gars est mort dans un règlement de compte. Le glauque s’enfuit dans le bas du fleuve chez des amis macrobiotiques, le yin, le yang, le tofu, les lentilles, les baguettes c’est pas son truc il reste là quelques jours le temps de dessaouler. Pour le boulot pas de problème, peintre, soudeur, assembleur, bois, métal, glauque déteste ça, être enfermé huit heures à faire la même chose il a besoin d’air, le monde semble pas assez grand pour respirer. Glauque étouffe toujours saoul, il se hait, un désir de mort, des attitudes suicidaires, parfois trop saoul il couche sur le trottoir. Glauque est paranoïde il ne mange plus de peur d’être empoisonné. Il vit avec un litre de vin par mois et ce que les autres veulent bien lui offrir. Glauque vacille c’est dans la fumée tout ça, dans la fumée d’hôtel qui brûle il dort dans une chambre pendant qu’ils démolissent l’édifice. Il voyage dans la débauche et l’irresponsabilité. Glauque connaît pas mieux l’alcool, la drogue, les filles faciles. Y’a pas si loin entre le cocktail de cinq heures et la bibine de la rue. Glauque était perdu dans ce monde d’artistes ratés. Ils adorent l’argent, faire la fête. Glauque passe dans le bureau d’une travailleuse sociale, cheveux blonds, perfecto. Elle est jolie. Il délire. Elle lui dit qu’il est laid. Il s’est pas rasé ni lavé depuis trois jours les cheveux longs et gras les joues lui entrent dans la bouche les yeux exorbités. Elle a raison. Arrogant dans une brasserie baveux et tapageur toujours saoul Glauque mange de la charogne il vomit ça dans l’automobile de son partner et couche sur la tuile froide du motel. Un soir de verglas Glauque marche au beau milieu de la rue sans penser que c’est dangereux, il frime au billard pour une bière. Un type le cruisait à coup de ligne de poudre la bouteille de mescal avec le ver la vodka Glauque est black out. Rythme saccadé par les peintres sur la rue Mont Royal. Glauque rencontre une vieille connaissance, elle souffre l’œil humide et la désespérance sous le bras il lui donne de la névrose sans se regarder. Glauque entre et retourne au quartier libre, ils sont tous étendus sur des sofas élimés ça fume ça sniffe. Glauque part en taxi et se ramasse là pour ramener de la dope chez un copain. Ils délirent toute sorte d’absurdités. Je sais vous allez dire ce type là est dégénéré si vous saviez… Aller retour en taxi pour s’en mettre une derrière la cravate. Glauque, vingt ans, déjà son bureau à la brasserie parfois il rigole souvent c’est jaune. Il vole des bouteilles dans un bar, se bat, lance des bouteilles aux clients, parfois du fond de son désespoir il pleure il se voit couler. Il ne parle que rarement sacre et borborygmes à l’arrivée et entre les pièces de l’orchestre. Glauque passe une semaine chez les fous, le temps s’étire et s’étire, la peur au ventre, le même beat aux odeurs et au goût de houblon une fois sorti. Il joue le loubard de service dans un bistro où ils boivent avec le petit doigt en l’air. Glauque se prend pour un prince. Le prince des emmerdeurs. Il marche des miles pour boire dans le quartier latin dans des bars pseudo branchés. Le vendredi soir il cherche une autre âme folle finit dans une taverne gay trop saoul pour s’étonner de deux hommes qui s’embrassent. Glauque trafique avec deux pusher dans un club de danseuses nues, sa boisson, le stinger, cognac crème de menthe. Il prend ça comme un jeu. Glauque débite le kilo de haschisch avec une lame chauffée. Il fait des portions d’un gramme et respire la fumée. Ils sont tous comme lui en révolte en quête d’amour, ils jouent les durs, la vie nocturne est une espèce de quête une recherche de mort entre les morts. Glauque se met en tête de vendre de la dope dans un bar miteux, il en parle à la barmaid toujours plus saoule d’une nuit à l’autre. Pas longtemps après un gars en harley les bras pleins de tatouages apparaît. Il ne dit rien ne boit pas. Glauque a le contact pour la poudre. Un soir il se rend, il s’attend à un deal de dope, il paye pour faire composer des musiques. Glauque prête vingt dollars à un copain pour de l’opium. Il attend dans l’automobile, une fois revenu il lui donne un morceau de merde, de la vraie, Glauque la gobe y’a pas eu d’effet. Il est fou sur l’acide devient suicidaire, il boit du lait et se retrouve à regarder la neige à la télé. Glauque lit tout, des potins par un travesti en passant par Jacques Ferron. Il est incapable d’attendre mais attend tout le temps. Il mange des baffes enfant dire qu’il est vicieux c’est de la connerie. Il est pas tellement pervers la préfère par-dessus. So everything has been written why don’t you go to Lowell Massachussetts same thing as everywhere house, church, shopping mall, McDonald. Glauque est pas drifter il dérive dans les rues, à part une tournée pépère en stop, Charlevoix, bas du fleuve, lac St Jean, Ottawa. Un rayon de cinq cent kilomètres de Montréal. Il vit sa dérive dans sa tête s’accrochant à des gens antipathiques. Glauque voit rien il souffre avec les rats. Le quatre vingt quatorze un alcool presque pur qui cogne dur. Dans une voiture garée sous le pont Glauque attend tout se passe dans la nuit il voit mal les visages. Le type approche de la voiture, en deux secondes il pouvait y passer ni vu ni connu, c’est ça le noir, le clandestin, l’underground. Glauque se retrouve dans un restaurant italien boit du vin mange une lasagne au son d’un accordéoniste qui joue O sole mio. Il se chauffait l’âme à la chair. Ça restait comme février et les comptes pas payés.

Lexique

baveux : personne qui provoque, nargue, taquine
Bonneau, accueil : soupe populaire pour les clochards
casque de bain : niais
couette : mèche de cheveux
cruiser : draguer
Ferron, Jacques : écrivain et homme public québecois (1921-1985)
lift, avoir un : se faire accompagner en voiture


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