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Foyer à ciel ouvert de littérature contemporaine européenne

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Cimes en abîmes

Jean Figerou

mars 2007

Hourquette d’Ancizan (2/2)

Parce que c’est ça, c’est ça maintenant, c’est la bête qui règne. Parce que… Si les Pyrénées appartiennent à l’ours, faut le dire. Si on est des intrus dans notre pays, faut le dire. Si on est de trop dans notre région, on partira, on ira nourrir le flot humain des réfugiés émigrés assistés. Si c’est cela qu’on veut, dites-le-nous de suite ! Que c’est pas la peine qu’on perde notre temps à s’échiner à cultiver cette terre si elle nous est défendue. Si on est que de la pâture à ours, faut le dire ! Si en Mauritanie une femme vaut sept chèvres, aujourd’hui dans les Pyrénées un ours vaut quatre hommes, très bien mais faut nous expliciter la nouvelle donne. Nous on sait jouer qu’à l’ancienne, on a été baptisé à la religion des droits de l’homme. Rien ne vaut un homme pour nous, on est un peu rétrograde. Dans notre vieille démocratie tout homme était sacré, chaque individu était infiniment divinisé. Rien ne valait un homme, même pas une forêt d’ours. Vous verrez au train où vont la pariatisation des campagnes et les sanctifications du faible demain trois hommes vaudront un cèpe. Parce que c’est un génocide culturel qu’ils programment pour sauver l’ours. Oui, je pèse bien mes mots, un génocide culturel. Ils nous pourrissent la jouissance avec l’ours des Pyrénées qui nous arrive tout droit de Ljubljana. Parce qu’il est slovène aujourd’hui l’ours des Pyrénées. Il est né dans un zoo et a l’habitude d’être nourri dans les poubelles. Ils dépassent l’outre mesure et nous châtrent la vie putaingue ! Ils nous ont taquinés avec la marmotte, ils nous exacerbent avec le vautour fauve et aujourd’hui ils nous achèvent avec l’ours et demain ça sera le tigre ou la panthère des neiges. Avec eux y a pas de fin, c’est comme l’hiver, là où il passe, suit le désert. Qu’on ôte le mouton et la vache des Pyrénées et dans 100 ans à côté le Sahara c’est la Normandie ! Ils nous inondent de parcs et de parcs, partout que des parcs et toujours des parcs dans chaque vallée ! Non ! Et non ! Les parcs c’est bien pour les bébés mais des parcs à animaux et les bocaux à fleurs et les greniers à prairies ça s’appelle des fermes et pas des parcs !

Parce que c’est pas des vrais ours qu’ils nous mandent. Non, non ! Ne croyez pas. Je veux dire, c’est des bêtes domestiques, des bêtes de zoo et à la limite de cirque, si ! Si ! Et si ! C’est pas croyable, c’est pas croyable. Non mais ils en sont capables ! Ils nous feraient prendre des girafes pour des moutons. Si si ! Si ! Et nous l’affirmer mordicus textus, vu qu’ils sont tous les deux de la classe des ongulés et qui plus est des ruminants et donc de la même famille. Etc… Elle n’a rien de sauvage leur ourse. Ils veulent nous faire croire que c’est un mouton à griffes poutaingue ! On n’a pas besoin de faire 20 ans de zoologie pour savoir que c’est tout faux, putaingue ! Ils n’oublient qu’une chose c’est qu’on les connaît par cœur nous les moutons, qu’on vit enfermé avec eux en permanence, 24 heures sur 24 avec depuis 24 générations. Que c’est notre vie le mouton. Qu’eux le mouton ils ne le connaissent que dans les livres. Et dans le livre par définition il est tout plat, plat comme une page le mouton, il manque de volume. Tandis que le nôtre il est tout en relief parce qu’il a quatre pattes et une queue notre mouton et qu’il sent le suint. Et leurs moutons qu’ils ont, leurs moutons en caractère d’imprimerie ils ne moutonnent pas dans le badète* qui ondule et frise en méandres de laine en colline mouvante et ondoyante dans la prat* tant le troupeau est copieux. Et leurs moutons de papier jamais ils ne bêlent à déraciner les arbres à nous briser l’oreille interne sous l’enclume et à hurler en permanence sans cesse leur besoin inconditionnel et irrépressible de se vivre agglutinés toujours ensembles, si serrés qu’ils se compostent le grégaire et qu’ils pleurent en permanence tout le temps rien qu’à l’idée d’être séparés, ne serait-ce qu’une minute de leurs coreligionnaires panurgesques, sous peine de suicide collectif. Ils sont comme ça les moutons. Mais à les écouter ils nous feraient prendre le caniche pour un chien de garde. À les entendre ils seraient plus brillants que nous sur le mouton. Absolument ! Mais vous leur demandez si les moutons ils portent les cornes devant ou derrière les oreilles, ils ne savent pas répondre ! Vous vous rendez compte et ça se dit savant et ça veut faire la loi et tout régenter ce qui est bon et mauvais pour la vallée et ça sait même pas si les vaches et les moutons portent la corne devant ou derrière l’oreille ? Est-ce Dieu possible ? C’est affligeant. Et vous ? Ah vous ? Vous savez répondre, j’espère ? Vous ne savez pas répondre ? Ebé ma caniche !

Ça il savent toutes les coquetteries possibles de la corne. Si elle est ramifiée, annelée, torsadée, cannelée, chevrotée, lisse, de port haut ou recourbée, aérienne, musicale, terrienne ou d’horizon. Mais ils ne savent pas si la corne précède l’oreille ou vice versa ! C’est dire si le puits de leur science est vite puisable ! Putaingue mais si je ne savais même pas ça, j’irais tout de suite me coucher cacher sous les draps ! Je n’oserais même plus me présenter en public. Ils sont sans vergogne aucune ! Mais je n’oserais même pas parler. Je serais rouge de honte jusqu’au vert cramoisi de bleu. Je ne pourrais pas vivre en compagnie. Non, eux, ils se permettent de persister toujours à nous imposer l’ours, ces ignares de la pâture ! Putaingue ! Putaingue ! Mais si ça m’était arrivé moi y a longtemps que je serais allé m’enculer la honte dans l’infamie. Putaingue !

Hein ? Hein ? Vous ne savez pas ? Non ? Si ? Non ? Vous ne savez pas si la brebis elle a la corne devant ou derrière l’oreille ? Ébé ! Vous êtes vraiment un inculte du rural vous. Y a longtemps, longtemps que vos ancêtres ils ont fui l’agriculture. Vous avez le temps court vous. Ebé, vous êtes pas loin de la honte ! Pas savoir ça ! Vous êtes bien la première génération à pas savoir. J’en ai la honte pour vous. Je vais vous le dire tout de même parce que j’ai trop la honte. Ça peut pas durer ! Je peux pas vous laisser mourir aussi ignorants. L’oreille elle est devant la corne. Ah ça vous en bouche un coin hé ! Hé hé ! Enfin vous voilà instruit. Non je me moque, c’est la corne qui est devant. Vous ne me croyez pas, vous ne me croyez plus ? Vous ne savez plus ? Je vous ai tout mélangé la tête ? Vous ne savez plus à quelle marguerite vous vouer ? Ahah ! Vous vous lisez tout ignorant ? Ebé c’est que vous l’êtes ! Croyez-moi ou croyez-moi pas mais la corne elle est devant, tout devant dessus. Ah ! Bien sûr que vous allez vérifier, bien sûr. Et téh pardi, vous embrochez la voiture et sus à la montagne pour vérifier sur les moutons à l’estive. Et ceux qui sont pas abondants dans l’argent, ils conforteront au zoo de Vincennes seulement. C’est réglé comme du papier d’Arménie. Et ceux qui ont la locomotion réduite ils vérifieront dans l’encyclopédie.

Pouhhh ! C’est qu’il faut les voir les déplumés de la préfecture, ces messieurs au grand bec et au verbe haut qui nous conseillent des infamies et ont la mémoire plus courte qu’un gamin de 3 ans. Ils nous expliqueraient croquis à l’appui et schéma en bandoulière et ordinateur en guise de mémoire comment il faut mener les bêtes à l’estibe* ces gorilles, ces chèvres qui vous mâchouillent du papier administratif toute la sainte journée à lui donner le bourdon de la neurasthénie à la journée. Non mais ! C’est eux qui vont nous apprendre à guider le mouton. Non mais ! Pour les mettre directement dans la gueule de l’ours ? Oué ! Je me les vois venir ces mécréants de l’agro-pastoral. C’est qu’il voulait nous apprendre à mettre les cloches le manucuré à la perruque en montgolfière de la préfecture. Oui. Il ferait mieux de se taire parce que chaque fois qu’il cause c’est indécent, c’en est même porno pour l’agriculture. Si, je vous assure. Si. C’est comme une injure à l’élevage tant d’ignorance satisfaite. Oui. En plus il parle plat ce pied plat ! Une langue gelée comme morte. Il n’y a pas la musique quand il parle. C’est mortel. Il n’y a que les mots, le chant de l’accent est absent, c’est inaudible. Alors on comprend rien, il parle épuisé de l’entrain comme un Parisien. C’est comme s’il ne parlait pas, c’est si plat que c’en est impoli.Et donc, pour la venue de la délégation préfectorale agricole on avait ensonnaillé toutes les bêtes pour faire honneur. Mais c’est comme si on avait pissé dans trois violons en chœur.

Mais si elles étaient belles ! Si elles étaient belles de sonnailles les bêtes ! Le son était une splendeur. Un angélus. Ça sonnaillait cristallin comme de la rivière à plein midi. Et certaines même avec le son plus aigrelet chantaient le ruisseau au petit matin, juste après qu’il ait été torrent, juste après le lever de la brume sous le sang de la rosée. Que c’était merveilles toutes ces cloches. Le silence en devenait pieux comme à l’église tant c’était beau. Elles étaient toutes bien peignées au bichon. Et alors il y avait la délégation déléguée de l’agriculture agricole toute parsemée dans la prat* sous le pouy*, dessous, dessus, dedans et autour tout autour coagulés en auréoles d’étincelles comme une assemblée de pâquerettes à jaboter de haute science. Mais boufffhh, boff ! Je me demande si ça valait la peine. Parce que la délégation déléguée elle n’a pas été très mélodieuse sur la question posée. Ç’a pas été brillant brillant. Parce que ce con de fonctionnaire qui jouait au chef de l’armada, il a cru que je lui contais fleurette et pâquerette. Il m’a pas cru quand je lui ai expliqué que la tringolle* elle fait pas le même son le matin qu’à midi parce que le soleil chauffe le métal et le son est plus aigrelet, plus aigu dans le sentiment tandis que le métallo c’est tout le contraire, c’est aigu au matin quand le métal est tout frais de la nuit et a le son de basse à midi quand il résonne la chaleur. Mais c’est comme si je lui causais volaille dans une aciérie.

Parce qu’avec le Fernand on discutait clochettes, vu que moi j’avais mis des esquerres* et des esquerettes* et lui des escuruils* vu que j’ai des brebis et lui vaches et génisses. Ouhhhhhhhhhhhhhhhh ! Mais c’est que, mais c’est que le ponctionné de la fonction publique il a ramené son goulot de mécréant de l’agriculture, il a voulu nous faire la leçon ce goret de bureau, ce lombric de l’avancement programmé. Il a voulu nous chipoter à la culture vu qu’en agriculture il était des plus malingres et absent de toute connaissance vraie et qu’il le savait. Et je ne parle pas de l’expérience qui chez lui double le néant et s’enfonce dans la tragédie. Mais il pérorait à chipotailler sans la moindre vergogne.

Oh ! Il a mis le caquet haut, il a minaudé du goulot, on aurait dit qu’il enculait une poule avec sa gueule en croupe de goret. Alors il a moulé son embouchure à son récitatif. Il s’est mis à caqueter dans la prétention. Ce puceau de la montagne s’est mis à nous égrainer un cours où mes brebis étaient les élèves et lui le corps de la connaissance qu’il embouchait de son souffle insolent. Il était le maître, on était les brebis sous la houlette. On peut dire qu’il s’est égaré dans les brebis le prétentieux percepteur précepteur. Il miaulait sa science confite comme un fat qu’il était en immense. Il se dégorgeait et se rengorgeait comme une outre et siffla : « Vous parlez d’escuruils et d’esquerre mais sachez qu’en français ces sonnailles se dénomment clarine et pyrénéenne la bien nommée hihi ! » Et il se met à glousser comme une pintade en chaleur en plein hiver de gel à m’indisposer le tempérament et me gâter l’humeur. On aurait dit un chameau en rut au printemps. « Et ce que vous baptisez vulgairement dans vos montagnes truc ou trucou n’est qu’une redoun en français. » Vulgairement, vulgairement ? Parce qu’il est distingué lui avec son groin de fouinette, ce vermillon du vermicelle ? Putaingue ! Tu parles d’un fonctionnaire dictionnaire ! Et tout compendieux de la langue, le cul en menuet, il continuait de roucouler : « Car si la picarde que vous nommez si pittoresquement la pique espagnole, tintinnabule au cou des vaches, des chevaux et des brebis, le pyrénéen ne clochette qu’au cou des brebis. » Titinabule pittoresque ! Putaingue ! Où est-il allé chercher ça ? Où c’est qu’il a appris ça ? Au conservatoire de musique de Tarbes ? Ou à la sacristie de Lourdes sous les dessous de Bernadette. Putaingue, pittoresque, pittoresque ! On est pittoresque. Il nous broute l’humiliation. Tout à l’heure on était que des brebis galeuses maintenant on est pittoresque comme un dépliant touristique et bientôt on sera exotique comme un cul caraïbe vahiné dans leur réserve. On est l’indigène de service à l’étal. Ils vont nous planter trois plumes dans le cul, nous mastiquer des tatouages de serpent, nous faire manger des chenilles, nous broder des jupettes en raphia à l’ouvroir et nous faire danser à la nègre les jours de pluie ces saloperies de fonctionnaires gradés. Ils se sont déjà offerts à l’émigration le maître de danse en provenance de Bamako. Il vient tout droit du séminaire pour nous apprendre à danser nègre, ce sorcier noir d’église qu’ils nourrissent de sacristies et d’enterrements, ce nécrophage de Dieu, croquemort de nos rites qui vient de se payer Aventin en enterrement en le laissant pourrir dehors de tout l’hiver pour obéir aux rites africains, putaingue ! Si c’est pas malheureux chose pareille au XXIe siècle ! Si c’est permis de faire chose pareille ! Boudigue ! Y a des jours vraiment Dieu il est crabe. Et galeux de brebis comme dirait ce curé nègre. Un prêtre cannibale tout de même ! Pour la communion ça va bien mais c’est un peu trop ! Non ?

On est de l’indigène mais de l’indigène autochtone authentique qu’il pérore le préposé agricole à la tête en melon. Je vais me le crucifier sur l’Arbizon ce singe, lui enfler le cul rouge à le boursoufler de chaleur à guenon à le botter parce qu’à chaque mot qu’il jacte, il nous encule, ce gosier des Carpates, cette perruche de bal de sous-préfecture. Tèh ! Ils valent même pas la salive que je leur crache à la gueule ces fonctionnaires, que c’est peine perdue.

Putaingue, fallait l’entendre le vermicelle dans la cervelle prêcher la brebis ce grand couillon tout indécent de sa suffisance ! Il se prenait pour le Bon Pasteur et nous qu’on était les brebis égarées. Ça lui a monté à la tête la clochette. Il me montait les gourmettes à la mandibule ce pèlerin de l’autosuffisance, bouffi de certitude, avachi de contentement qui ronronnait de vanité. Il n’en finissait pas d’en finir de picorer son outrecuidance gourmande, ce gros fat. Vraiment le fonctionnaire c’est quand même reliquat de l’humanité, plus parasite que le chicoungougna.

Tiens le voilà qui passe ! Vous l’avez pas vu ? L’ours ? Vous l’avez pas vu ? Non. Il vient de passer ! Il vient juste de passer. Vous ne l’avez pas vu passer ? Mais vous êtes miro ! Ça gambade pas fort dans votre tête ! Juste sous votre nez, juste au-dessus de votre barbe il est passé. Ebé putaingue macaniche ! Boudigue ! Que vous êtes mauvais chasseur. Et pas grand voyeur. Je vois que la montagne, ça vous tente pas tant pas tant, vous êtes urbain citadin plutôt que campagne montagne,  dans vos connaissances.

Ah, il gambade l’ours, il gambade et pas que dans la tête ! Ça il gambade l’ours, il gambade, c’est un ours de compétition qu’on a dans la vallée. C’est un ours coureur grand gambadeur. À les écouter il fait le Tour de France en une seule journée. Et encore presque deux. Le même jour y en a des qui l’ont vu à Bagnères, d’autres à Bayonne, d’autres à Luchon et il a même été vu à Gavarnie et même à Toulouse en passant par le cimetière de Saint-Lary et tout ça dans le même quart d’heure. Il est véloce le plantigrade ! Il y en aurait un même qui l’aurait vu une heure après à Perpignan. Faut pas qu’ils exagèrent tout de même. Ça pour gambader, il gambade et des plus alertes avec tout ça, marathonien du mile sans fin, supersonique ! Les gens en ont peur alors ils le voient partout et si les gens en ont peur, il fera pas de vieux os dans le massif, je préfère vous le dire tout de suite. Ils auront vite fait de l’éradiquer en catimini. Parce que y a pas plus que dès avant-hier, il y en a des qui l’ont vu à la sortie de l’école. Alors ça a fait mousser les esprits. Les mères sont en pétard. Et si les mères sont en pétard, je préfère vous dire que l’ours il a aucune chance, c’est comme s’il était déjà mort. Il aurait pas dû s’attaquer à l’école l’ours s’il veut survivre.

Mais… Je suis pas dans la confiance. Ils nous prennent pour des brouettes ? Parce que vous savez pas mais l’ours qu’ils nous imposent, c’est un ours de faubourg, oui. Un ours de banlieue hé oui ! Pratiquement. Il a rien de sauvage ! Parce que là-bas en Slovénie, la montagne est partout tout autour, y a que ça même, tout le pays n’est que montagne et habité, tellement il pullule le Slovène. Il y a plus un espace de libre, plus la moindre petite acre de sauvage, tout est pollué en entier d’humains. Si bien que les ours il y en a partout tout autour des maisons, c’est un animal de compagnie en Slovénie l’ours. Il a l’habitude de se nourrir dans les poubelles parce que c’est la seule nature nature qui reste. Ils pacagent et pâturent en banlieue dans ce pays, c’est entre l’âne et le caniche pratiquement dans le genre familiarité et présence si vous voyez ? Vous en avez pratiquement un à chaque carrefour en gros. Mais chez nous c’est pas le cas, c’est même le contraire, c’est le désert la montagne chez nous, c’est haut et c’est froid et y a personne. Et y a belle lurette qu’elle n’est plus habitée la montagne chez nous. Alors l’ours slovène lorsqu’il est lâché dans nos Pyrénées, il s’ennuie tout seul loin des villes. Ils ont oublié que l’ours slovène c’est un ours urbain, alors il sanglote tout seul l’ours slovène dans la montagne, abandonné, il prend peur de toute cette immensité désertée, il est pas habitué, il est complètement perdu, déboussolé, hébété, traumatisé d’avoir ainsi été transporté dans un milieu totalement nouveau et hostile à sa personne. Alors il redescend dans la plaine se nourrir dans les poubelles comme chez lui, traînant au bord des villages comme il sait faire, comme il en a l’habitude. Il va chercher son potage dans nos poubelles. D’où la rencontre avec les enfants aux balançoires, parce que l’ours est joueur, oui, l’ours est joueur.

Mais ça s’est aperçu que l’émigration elle pose plus de problèmes qu’elle n’en résout, que c’est une bombe à retardement ? Que des émigrations aussi massives ça insuffle le périlleux. C’est ce qui pose le plus de problème ça l’ours à la balançoire. Qu’il s’attaque à nos enfants. Le frisson me remonte encore dans le dos. Ohlala que j’en ai eu le pressentiment ! Ça va arriver, ça va arriver ! Surtout que j’ai eu l’angoisse la nuit précédente, l’angoisse à y lire mauvais présage. Ça m’a rongé le moral. C’est ça qui me badigeonne l’inquiétude. Ça m’a même dilaté la rate de petite frayeur. J’avais l’angoisse pleine toute la nuit après en entier à ce sujet, ça m’a travaillé à me détruire. Ça me hantait à me ruiner la nuit et me ravager l’ambiance. La crainte, la crainte m’a pris et m’a démangé la cervelle parce qu’à minuit l’horloge au clocher elle a sonné 13 coups, oh la densité de l’angoisse ! J’entendais le malheur ! Il était sur moi, je pouvais l’entendre. J’avais tellement peur que l’horloge sonne 13 coups à minuit que je les ai entendus les 13 au lieu des 12. L’angoisse m’a pris si bien que j’ai eu si tellement peur de les entendre que je les ai entendus à force d’à force d’à force. Ça me ronge encore, j’en ai l’âme renversée. Boudigue ! J’en suis en lambeaux, tout en attente de pansements. Que ça nous arrive ohlala ! Je ne sais pas comment on y survivrait ! J’en ai les amygdales qui jouent des castagnettes sur la glotte, et la peur en expansion en permanence maintenant, surtout les petits-enfants qu’on nous les a confiés pour la quinzaine ! Qu’il nous les emporterait ohyaillhe aye ! Que c’est pas supportable. Quelle responsabilité ! Il faut l’extra-trucider l’ours !

Et puis j’ai eu la mascarade en ramdam dans le bassin, ça me touillait le ventre en ragoût parce qu’il y a eu deuil au village et un deuil qui me touchait de près, de très près même puisque c’était un parent à ma femme. C’est le beau-frère au beau-père à ma femme qu’il est parti. C’était pas fait pour me renflouer le courage. C’était un jour de deuil, vraiment un jour noir, non vraiment, vraiment. Et l’enterrement ils l’ont vite expédié aux pompes funèbres. J’en avais honte pour eux. Ils ont vite fait mal fait. Parce que le sol était gelé, c’était en février ils ont pas pu l’enterrer. Alors ils ont laissé le cercueil au milieu du cimetière sur deux tréteaux jusqu’à Pâques, sans rien pour lui tenir compagnie jusqu’à Pâques ! Juste un tout petit chapelet gelé de prières ! Et une petite médaille glacée pour le réchauffer le défunt. Vous vous rendez compte ? J’étais tout tissé de honte pour eux. Tout peiné de chagrin. Ils auraient pu l’enterrer avec le Caterpilar mais la famille n’a pas voulu, elle trouvait que c’était trop irrespectueux, alors on a attendu le dégel jusqu’à Pâques où l’on pouvait creuser à la pelle et au pic pour l’enterrer définitif. Ils disaient qu’il méritait mieux qu’un engin de terrassement pour son enterrement. Surtout que les bulls et les vibrocasseurs, les excavatrices et les excavateurs, il a vu que ça toute sa vie à en déborder de satiété vu qu’il avait travaillé toute sa vie dans les travaux publics. Ç’aurait été comme s’il était allé au travail au jour de sa mort, c’était pas décent ! Il avait droit à un peu de répit quand même. Parce que si on peut pas souffler un peu du travail le jour de sa mort, quand c’est qu’on pourra, hein ? Hein ?       Hein ?

Ils ont failli le faire partir en fumée du coup, à l’incinérer. Ebé dites donc ? La honte de la honte. De quoi que ça a l’air ? Qu’ils enterrent plus, ils incinèrent maintenant, quelle honte ! Ils pourraient tout aussi bien pu le finir au four crématoire tant qu’ils y sont. Oh, oh, oh ! Ils n’en sont pas loin avec les crémations qui se font à Tarbes maintenant. Les gens y préfèrent se faire incinérer plutôt qu’inhumer maintenant à ce qu’il paraît ! À croire qu’ils ont le complexe d’Auschewwitssse. Moi ça ne me plaît pas. Je trouve que c’est pas chrétien. Parce que comment ils feront pour ressusciter le jour de la résurrection des morts s’ils sont tout en cendres hé ? Hé ? Quelle manie les prend quand même ? Il faut changer aujourd’hui, tout chambouler en permanence, c’est la mode le changement dans la mouvance comme ils disent. Faire du vent, c’est copurchic*. Ahlala ! Surtout avec des cendres. C’est peut-être le complexe du Mercredi des cendres ? Tout change si vite aujourd’hui aussi. Que c’en est une honte. Et ça change pas souvent en mieux, ça change souvent en noir.

D’ailleurs le jour. Le jour était couleur de deuil, il était tout noir, il était si triste qu’il faisait la gueule pour l’enterrement de celui que dont je parle, celui qui a attendu le dégel de février à Pâques pour connaître la terre. L’enterrement d’Aventin, qui est mort de bonne mort, de vieille vieillesse quoi, comme il se doit après une vie bien soudée dans le devoir. Tout se passait bien. Enfin tout en avait l’air mais quand j’ai vu à la veillée que le prêtre il était noir, j’ai balancé : « Il est de mode ce petit prêtre, tout à fait de circonstance ; il porte déjà le deuil en sa chair. Il en a le costume au naturel. » J’ai pas pu m’en empêcher. C’est sorti tout seul en fusée de ma bouche. Ça a fait rire mais ça a fait rire noir. Un peu comme un petit sacrilège. D’ailleurs ça a mis du temps pour faire rire. Y a eu beaucoup d’hésitation même. À tel point que pendant un moment j’ai cru que je m’étais planté dans l’impolitesse. Ça a jeté quand même un petit froid, surtout au début. Enfin voilà.

Que j’en ai été contrit de honte pendant un petit temps. Mais après ça s’est soulagé, assez vite même, j’ai pu respirer. Ça a ri, j’ai été soulagé. Oh la crainte drue ! Si ça avait stagné dans le malaise, ça aurait levé l’angoisse. Et de l’angoisse au malheur n’y a qu’un petit pas qui est vite franchi par le destin. Boudigue de boudigue ! Et puis de quoi j’aurais eu l’air d’avoir l’air devant toute ma belle famille toute noire de deuil ? Oh lala !

Un prêtre nègre quand même ? Un noir ? C’est comme s’ils étaient en deuil de Dieu d’une certaine manière par l’intermédiaire de ce prêtre tout noir. Ça fait frisson dans le dos et un peu humiliation en guise de pénitence sans doute. C’est un peu la honte quand même, c’est un peu comme s’ils étaient débiteurs de Dieu. C’est qu’on se sent très inférieurs puisqu’on dépend d’un prêtre nègre pour communiquer avec Dieu. On peut dire qu’on se sent esclave mais en inversé, à notre tour cette fois-ci par l’intermédiaire du prêtre noir. Avant c’est nous qu’on les convertissait à la vraie foi, maintenant c’est eux qui nous convertissent ; le monde est tout chamboulotté. Autrefois c’étaient les noirs les esclaves, ils étaient nos serviteurs et aujourd’hui en Dieu c’est nous les esclaves. Esclaves du religieux et du pieux, ça fait tout drôle quand on y pense. Esclave d’un prêtre noir ? Héhé ! Ça fait tout chose quand on y pense. Parce qu’aujourd’hui on n’est esclave que d’âme, en Dieu et en pieux mais demain on sera esclave en tout, en vrai pour de bon, en entier, en économique et en politique avec cette émigration massive qu’on n’arrive pas à cesser ! Et c’est épouvantable. On va devoir se convertir à la culture nègre, des allahabouboubaba bamboula bouboubouboudouboudou houhouh à danser toute la nuit à quatre pattes ! Ouhhh yaillhe yailllhe !

C’est pas qu’on soit raciste mais on pourrait le devenir. Et puis y en a qui se demandent si un prêtre noir ça porte pas le diable. Blaisine, elle a peur que ça porte le malheur un prêtre noir, elle l’assimile à un chat noir, elle est un peu mécréante. Mais c’est sûr qu’un prêtre blanc ça rassurerait, ça fait plus pur tout de même. Enfin je sais pas. Parce que moi à Pâques quand je communie une fois l’an, que je communie à l’hostie de la main du prêtre noire j’ai l’impression d’avaler le péché, comme une hostie toute noire. C’est idiot mais c’est ainsi… Je peux pas me contrôler la pensée. Ça me parcourt toute l’échine. C’est curieux quand même, le monde est curieusement ficelé. Aujourd’hui dans la vallée on est des esclaves des noirs par Dieu interposé. Qui aurait cru ça y a quarante ans ? Y a cinquante ans le grand-père aurait ricané à en crever si on le lui avait prédit ça ! Même Pauline aussi elle en est outrée quand même ! Parce qu’elle dit que c’est pas la peine d’avoir embrassé sa croix de bonne mort tous les jours que Dieu a fait depuis sa première communion solennelle pour être extrême-onctiée par un nègre ! Non vraiment ! Vraiment ! Le jeu n’en valait pas la marchandise ! C’est pas juste la main de Dieu. Surtout si elle se présente sous forme de main noire ! Non. Et non ! C’est pas tout à fait supportable. Parce que, on aura beau me raisonner, communier avec une hostie noire, c’est communier avec le diable et fricoter avec le péché par un bout, c’est sûr, ils ont beau dire les prêcheurs d’amour.

Ah c’est pas comme avec l’ancien curé, celui qui était blanc ! Le curé ancien de Guchen, le doyen. Celui qui était encore blanc et qui est mort. Le dernier curé blanc qu’on a eu quoi ! Oui, le vieux doyen, il disait toujours la montagne c’est tout pur. Montez, montez, vous serez plus près de Dieu. Je crois que c’est très vrai là-haut, tout là-haut, auprès du Très Haut. On est dans la main de Dieu. Parce que vous savez en montagne on ne se baigne pas dans la mer, on se baigne dans le soleil. Et il y a rien de plus pur que le soleil ! Il est même divin. Et ce dans des religions très anciennes et égyptiennes qui ont beaucoup de vécu très ancien qui couchent avec les sumériennes et les assyriennes babyloniennes et renvoient à l’Égypte très ancienne et même la dépassent. Sûr, si vous avez un petit coup de bourdon avec des cafards dans la tête, montez en montagne, vous toucherez Dieu. On respire mieux aux nuées célestes dans la barbe de Dieu. Brouhhhh ! Ça me met au plus bas toutes ces histoires, comme un soleil à sec. Je suis encore plus gris que le ciel de ce matin. Ça me donne de la basse tension à l’âme. Aussi l’autre jour pour me remonter le moral et pas avoir l’impression de subir et de subir toujours, et entrer un peu dans l’action et me revigorer la vertu je suis allé à la Dot. Et avec mes amis de la Dot on a monté une action anti-ours dans la vallée. Hein ? La Dot qu’est-ce que c’est ? La Défense de l’Ours Traumatisé qui s’oppose au traumatisme logistico-transplantationnel de l’ours étranger. La Dot a lancé une mission commando intrusive de guérilla marketing à la Bové comme on fait chaque fois en France si on veut être respecté, c’est-à-dire si on veut se faire reconnaître et si l’on veut acquérir le droit d’exister, d’être reconnu et de gagner. Il faut faire une action d’éclat très communicante pour être écouté en France, sinon autant pisser dans le gave*. Alors le comité exécutif de la Dot avait décidé de faire une action d’éclat en taguant la grotte de Lourdes dans la grotte même. Ils ont tagué en immense à la bombe sur la paroi : La Vierge n’aime pas l’ours. Mais moi j’ai refusé de faire partie de l’expédition punitive et communicative d’avenir parce que je suis pas un chien moi. J’ai pas besoin de pisser mon nom aux quatre coins du canton pour exister comme un animal comme en ont besoin les tagueurs ! J’ai pas besoin de marquer mon territoire tous les dix mètres moi comme un chevreuil-putois. Parce que faut dire, y a maladie sous la roche et traumatisme sous le névé là-dessous. C’est pas innocent tout ça ! C’est pas sain sain. Ni très salubre. Y a du morbide là-dedans et du fragile de la huche à pensées. Parce que cracher son nom partout, sur tous les murs ça prouve que la citrouille est un peu écrasée et que le ris de veau dans le pot il est sûrement fêlé et que le ciboulot il fait plus des cadeaux, et des ouvertures d’horizon plus dans la rancœur que dans le bonheur ; il tond le gazon avec la cervelle, oui. Le gus il a la cervelle toute défrisée lorsqu’il se tague le mur parce qu’il n’ose pas se tatouer le nom sur le front, ni dans la vie. Quand vous pissez votre nom partout ça prouve que vous avez un malaise ou un mal-être comme il dit le conseiller psycho-agricole de la cellule psychologique de soutien psychologique du soutien psychologique de la préfecture psychologique, non, politique. Mais moi j’ai pas besoin de chier sur les murs pour exprimer un malaise que j’ai pas. Parce que je n’ai pas de malaise moi et encore moins de mal-être, parce que je n’ai jamais été à la mode moi ! Je suis du vieux temps et du temps vieux. On n’avait pas de révolte à cracher nous autres, c’était pas de mode à notre temps passé ; on n’était pas assez riche pour se le permettre.

Maquarelle ! Comme si ça suffisait pas l’émigration humaine, ils se sont mis à l’émigration animale maintenant. Ils veulent sacrifier nos enfants à l’autel de l’écologie ? Ils marchent sur les os, ils cherchent les problèmes ou quoi ? Ils adorent le martyre ou quoi ? C’est des masos masos masos masos sados. Ils se sont pas rendu compte que l’écologie c’est un équilibre et que réintroduire une espèce défunte, c’est établir un nouveau déséquilibre et détruire une certaine harmonie. L’émigration en masse c’est venin. Ça pollue tout l’équilibre. L’émigration en pagaille ça bouleverse tout le milieu écologique, ça déracine les autochtones et ruine le système ancien jusqu’à la guerre civile ! Quand il y a invasions profuses d’émigrés, ils sont en nombre et donc en force et donc refusent à juste titre de s’assimiler. C’est eux qui vous assimilent et vous devenez slaves dans votre propre pays. Le colonisateur devient colonisés. Et encore l’homme est censé être intelligent mais pas l’ours ! L’ours il est pas censé être raisonnable, il est censé être sauvage. Alors je vous dis pas les ravages racistes que ça va faire dans les pâturages l’ours ! Ça va détruire l’avenir dans un passé révolu. Et l’homme ne sera plus le roi dans sa vallée mais le serviteur de l’ours. Ces énarques peints en vert tout de même, ils ne savent pas quoi inventer pour copuler avec la langue de bois. Quand y a pas de problème, ils se sentent inutiles, il faut qu’ils en créent pour justifier leur existence et leur salaire. C’est des tordus du ciboulot avec toujours une main tendue sur votre portefeuille. Quand je pense qu’ils ne savent même pas faire la différence entre une biche et un isard et qu’ils viennent nous donner des leçons d’écologie ! En cachette de leurs cabinets très secrets de murmures insensés ils nous programment un désastre annoncé avec l’émigration forcée de l’ours étranger et nous mijotent un problème de plus qu’ils créent de toute pièce rien que pour justifier leur fonction et leur pullulement car comme chacun sait tout être vivant tend inexorablement à se multiplier.

Surtout les parasites et qu’à ce jeu-là vu le temps infiniment libre qu’ils ont, ils sont les plus compétents, du genre doryphores, je le crains très malheureusement ! D’ailleurs tu verras qu’un de ces jours, ces nigauds-là, vont nous faire cracher au bassinet mille milliards d’euros pour détourner une autoroute parce qu’une fauvette aventurière y aura pondu un œuf de caille ! Et l’on sera assez benêt pour payer et accepter sans rechigner. Putaingue !

C’est qu’ils nous vendraient la peau de l’ours avant de l’avoir tondue. Mais pour l’instant c’est nous les moutons, c’est nous qu’ils tondent ces énarques de l’écologie mode, ces Marie-Antoinette de cabinet à ministère mystères, ces pastourelles d’opérette. Parce que les vrais écologistes si c’est pas nous les bergers qu’on vit tout l’an dans le couyéou* et la borda* c’est qui ? Hein ? C’est qui ? Qui c’est qui la bichonne et l’épouse et la couve et la tond et la cajole la montagne si c’est pas nous et nos bêtes ? Hein ?

Remarquez ! moi je suis pour sauver le plantigrade mais mort. Uniquement empaillé. Voilà ! Il est pièce de musée. Il serait très bien au Musée des Arts et Traditions Populaires et Rurales en Moyenne Montagne de Sarancolin de la Faune Florale.

Bon assez de simagrées dans la langue, j’en ai la langue desséchée de désespérance. Faut que je cesse la chose et que j’aille aux radis ! C’est l’heure de la plantation. Si c’est le bon temps. C’est le bon temps pour le radis et la carotte. Et le navet. Pour tout ce qui racine. C’est le temps du plantement avec la lune descendante. Si. Bien sûr. À la lune descendante on plante le radis et la carotte, tout ce qui descend dans la terre et y pousse en profond. Et lune montante on plante tout ce qui monte et croît dans l’air comme le poireau et la laitue         et le céréale. Ça s’écrit dans sa forme l’agriculture et quand ça s’inscrit dans le sens, dans le bon sens, bonne récolte est assurée. C’est facile. Y a pas à se tromper. Comme on dit : Lune montante, terre luxuriante d’ascendance, lune décroissante, terre en croissance. Hein ? Et si on ne le dit pas, on pourrait le dire ! Hein ? Enfin moi je le dis. Ah mais ! Ebé si on peut plus s’inventer la langue alors ! À quoi ça sert de parler ? Vraiment !

Non c’est facile la lune ! Y a pas d’entourloupe avec la culture à la lune. C’est tout sûr, c’est toujours pareil. Premier croissant la lune est dans la conche du p, elle croît. Dernier croissant la lune est dans la courbe dodue du d à l’envers de la première fois quand elle écrivait un joli haut de p en sa courbe dans le ciel de lune, elle décroît. Y a pas à se tromper si on connaît l’alphabet. Si elle s’ouvre à droite comme le rond du d en son bas, elle décroît. Si elle s’ouvre à gauche, donc du côté du bien, elle croît comme le haut du p. Au premier croissant elle est neuve, elle s’ouvre à gauche et en haut, c’est le bien. Au dernier croissant qui vise le dernier quartier, elle s’ouvre à droite et en bas, elle porte le mal, elle décroît. C’est simple ! Hein ? Vous comprenez pas ? Ça vous semble pas inspiré normal et un peu trop dodu ? Hein ? Contraire aux valeurs universelles et pieuses ? Ah mais c’est vu du côté du diable ! La germination c’est l’affaire du diable. Hé oui ! Hé oui ! C’est ça qu’il faut distinguer ! Faut pas vous tromper ! Hé non ! Faut pas vous y tromper ! C’est le bien mais du diable ! Le point de vue du démon. Et pour le démon le bien il est à gauche et pas à droite et en bas et pas en haut. Hé oui ! C’est ainsi qu’il s’assouvit. Parce que les racines ça pousse dans la terre, autant dire la peau du diable. Les radis rouges ça pousse dans les braises du démon, dans sa peau vive et les radis noirs dans les cendres, la peau morte du démon. Si, si, c’est ainsi.

La lune est prospère ce temps-ci, ça va aller. Elle descend profond dans la terre dans sa phase descendante décroissante à incendier la nuit d’argent, ça me plaît. Quand elle est gibbeuse, toute tordue de friser la plénitude j’aime pas. Non moi j’aime bien les croissants, c’est ce que je préfère dans la lune. D’abord ça ouvre la culture et les plantations et ça rappelle le petit-déjeuner des dimanches où c’est que le corps est au repos avec son croissant.

Et puis y a la lune rousse, elle brûle les bourgeons et tout le tendre de la feuille, elle roussit le monde dans ses gelées d’avril et de mai. Elle porte guerre aux plantes, il faut l’éviter. Moi je la haïs. La lune cendrée elle c’est pour les fleurs. Il faut planter les fleurs à la lune cendrée parce qu’elle c’est la plus belle et les fleurs seront plus belles. Chacune ayant décoché son rayon de lune qui l’embellit de son éclat de nuit qui lui porte l’argent.

Il y a aussi la demi-lune, oh il y a des tas de choses avec la lune ! On dit même par ici qu’elle fait monter les marées de l’âme. C’est dire. Il y a aussi le quart de lune mais je ne suis pas un spécialiste du quart de lune, je peux pas en dire plus là-dessus. Oh c’est riche la lune dans la vie et dans la langue, il y a beaucoup de dictons. Lune grise vilaine prise. Lune noire crève l’espoir. Lune rouge le temps bouge. Lune bleue enfant pieux. Lune verte cœur en perte. Lune jaune nain jaune et main au trône et pain à l’Ône.

(Vendredi 25 août 2006. On est de retour de l’enterrement du beau-f, sympathique et qui était plus radin qu’Harpagon. Aujourd’hui est célébrée la royauté bourbonne avec Saint Louis. Le croissant est à sa naissance, avant-hier la lune était neuve. J’aime quand la lune est neuve, c’est comme un appel avenir. Il pleut ou plutôt il a plu, le front chaud vient de passer, le soleil vient de renaître, le ciel s’abandonne dans un ciel de traîne. Le Larboust déjà sent l’automne à grands pas. Les nuages modèlent en miroir la montagne. Et elle la belle noire de mes nuits où est-elle en ce moment ? Paris ? Genève ou au Congo ? Je ne sais. Peut-être ne la reverrai-je plus ? Peut-être a-t-elle trouvé nouvelle chaussure à son pied ? Et a déjà déménagé. Ne parlez pas de malheur, vous le faites venir ! 6 heures 17, l’heure va se préparer à se préparer à se coucher.)

Lexique (haut gascon)

arizones : genêts hérissés
artigue : pâturage
badet, badète : vallon
borda : bergerie
caillauas : amas de pierre
clot : dépression, cuvette
couyéou, cuyéou, couéu : bergerie
crabe : isard, chamois des Pyrénées
cubilar : abri de berger
esquerre, esquerette, escuruils, truc, trucou, pique espagnole, tringolle : noms de différentes sonnailles (en français : pyrénéenne, pyrénéen, clarine, redoun, picarde, métalot)
estibe : estive, alpage
gave : cours d’eau, torrent pyrénéen (du gascon gabe)
gembre : genévrier
hourquette : col (du gascon hourque : fourche) ; la Hourquette d’Ancizan est est un col de montagne dans les Pyrénées (Ancizan étant un village)
neste : cf. gave
oule, oulète : bassin, petit bassin
paquer : paître
pla : plateau
pouy, pouéy : mont, butte
prat, prade : pré
tringolle : sonnaille (cloche ou clochette attachée au cou du bétail)

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Paysage 876 : Corse (2009)