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Mon grand-père, immigré fasciste raciste anti-français

Jean-Louis Costes

août 2001

Je m’appelle Jean-Louis Garnick Philippe Costes.

Garnick parce que mon grand-père s’appelait Garnick Sarkissian.

C’était un immigré arménien. Une merde. Un rien du tout. Il arrivait toujours pas à parler français après 50 ans en France, et en plus il avait oublié l’arménien ! Tout ce qu’il savait me dire, complètement bourré, voûté devant la télé, emmitouflé dans sa vieille pelisse en peau (de ?) mitée, c’est « salouparrrd, faaniant, ba a rrrien, ta ma daga ! ».

(« Ta ma daga » ? J’ai jamais compris ce que ça voulait dire… Peut être une insulte en arménien ?)



Quand j’étais enfant, et jusqu’à sa mort, il me terrorisait. Tout le monde avait peur de lui. Il était ultraviolent. Il restait toujours dans son coin sans rien dire (juste « ta ma daga ! ») en crachant par terre (il fumait trois paquets de gauloises sans filtre par jour).

Il dormait pas avec ma grand-mère (il se branlait ? il bandait encore ? il avait perdu la queue pendant la guerre ?).

Il dormait à part tout seul dans une petite piaule pourrave au dernier étage de la maison pourrave au fond de la banlieue pourrave. Personne ne rentrait jamais dans sa piaule qui puait sur le palier porte fermée (mais qu’est-ce qu’il gardait dedans ? des peaux de chèvre ? des cadavres ? il chiait par terre ou quoi ?).

Il nous avait tellement menacés qu’on était tous persuadés, petits-enfants et grand-mère, qu’il nous tuerait si jamais on rentrait dans sa piaule pourrave (de toute façon rien que l’odeur antre de l’ours nous terrorisait et tenait à distance, tout en nous fascinant, regard furtif de biais par porte entrebâillée vers le mystère de la chambre jaune pisse caca).

Des fois on arrivait à jeter un coup d’œil dedans : on voyait tout un bordel de vieux trucs de clochard : des bouts de carton, des France-Soir jusqu’au plafond, des vieilles fringues moisies (en peau de ?)… et des armes, partout des armes, des fusils, des sabres, des baïonnettes… Le musée de la guerre de 14 ! Et pour nous « bon-papa qui pique » (« qui pique » parce qu’il se rasait jamais de près et avait une énorme moustache de Staline), « bon-papa qui pique », c’était comme un ogre qui vous fait des bisous à la sortie de la messe en vous tripotant le cul ; mais qui après à la maison bourré un jour va me dévorer. Si je suis pas sage ; et même si je suis sage.

Il fermait tout à clé : sa piaule où il dormait seul loin de ma grand-mère (elle dormait à l’étage en dessous). Elle se vantait carrément crûment de pas avoir fait l’amour avec lui depuis au moins 40 ans. On aurait dit que dans sa petite tête bête de poule beaufe boulette, elle voulait comme se disculper à nos yeux pour s’être accouplée avec l’Arménien : « Bon d’accord, elle avait baisé avec l’Arménien, mais c’était une erreur de jeunesse ; elle était amoureuse (elle mouillait ! bonne-maman qui mouillait ! vous imaginez ?) ; elle recommencerait pas. » (De toute façon elle avait 75 ans couverte de poils ; on aurait dit une boule de graisse puante poilue ; et ma pire hantise c’était qu’elle m’embrasse… Elle adorait les bisous merde ! Ses baisers bave de dentier avec cette mystérieuse tenace odeur de chatte rance c’était mon cauchemar, bien pire que les baisers pédophiles virils de « bon-papa qui pique ».)

Et pas moyen de nous échapper. Elle nous sautait dessus, la vioque en chaleur. Elle se pendait à mon cou (elle était tellement naine que déjà à 7 ans j’étais plus grand qu’elle), elle s’accrochait, elle se frottait, et aussi, je sais pas pourquoi, elle larmoyait. On aurait dit que ça la rendait triste de nous embrasser, comme si elle nous considérait comme des enfants morts-nés, agonisants, handicapés ? Et elle nous embrassait et elle pleurait et elle bavait (je me demande si elle se pissait pas dessus aussi ? ça aurait expliqué l’odeur louche sous le parfum très louche). Elle était franchement dégueulasse.

Pas étonnant que bon-papa voulait pas la baiser ! Pas étonnant que je sois devenu pédé ! J’ai passé toute mon enfance élevé comme un hamster par une grand-mère boule de gras puante collante sous l’odeur de faux Chanel à deux balles — « Chamel » ça s’appelait ; et effectivement ça puait bien la chamelle mon pull, après que la vieille en rut éternel se soit frottée bisou-bisou beurk à mon cou. Et je voulais prendre une douche et changer de fringues pour échapper à son odeur sur moi qui me suivait partout jusque dans mon lit (j’ai eu mes premières bandaisons secrètes nocturnes baignant dans l’odeur rance « Chamel » chamelle des bisous à bonne-maman… traumatisé normal !). Je voulais prendre une douche…

Mais (1964) y’avait pas de douche. Fallait se laver tout nu, se faire frotter les couilles par la vieille avec son sale gant de toilette dans la cuisine glacée avec le vieux voûté devant la télé qui clopait sans jamais rien dire à part un « ta ma daga ! » par-ci par-là (il commentait la télé ? il insultait sa femme ? il parlait de ma quéquette recroquevillée sous l’eau glacée dans la main gantée de crin de la vieille experte ?).



Mon grand-père ne parlait jamais à sa femme ; il ne la regardait jamais. Il fixait l’écran télé sans arrêt, sans dévier, obnubilé buté sur Guy Lux. On aurait dit qu’il faisait semblant exprès. Je parie que la télé il en avait rien à foutre : il regardait la télé comme une insulte permanente à ma grand-mère : « ta vois salape, ja prafar ragarde la talé ka toi ». La télé, on savait tous pertinemment qu’il y bitait que dalle. Il voyait même pas les images. Il voyait que le cadre avec une lampe au milieu. Une lampe ka faisait des couleurs ka bougeaient, ça l’hypnotisait ! En plus, il comprenait pas le français ; il pouvait à peine lire (juste regarder ?) toujours le même vieux numéro en russe d’un journal pour immigrés tout déchiré. Pourquoi donc alors qu’il regardait tous les soirs « Des chiffres et des lettres » ?

Pour bien nous montrer qu’il avait rien à voir avec nous notre famille de Français de merde qu’il pouvait pas saquer. (On lui avait fait sentir pendant 50 ans qu’il était qu’une merde d’Arménien et qu’il ferait jamais parti du clan de petits petits tout petits-bourges de vrais Français, alors maintenant il la jouait snob devant la télé, sa dernière arme à faire mal. Les bâtards tonton tata papy mamie avaient bavé partout que ma grand-mère il l’avait envoûtée avec son sale « charme slave » et ses cheveux gominés en arrière aplatis noirs de maquereau à grosses bagouzes, et le Garnick ils l’avaient boycotté ; pas de Noël en famille, pas de vacances à la campagne, pas de cartes postales : « Ah petite salope, tu t’es maquée avec l’Arménien et ben dégage avec tes trois gosses tubards et tes gnons dans la gueule, t’es plus not’ fille ! »)

Cette petite conne de ma grand-mère, poulette provinciale naïve, s’était fait sauter à sa descente du train après un verre de vodka par le sale immigré ; et il avait fallu la marier avec le monstre comme elle était en cloque de ma mère. Mais quand au mariage ils ont vu sa gueule ses manières à l’Arménien (il paraît qu’il leur a fait le plan à la cosaque totalement pété à quatre heures du mat violant sa dulcinée dans la cuisine, son voile de vierge dans la purée), jamais jamais le clan des « fils de mon fils » l’avait accepté : ignoré renié méprisé le Garnick Sarkissian par Monsieur et Madame Chabert, leurs vieux et leurs enfants. Les enculés de Français ! Ca valait bien quelques « ta ma daga ! » les yeux rivés sur Cloclo !



Donc il haïssait sa belle-famille, puis aussi logique sa femme — ça s’était vite dégradé l’histoire d’amour dans la chambre de bonne pourrie entre la petite salope provinciale qui voulait « vivre, profiter, réussir » et son gigolo d’Arménien qui branlait rien (de toute façon il savait rien faire). Des fois il livrait du caviar pour Petrossian chez les riches et il m’emmenait dans la deux-chevaux camionnette. À l’arrière je voyais Paris défiler à l’envers dans les cahots par le hublot, accroupi entre les caisses de caviar et saumon qui puait. (Ca ressemblait l’odeur de bonne-maman baisers pourrie de la moule.) Mais la plupart du temps il était chômeur au temps de pas de sécu pas de rmi, et il aurait crevé de faim sur le pavé si y’avait pas eu la naïve provinciale perdue à la gare et il l’avait « aidée » à porter sa grosse valise et trouver l’hôtel ; tellement serviable et belle moustache que ça valait bien un écartage de cuisses.

Mais vite l’idylle avait merdé : direct il lui avait éjaculé ma mère dans le cul, mais, bien avant qu’elle soit née, c’était déjà haine rancœur pleurs malheur. Elle bossait chienne femme de ménage dans les étages bourgeois du bas ; et il zonait les cafés, rouge gauloise rouge gauloise. Et le soir il la violait à la cosaque bourré, puis il lui cassait la gueule parce qu’elle avait vaguement versé une larme ou parlé de maman ou n’importe quel prétexte. Il aurait voulu faire jardinier chez les beaux-parents mais ils avaient toujours refusé qu’il foute les pieds, jamais ! Et la haine en lui avait grandi.

Il avait compris que la France serait la prison définitive où il mourrait, et il se vengea sur elle, la petite boule rose française à sa merci ; la jeune fille qui l’avait tant aimé un soir après la gare. Et en tous deux avec le temps la haine grossit, au temps où le divorce était pire que les coups la haine les pleurs le malheur. Mieux valait mariée à l’Arménien que fille mère à l’asile pour les salopes.

Donc elle encaissa 50 ans et la haine fut sans limite : il brandit le sabre, lui tailla la joue et un sein ; il chargea le fusil et tira dans le berceau — le berceau fut percé mais ma mère intacte tendit ses menottes vers papa, et bonne-maman parla toujours de miracle (je suis né du cul d’une miraculée ! sans la bienveillance divine pas de Costes !).

Elle était à sa merci, seule dans Paris dans les bras puissants de l’immigré, rejetée par sa famille, épuisée par les bourgeois, berçant bébé, seul bonheur entre les guerres qui tuent les frères, les crises économiques ; tout ça de la bibine à côté de la vie dans la piaule du sixième où les cris les coups les pleurs pour les voisins n’étaient que du bruit. Ca suffit ce bruit ! Il lui cognait dessus et les voisins cognaient au plafond.



Et 50 ans plus tard, moi né eux vieux, je passe les week-ends « débarrassons-nous des enfants pour aller au club d’échangistes » chez « bon-papa et bonne-maman », et je vois la haine les coups mais plus de pleurs. Juste des lèvres closes, des yeux mi-clos, des professionnels de la haine au quotidien. Depuis le temps ils savaient gérer ! Je comprenais rien mais je sentais. Quelque chose confusément. J’étais dégoûté par l’odeur de malheur de la vieille et terrorisé par le vieillard tueur.

Mais où donc que ma grand-mère elle l’avait trouvé son Arménien ?



Mon grand-père Garnick Sarkissian est né en 1900 dans la partie de l’Arménie déchiquetée entre Empire ottoman et Empire russe. Son père était un marchand de chevaux prospère (les chevaux, alors arme de guerre numéro un, se vendaient bien dans ces régions frontalières presque toujours en guerre : on chargeait encore au sabre, cavalerie corps d’élite des armées) ; et ma foi, papa à Garnick accumulait pépètes dans bas de laine moujik.

Garnick, seul fils, serait riche héritier. Garnick, le fils adoré adulé couvé par le père (mère morte génocide 1915).

Garnick, élevé par papa poule bouffeur de moujiks, était heureux : force juvénile, beauté du mâle dans les steppes à cheval, admiration des filles. Destin heureux tout tracé : il vendrait des chevaux comme papa. Ca tombait bien, il adorait les chevaux. Il se marierait avec une de ses nombreuses amantes qui risquaient la mort (code d’honneur virginité tueur) pour prendre sa grosse queue de fils de riche beau bronzé bon parti dans les prés. Il se marierait avec celle de ses amantes engrossées non exécutée par son frère.

Celles qui le suppliaient de l’épouser sinon « mon frère me tuera », à coups de pieds dans le ventre gonflé il les jetaient. Mais un jour passé vingt ans, poussé par son père, il finirait par accepter la loi le mariage l’âge adulte l’héritage. L’amante numéro 883 elle ne serait pas piétinée à mort dans le purin, il l’épouserait et, sauvée in extremis du martyre, heureuse et fière échappée belle, il la prendrait dans ses bras à la sortie de l’église, et les moujiks beurrés danseraient sur les genoux et le pope bienveillant donnerait sa bénédiction d’encens…

Donc, en 1917, « bon-papa qui pique » était bien barré dans la vie. Tout baignait : la santé, la beauté, le fric, la classe, les moules mouillées. Tout baignait pour sa bite.

Mais le destin, l’Histoire, hélas… pour bon-papa Arménien de 1917 comme pour les Juifs de 1933… le destin, l’Histoire, hélas… pour le petit enculé fils à papa ça tourna carrément mal :



À Moscou c’est la révolution. Tous les marchands de chevaux koulaks traîtres ennemis du prolétariat les bolchos les liquident. Alors évidemment papa à Garnick ça le branche pas. Les cocos débarquent dans les bleds, pendent les maquignons et échangent les chevaux aux moujiks contre des moules. C’est le bordel la révolution.

Et un jour inévitable, les cocos la tchéqua toute la clique débarquent : ils encerclent, ils rassemblent, tous les habitants sur la place devant l’église de bois, hommes femmes enfants vieillards chiens. Un chien favori qui piaille dès le début est abattu ; ça jette un froid. Un gentil chien que tout le monde aimait et tous se regardent inquiets.

Ils gueulent à droite les moujiks à gauche les riches. Pour les riches le tour est vite fait : y’a que mon arrière-grand-père, sa fille et le pope (riche ça voulait juste dire pas crever de faim).

Tous les moujiks se jettent en tas à droite à gauche des mitrailleuses. Y savent pas où c’est la droite la gauche les riches les pauvres ! C’est à qui le plus vite le plus veule revendiquera sa misère, son infériorité ça vaut mieux.

Et au centre de la place comme des cons restent le vieux Sarkissian et sa fille. Le pope lui il est déjà à genoux devant le chef coco, en train de le supplier comme Dieu le matin. Pan il prend une balle et les moujiks se signent. Furieux le chef coco, de voir les moujiks se signer, leur envoie une rafale mitraillette et dans le tas cent crèvent ; mais il en reste encore plein qui pleurent bavent à genoux devant le chef coco qui s’y croit icône tsar.

Alors chef coco vers arrière-bon-papa son regard pleins phares. Le sous-chef du futur rencontre le sous-chef du passé et c’est un instant calme de compréhension mutuelle. Il y a toujours un perdant un gagnant ; on est entre gens qui savent comment ça marche…

Arrière-bon-papa réfléchit à très vite à l’heure ; il pense corruption combien de pognon, combien de chevaux, combien de femmes ?

— Tout le pognon, tous les chevaux, toutes les femmes + ta peau : le Bien c’est cher.

Alors il comprend c’est foutu, il pousse sa fille au loin (pas qu’il y croie, juste le geste mélodrame), genre « toi sauve-toi, moi je reste seul face à la mort ». Évidemment sur mon arrière-grand-tante éternelle enfant le chef coco porte ses couilles d’œil.

Et nue ils la mirent devant le père et le peuple. Chacun regarde et garde ses pensées inavouables. Et c’est le viol les chiens devant témoins, la première leçon de catéchisme coco : le chef coco sort sa queue et devant le peuple réuni insémine la vierge avant de la donner à manger à Médor (dialectique).



Que pensa arrière-bon-papa quand sa fille sous ses yeux sa moustache en paille de fer, fut violée déchiquetée gâchée ? Quinze ans d’amour pour ça… (je t’aime tata éternellement jeune).

Tandis que le chien grogne les intestins de l’enfant chérie dans les pieds des pauvres, chef coco gueule en russe. Les moujiks comprennent pas le russe mais ils comprennent que c’est le moment ou jamais de se défouler. « Toi pas comprendre ? Chef coco toi montrer. Ca caillou ça koulak, caillou koulak caillou koulak, toi compris ? »

Oui oui moujik compris ! Et tous femmes enfants vieillards prennent les cailloux et lynchent arrière-bon-papa à qui mieux mieux. Ils se disputent les plus grosses pierres sous l’œil attendri satisfait de chef coco ; justice est faite.

Toute la nuit, tandis qu’au clocher en feu pendent le pope et arrière-bon-papa, le chien grogne rogne les os de tata éternelle jeunesse.



Pendant ce temps Garnick cavale dans les steppes, heureux, loin de la révolution derrière les Juives amoureuses terrorisées fuyant vers le sous-bois propice au viol ; et au loin beugle la synagogue quand il jouit.

Et elle lui dit : « Mon chéri tu sais ton père ta sœur… — Quoi mon père ma sœur ? » Fou de rage il piétine son ventre pourtant plat et part vers sa vengeance.

Toute la nuit il rampe autour des rouges. Il voit la yourte en feu, les cocos beuverie dans la cour branlant les chevaux sodomie servante collabo. Papa au clocher nu grince ; le chien joue avec la chatte sœurette.

Sabre à la main rampant comme Makhno, jusqu’à l’étable où ronflait chef coco couché sur servante bourrin dans le cul… La haine aiguise le sabre.

Et le matin les moujiks facilement émerveillés, virent au clocher pointu plantée la tête à coco ; et tous surent que Lénine comme Dieu désormais régnait au sommet du clocher.

Garnick était déjà loin sur le chemin sanglant vers Denikine, les Cosaques…



Et en chemin, cavalant la steppe brûlée et les réfugiés, lui remontait il y a longtemps, 1915.

Garnick enfant, si jeune, se souvenait à peine. Maman éventrée, frérot fœtus pendouillant dans sa tripe merde sang sur le carrelage de la première maison.

1915 là-bas très loin à l’est. Les Turcs étaient venus, ils avaient tout massacré, les Arméniens, le chien, les chevaux, maman, frérot fœtus. Garnick si jeune ne se souvient de rien, sauf maman frérot dans tripe caca sang sur le carrelage ; et la steppe brûlée les réfugiés. Comme aujourd’hui 1917.

À nouveau il fuit, mais cette fois seul. Deuxième massacre a pris ceux qui restaient. 1915 maman frérot, 1917 papa sœurette. Il fuit Garnick Sarkissian seul rescapé, enfin seul. Bon débarras les vieux devoir destin la nation. Il est libre, plein de jeune fougueuse haine, il bande. Il tient un prétexte qui le tient : vengeance. Il se sent bien. Il ne s’est jamais senti aussi bien, aussi fort, aussi débarrassé, que sur la piste steppe brûlée réfugiés qui le mène vers Dénikine, chef des Cosaques, le matin du pogrom. Il avait enfin un bon vrai incontestable prétexte (tripe merde sang papa maman frérot sœurette) ; il pouvait tuer tant qu’il voulait. Il avait le droit ; il se vengeait. Vengeance ! Le but sans but qui le tenait il le tenait. Tout venger : venger tripe merde sang papa maman frérot sœurette… mais aussi fleur épice femme ami pourquoi pas ? Ca aussi tripe merde sang mélangé ; il suffit d’écraser.

Tout s’écrase, tout se mélange, tout est inclus. Dans sa tête tout se mélange, sèche et durcit.



Il est bien accueilli. Tous les rescapés solitaires zombies sont bienvenus chez les Blancs.

Ils feront l’affaire tueurs. Cavalier il sera Cosaque. Il a le sabre le cheval la fourrure la moustache la queue, et la haine. Une authentique haine d’Arménien 1915+1917. Assoiffé de vengeance tripe caca sang, Garnick Sarkissian sabre au clair fera l’affaire. N’importe quel sang fera l’affaire.



Papa maman frérot sœurette, tripes caca sang. Ils n’étaient pas moins coupables que les autres. S’ils avaient été les autres ils auraient fait comme les autres. Et moi Garnick maintenant je suis l’autre à cheval qui surgit dans les villages et tous pleurent supplient.

Je suis vous et vous êtes eux ; chacun son tour tripe caca sang. J’écrase, je mélange vos tripes votre merde votre sang comme papa maman frérot sœurette tripes caca sang. Je verse le sang sur la steppe et je la brûle.

Mais la steppe boira-t-elle le sang et acceptera-t-elle ton offrande, Garnick ? Je vois partout des flaques de sang refusées par la terre écœurée et des fleurs dans la cendre. Est-ce bon signe des flaques de sang qui reflètent joliment le ciel et des fleurs mignonnettes quand on tue ?

Mais « bon-papa qui pique » n’a pas le temps de douter, trop occupé à massacrer pogromer brûler violer. Il a de belles moustaches, les couilles pleines, de la viande volée chaude faisandée sous la selle quand il rentre dans les villages au galop et enlève les filles. Il se penche sur la selle, les soulève les enlève les viole, les aime et les laisse éventrées dans la steppe. En souvenir d’une petite salope arménienne il la tripe caca sang (rien à voir avec papa maman frérot sœurette ; ce n’est qu’un prétexte).



Combien de moujiks bourgeois juifs hors catégorie rêves as-tu empalés sabrés entre la mer de Crimée et Moscou, bon-papa ? Ta traînée tripes caca sang cosaque me trouble m’excite m’attire. Combien de moujiks bourgeois juifs hors catégorie rêves empalés sabrés, bon-papa ? Es-tu un héros ? Un exemple ? L’aïeul dernier fil qui me relie aux temps barbares gloire. Cosaques blancs de Dénikine 1918 ; 10 000 kilomètres tripes caca sang entre Crimée et Moscou. Ce fut la dernière charge héroïque des anciens fous sabreurs face aux mitrailleuses modernité. À l’ancienne, ils brûlèrent bétail maisons démons hommes pêle-mêle ; pas de pitié pas de tri. Sauf si, par-ci par-là, une petite salope épargnée, laissée nue debout tremblante spermée au milieu des maisons champs en feu tripes caca sang papa maman frérot. Laissée là, épargnée, pour rien, comme ça, pas par pitié, juste sa beauté. La beauté du tableau ex-vierge nue parmi maisons champs en feu tripes caca sang ; ça vaut le coup d’œil quand on se retourne.

Ah ! On s’en souvient encore au fond de la Russie 1999, les vieilles, ex-vierges épargnées, de ta cavalcade héroïque « bon-papa qui pique » ! Franchement tu piquais grave de grave !



J’ai rencontré à Paris vers 1985 une vieille très vieille Juive (ton âge bon-papa, si le cancer ne t’avait pas). Elle yiddisho-français radotait « le Cosaque est passé (1918) ». Papa maman frérot tripes caca sang… puis s’était penché, moustaches viande faisandée sous la selle couilles pleines, et l’avait traînée par ses nattes blondes jusqu’au fond du champ bord de la steppe. Il l’avait prise (frappée à quoi bon Garnick je t’aime), et Dieu sait pourquoi (fatigué de sabrer ? juste pour la beauté ?), abandonnée en vie enceinte dans la steppe en feu. Plus tard elle avait porté jusqu’à Paris l’enfant du Cosaque comme un précieux don du feu. Et maintenant toujours encore jusqu’à la fin, elle radota « le Cosaque, il était si beau ». Elle l’aimait encore entre ses cuisses ridées. Sa chatte mouillait miraculeusement pour l’image de l’homme faisandé.

Alors je me demande, était-ce toi « bon-papa qui pique », qui elle lui en 1918, sur ta route de tripes caca sang entre Crimée et Moscou ? Après tout c’est possible, car tous Rouges Blancs Juifs hors catégorie survivants finirent à Paris en 1920 une fois la steppe brûlée gorgée de sang, écœurée au point de laisser des flaques.



À Paris parce que Makhno, les partisans ukrainiens, les bolchos, finirent par vous baiser. Comment est-ce possible ? Vous les Cosaques, toi l’Arménien plein de sa seule pure sainte vengeance, comment avez-vous pu céder à 150 km de Moscou les coupoles d’or en vue ?

La neige ? Non, vous veniez de la neige. La fatigue ? Mais quelle différence entre 10 000 kilomètres et 10 150 ? Quelle différence entre 10 000 morts et 10 150 ? Non, vous n’avez pas été vaincus.

Vous ne pouviez pas être vaincus battus conquis ; vous ne pouviez qu’être morts.



Trop cinglés vengeurs but sans but pour calcul marchandage prisonnier défaite et même victoire. Trop cinglés pour perdre ou gagner.

Si tu as survécu, si tu as rebroussé chemin à bride abattue et repercé la steppe en sens inverse, tripes caca sang à l’envers, c’est que vous étiez des Cosaques, libres indisciplinés individualistes désespérés.

Vous alliez vers le but sans but (tuer la vie), sans plan sans conquête sans victoire sans défaite.



Vous avez juste changé d’avis. À 150 km de Moscou Lénine la clique égorgeable ? T’as juste changé d’avis ! (Peut-être que t’as pensé d’un coup à ex-vierge nue seule dans la steppe à l’est ?)

Vous étiez trop tripes caca sang, tuer la vie, pour conquérir victoire repos. Car au repos qu’aurais-tu fait ? (Télé vinasse gauloises… autant retarder ça.) La conquête de la ville sainte communiste pour quoi faire ? Il vous suffisait d’avoir fait le chemin pélerinage tripes caca sang, l’essentiel.



Vous étiez des Cosaques, des tueurs purs incapables de rien faire d’autre : tuer pour se sentir en vie, voilà votre vie. En vie sur les chevaux, sabre à la main, feu dans les yeux, charogne sous la selle. Ca vous suffisait. Aux autres la corvée la conquête la bureaucratie la gestion le profit la propriété. Et quand vous avez vu que Moscou, le faux but le prétexte, allait tomber sous vos coups et qu’après vous ne seriez plus que vainqueurs repus, plus de tripes caca sang (sauf réchauffés dans l’assiette), brutalement vous avez rebroussé chemin.

Car cosaques vous n’êtes faits que pour le chemin cavalcade calvaire.



Et vous vous en êtes retournés pour parfaire le chemin de souffrance dans la steppe. Les rares survivants, les ex-vierges nues, vous les avez changés en croix blanches d’os, souvenirs de votre gloire passagère, derniers des Huns.

Bravo « bon-papa qui pique » et tes potes ! 20 000 bornes aller-retour de pogroms sans discrimination toutes races tous peuples toutes classes confondues, et toujours la moustache fringante et les couilles rechargées à chaque étape, même pour une vieille sèche au retour quand la vierge se faisait rare. Vous fûtes les derniers Huns pourfendeurs d’hommes, tueurs d’hommes purement et simplement, pour éradiquer l’engeance et voilà tout. Comme tu me fais peur et comme je te comprends, planqué frustré, « bon-papa qui pique » !

Venger papamamanfrérot sœurette tu t’en foutais évidemment : tu les haïssais ! T’as fait ça gratuit avec tes potes pour t’éclater, dépenser la vie, l’écraser la mélanger, brûler la steppe ton pays pour régénerer. Et effectivement aujourd’hui la steppe est à nouveau pleine de virginettes jeunettes et de poussettes forêttes. Mais combien comprennent, parmi ces Ukrainiens Russes Arméniens moujiks à walkman, que c’est grâce à bon-papa et ses potes qui brûlèrent le vieux monde pour que pousse le nouveau, afin que nous puissions le brûler à notre tour.



Et 1919, Garnick Sarkissian et ses potes, même pas fatigués, vous vous êtes embarqués pour Paris en rigolant de vos exploits et de la gueule défaite des généraux et des bourgeois bouffis déçus que vous n’ayez que tripes caca sang et pas reconquis les esclaves haciendas etc.

Mais ils vous prenaient pour des cons ces cons ! Il croyaient que « bon-papa qui pique », Arménien survivant pogroms purges, vengeur du rien au but sans but, allait cavaler de Crimée à Moscou pour rendre à Saint Patron sa maison et ses ronds ? Oh non les cons ! Ha, ha, ha !

Et tu as embarqué pour Paris avec le sauf-conduit complice français. Cosaque blanc allié koulak capitaliste anticommuniste… merde, tu le méritais bien le sauf-conduit !

Et à toi Paris la belle vie tu croyais…



À Paris Garnick Sarkissian rencontra le terrible ennemi qui abat les guerriers, les Huns. Le vicieux l’expérimenté, t’attendait. Français, deux mille ans d’esclavage servage christianage, tu pouvais redouter, mais trop de force à l’arrivée Marseille dans tes couilles moustaches pour douter. Il est pourtant redoutable le vicieux expérimenté patient recycleur de Huns et autres Cosaques en clochards inoffensives épaves à vinasse gauloises sans filtre devant sa télé.



C’est ce jour là que tout a merdé pour toi. Le jour où tu t’es embarqué pour Paris. Tu quittais la steppe, en montant sur le pont, pour les rues, les piaules, les papiers ; vie pourrie confinée puante, tchéka des petits tout petits bourgeois rats.

Dans la steppe tu étais roi bon-papa. Tu régnais sans camp sans patrie sur tes crimes. Ton royaume tripes caca sang allait de Crimée à Moscou, et partout selon ton humeur tes méfaits. Là où tu laissais ta trace tripe caca sang tu étais chez toi. Partout chez toi donc et libre au pays des pogroms et 10 millions de morts. Mais là, 1920 Paris douane, petites moustaches à la Hitler des bons bons-papas français, toi t’as l’air de quoi avec ta grosse moustache ? Ici un Cosaque a l’air d’un con.



Le premier soir certes tu dis « merci la France » quand bordel tu baises la chaude-pisse. Dans moule parfumée, t’es bourré. Valse champagne ha ha ha !, ça te change de vodka cris des morts. Et tu t’amuses.

Mais le tourisme ne dure qu’une nuit. Le lendemain nu plus de kopecks, médaillon d’or à maman échangé contre salope bretonne, t’as l’air bien clodo le Cosaque d’un coup. Sans ton sabre ton cheval (et même avec ton sabre ton cheval ; cirque de Moscou !) t’es définitivement une merde bon-papa au pays liberté égalité fraternité. Et déjà (lendemain matin) tu traînes. Tu vois les Russes blancs les vrais les bourges les Petrossian qui font la queue devant la banque Paris-Moscou. Tu n’as pas de compte à la banque Paris-Moscou ? Alors dégage !

Dédale de rues… tu ne penses déjà qu’à t’échapper. Tu sens venir vinasse gauloises sans filtre télé ! Mais où aller ? Apatride pas de papier, la France droit d’asile droits de l’homme t’a pris à son piège sucré. Ils ne veulent pas bien sûr t’aider ; ils veulent utiliser ta haine tripes caca sang pour faire à leur place les guerres coloniales qu’ils n’ont pas les couilles (deux mille ans d’esclavage servage christianage, ça découille, mais ça coupe pas calcul pognon etc.). Le deal français pour toi c’est ça : T’es un Cosaque de merde dans la merde. T’as pas de papiers au pays des papiers, tu peux pas retourner dans la steppe des tueurs bolchos, t’as pas le choix. Pour continuer à vivre tripes caca sang, la France t’offre, grandeur magnanimité, le Maroc, l’Algérie, l’Indochine, paquet de tripes caca sang pour toi Cosaque. Et comme, couilles trop pleines moustaches trop paille de fer, tu ne veux pas crever dans la ville clodo, tu vas signer connard coincé : cinq ans tripes caca sang mais t’en feras quinze.

Juste avant midi tu vas au Bureau de la Légion et tu t’engages avec ton pote bourré de bordel. Clodo boulot, trop la honte. Vous préférez encore tripes caca sang. Vous tripiez caca sang pour les Blancs, désormais vous triperez caca sang pour les Français. Au fond pas de différence : sabre cosaque ou baïonnette française, tripes caca sang toujours la même odeur. Montagnes déserts jungles, Noirs Jaunes Arabes, vous triperez caca sang partout tout.

Comme c’est bizarre ! Cosaque caca sang désormais va bosser pour Monsieur Français, étripeur au Maroc comme jardinier à Passy.



Et ainsi, novembre 1920, à peine deux jours après Paris bordel, te voici Garnick à Marseille, attente du bateau, vers les Arabes à tuer.

Tuer les Arabes, que t’importe ? 1915, tu as vu maman-frérot éventrés et ils chantaient. 1917, tu as vu papa-sœurette écartelés brûlés et ils chantaient. Maintenant tu chantes à Tanger, et tu vas vers le Rif les montagnes le Kif vers tripes caca sang arabes.

Tu vas tous les massacrer ; t’en as rien à foutre de leur gueule. T’es un tueur « bon-papa qui pique » !

(Pas étonnant que tu me faisais peur avec ta grosse moustache en paille de fer. Je ne savais rien de tripes caca sang, mais j’avais l’instinct de bébé singe grimpe au palmier quand gros gorille s’énerve.)

T’es une merde d’Arménien cosaque légionnaire ; tu sais ce que les Français attendent de toi, et tu fais bien ton boulot :

12 000 morts à Tizi-Ouzou 1922. Tu les as calmés les bougnouls ! Koulak cosaque blanc légionnaire, le cv à mon bon-papa il est pas très clean mrap licra ! Che-Chaouen 1923 : 700 femelles tripes à l’air. Bon-papa et ses potes sont passés par là, et les Français sont contents, et les Berbères pleurent, et Garnick s’en fout. À quoi tu penses Garnick quand tu patrouilles dans la Casbah fumante ? Tu fumes du kif et tu baïonnettes. Et à la perm, tu niques des putes. Ca va pas plus loin dans ta tête durcie par tripes caca sang papamamanfrérotsœurette écrasés mélangés secs.

Et les Arabes roulent dans les ravins du Kif. Bof…



Vous avez tout brûlé entre Tanger et Alger, une traînée tripes caca sang aller et retour, comme entre Crimée et Moscou. Et ici encore tu n’as rien gagné, rien conquis, tueur but sans but, parfait légionnaire. Tu n’as rien gagné sauf tes crimes, même pas quelques sales francs francais que tu hais car francais, et tu les jettes ivre aux putes arabes en un soir, le prix de 10 000 frères morts. Et elles s’en gavent les salopes de frères morts et pères agonisants plantés sur les minarets. Finalement la pute arabepogromée est ta sœur parfaite vivante, bon-papa pogromé ; et tu l’aurais épousée si… mais l’armée…

Bourré tu regardes la salope arabe écrasée sous ta bite et tu penses (penses-tu à ?) sœurette violée maman éventrée, ex-vierge nue abandonnée. La pute arabe elle aussi est sœur mère ex-vierge. Tu n’as pas pitié d’elle comme tu n’as pas pitié de toi, mais tu la comprends, car tu es toi aussi pogrommeur-pogromé.

La pute arabe comme toi baise avec tripes caca sang. Elle ne fait l’amour (très bien) qu’avec des légionnaires couverts du sang de sa race qui pue encore ; et toi tu la baises bandes comme jamais, émerveillé par cette complicité. Vous êtes tous les deux dans l’Histoire : tu étais glorieux cavalier dans les monts purs d’Arménie, elle était Berbère couverte d’or dans les champs de chanvre. Mais les petits bourgeois de Paris qui vous payent et vous gagnent n’ont rien compris à votre beauté. (Lénine Trotsky étaient aussi des petits bourgeois de Paris pourris.)



Ils t’avaient dit, les enculés de Français, cinq ans dans la légion tripes caca sang, et à toi les papiers français, la liberté. Les enculés ! T’as fait cinq ans, 10 000 morts, des tripes pourries plein le Rif et le chef il a dit : « les papiers français ? la liberté ? » et t’as dû faire encore cinq ans et encore cinq ans. Qu’est-ce que tu pouvais faire d’autre ? Apatride arménien clochard sans papiers sans fric sans famille sans sabre ? Ils t’ont bien baisé ta gueule, ta vie ! 15 ans de légion t’as fait. C’était l’école préparatoire à clochard : tu te croyais toujours Cosaque tripes caca sang… tripes caca sang oui mais Cosaque non. Garde-à-vous garde-à-vous garde-à-vous. Quinze ans d’armée française c’est pas un an à galoper dans la steppe. Ca te casse net définitif jour après jour, en pente droit direct vers clodo clopes gros rouge télé.

Ils te donnaient le vin gratuit et les gauloises et la monnaie. Tu te croyais soldat massacreur pur protégé. Tu parles ! T’étais peu à peu gangréné par garde-à-vous garde-à-vous marche au pas. Robot… clodo… rien à voir avec Cosaque la claque.

Et ployant sous le harnais des crimes planifiés quinze ans, peu a peu ils t’ont cassé. En sortant, tout ce que t’étais capable de casser, toi le tueur, c’était la gueule à bonne-maman !



1935, ils te lâchent à nouveau dans Paris des putes ; tu as cent balles et 33 ans. La guerre du Rif/Kif est finie. Tu les as tous flingués matés les bicots et t’es plus bon à rien pour l’armée des Français, trop cassé usé, plus assez cosaque. Alors on te débarque gare de Lyon, et là tu rencontres bonne-maman sur le quai qui sort du train d’en face. Tu allais baiser les putes, et là t’en trouves une de pute, gratuite. Une provinciale paumée, et tu la baises aussitôt dans sa piaule de bonniche à deux balles.

La suite je l’ai racontée au début.



Et maintenant c’est Hitler à la radio, les croix de fer les croix de feu. Pogroms dans les rues et toi t’es livreur de caviar pour Petrossian. Petrossian, roi d’Arménie 1915 et président d’Arménie 1995… toi « bon-papa qui pique » t’as été son moujik de merde qui puait le poisson putain ! Ah les enculés de Français, leur sale fausse armée, ils t’avaient bien cassé ! Tu vois, je te l’avais dit, tu as beau reculer reculer ton temps clochard vinasse télé, rêver toi Cosaque libre toujours, massacrer massacrer, de colonie française en protectorat français, ils t’auront. Tu finiras clochard au pays du bourgeois roi.

Ils te forcent pas, ils te parlent pas, ils te voient pas (ils appellent ça la démocratie). Ils prennent métro trottoir taxi. Ils ne te voient pas mais ils te voient très bien dans le coin de leur œil de surveillance. Ils te laissent t’user contre les murs des maisons. C’est eux qui ont les clés. Deux mille ans d’esclavage servage christianage, c’est un avantage ici.

Et toi le sauvage de la steppe, vas user ta queue contre le mur pissotière de monsieur Costes mon arrière-grand-père.

« Bon-papa qui pique » ils t’ont eu peu à peu comme ils ont les racailles 1999 au bas des escaliers cités ; à l’usure. Pillez brûlez, tripes caca sang, racailles sauvages Cosaques Huns Vikings négros bicots. Nous les enfants de deux mille ans esclavage servage christianage savons qu’à trente-trois ans le Christ racaille est mort. C’est l’âge où le bourgeois commence tout juste à engraisser.



En tout cas : 1935, 33 ans, réfugié arménien retour d’Algérie légion étrangère clochard, tu es désormais mon grand-père immigré fasciste raciste anti-francais.

Et de toi je naîtrai ; donc je tiendrai ?



Après on quitte définitivement toute gloire passée pour vivre l’affligeante réalité moderne quotidienne : t’es plus qu’un sale beauf facho voûté devant la télé.



1939. C’est la guerre mais tu ne te bats pas. C’est la première fois qu’on massacre autour de toi et ce n’est pas toi qui meurs ni qui tues. Ca a dû te faire bizarre, te déprimer ! Ca prouvait à quel point tu étais terminé. Le plus grand massacre pogrom de tous les temps record absolu se passe devant chez toi, sur ton palier les Juifs emmenés, et toi tu fais que regarder par le judas. La honte ! T’as passé toute la guerre à casser la gueule à ta femme et tu l’as même pas tuée ! Dès 1935 (39-45) t’étais déjà le bon-papa clochard vinasse gauloise télé des vacances scolaires 1960-1975.

Le seul truc un peu classe : t’as grillé une dernière gauloise entre les tuyaux gorge trouée cancer hôpital interdit de fumer, après ton opération, avant ta mort. Et c’est moi qui te l’ai apportée et allumée.



Bon (39-45) t’as bien trafiqué un peu, caviar de contrebande, pour les fêtes SS collabos… et après (50-60) quoi ? Bonne-maman a acheté une télé, et t’as clopé vinassé 30 ans comme une merde ; me donnant à moi l’enfant avide d’admirer, ce vieux corps cassé.



Et d’un coup je comprends. C’était la honte autant que la haine qui rivait tes yeux sur la télé plutôt que sur moi, l’enfant avide d’admirer, sans pitié pour les losers pogromeurs pogromés. Tu ne m’as jamais regardé. J’ai cru que tu me haïssais. Peut-être que tu voulais me dire « autrefois tripes caca sang », mais comment dire, comment me faire comprendre, à moi enfoncé dans bourgeois, la gloire cosaque pue du cul ?

Tu avais honte d’être vinasse gauloise télé coincé. Tu es resté muet face à la télé bavarde qui meublait, et je n’ai rien su de ta gloire, de toi, la steppe les Cosaques, tripes caca sang. Dommage car ça aurait plu à l’enfant qui haïssait papa-maman-frérot-sœurette, traîtres lâches chiens miens, de savoir qu’en Arménie en 1915-1917, papa-maman-frérot-sœurette, on les écrasait mélangeait, tripes caca sang, et ça durcissait comme un baume une armure sur le cœur.



Je n’ai vu que les défroques lamentables sabre rouillé par la porte entrebaillée de ta chambre interdite.

Mais un sabre entrevu, plus ton sperme injecté de force dans mamie la salope, ont suffi pour me transmettre un peu l’image le goût la haine, ta gloire : tripes caca sang. Cosaque 1917-1919.

Deux ans aller retour tripes caca sang entre Crimée et Moscou, c’est tellement plus que papa bourgeois bedonnant, moi artiste planqué ! Plus que héros télé ! Plus que Viêtnam, Algérie, Biafra, Rwanda, Bosnie accumulés… Tripes caca sang écrasés mélangés ; bon-papa tu as fait ce que je rêve en rêve de…

Saloperie de famille m’a appris « bon-papa Garnick sale clochard immigré travaille pas parle pas français tape bonne-maman bourré ». Maintenant je sais que tu étais le dernier héros Hun Attila terreur des bourgeois. Dernière charge au sabre de l’Histoire face aux mitrailleuses ; tu en étais !



Une fois je me souviens que mon cousin t’a dit qu’il savait ce que c’est que la souffrance… « Ma na, ta sa pas ka sa quoi », ka ta répondu sans sortir les yeux de la télé… « Mais si bon-papa, qu’est-ce que tu crois ? Un jeune d’aujourd’hui aussi il peut souffrir. » Putain ! Tu t’es levé d’un coup (toi qu’avais l’air d’un paralytique !), et t’as commencé à le tabasser à mort ! « Ma na, ta sa pas ka sa quoi ! Ta ma daga ! » Et bonne-maman qui roulait sur toi sa boule de gras en te suppliant d’arrêter « Garnick ! tu vas le tuer ! », et le cousin qui piaillait flippait sa race dessous ! Grandiose !



Aujourd’hui j’aimerais bien te poser quelques questions sur… mais bon tu m’enverrais de toute façon chier. Trop méchant, trop triste, trop bourré : « Salouparrrd, faaniant, ba a rrrien, ta ma daga ! »

Mais y voulait dire quoi « ta ma daga » ?

Ça démarre à la maison, avec ce « bon-papa qui pique » plutôt inquiétant pour le narrateur enfant. Puis on prend de la hauteur et on découvre toute la trajectoire du grand-père, reconstruite par le narrateur avec les éléments familiaux et historiques dont il dispose, mais aussi avec ses propres fantasmes et interrogations vitales. Naissance début XXe en Arménie, vie heureuse, puis bouleversements, chevauchées, arrivée en France et vie (?) à cet endroit.

Un texte sauvage et sensible, d’une grande liberté d’évocation.

(Une version amplifiée et partiellement « normalisée » de cette nouvelle a été publiée par Fayard en 2006 sous le titre Grand Père.)

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Paysage 216 : Haute-Savoie (2007)