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Foyer à ciel ouvert de littérature contemporaine européenne

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Crocrodile

Jean Figerou

janvier 2004

4

Vendredi 1er novembre. La Toussaint est célébrée, tous les saints, tous les noms d’amour, tous les noms des saints d’amour mon aimée, ma sainte amour, c’est notre fête. Tu es trois fois sainte, ton corps contient toutes les saintes. Micro lune, dans trois jours nouvelle elle sera. L’automne est dans nos chairs. Le soleil rouille. Le ciel est d’un bleu de 10 heures, un bleu cru qui glace les nuages et fait tourner la terre plus vite. La buée tapit la fenêtre un peu comme un marais. La lumière engorge les arbres. Elle dore le jour qui s’ébroue d’air jaune en mille pétales de feuilles sur le vert. Aujourd’hui le climat est aride de chaleur. Il est des jours qui sentent l’apocalypse, comme un arc-en-ciel en deuil. Pourvu qu’elle soit au bout du fil, je n’y tiens plus.



Aimer c’est faire naufrage ensemble, joints. Le désir est tragédie. Ton absence dans mon ventre, dans mes dents, qui court sous ma peau est meurtrière. Elle me tue à grandes flammes. Tu es ma meurtrière en arbalétrière. Oh ! Hier quand je t’ai aimée, ton visage était calvaire et au plus fort de l’amour il a chaviré naufrage. J’ai aimé aimé. Mon amour, ton amour me détruit, me détruisent. Ton visage qui est cataclysme en tourmente sous la pression d’amour et mon ventre qui porte la douleur de l’amour, la douleur du bonheur. Ton visage défiguré d’amour, me soulage de bonheur. Je suis tendre de toi. Tu m’ouvres comme on poignarde dans le grand tremblement de terre de l’amour en rafales.

On s’aime, on s’aime à hurler et se répandre écartelé de frissons d’amour. Haute est la mer. On s’aime, on fait un naufrage en commun dans la volupté déchaînée. Oui, vivre électrocuté dans la violence de l’amour. Le désir est souffrance, le désir n’est que souffrance. On est le ciel et la terre à la fois dans l’arc-en-ciel du bonheur. Irradié d’amour dans un court-circuit perpétuel, crevassé d’électricité en lévitation épandue dans l’envoûtement de la chute. Les corps froissés d’âme en tempête hurlée. Je voyage dans ton corps. Je t’aime tellement, je ne serai jamais plus lucide de vie.



Et ! Oh ! Cruelle. Ton absence, chacune de tes absences m’est insupportable, comme un vide permanent qui me consume, une chute sans fin en abîme. Ton absence me mord comme une injure. Le temps est glace et pierre. Je me tiens voluptueusement torturé au lieu de ton absence. Seul en tragédie de manque. Pourquoi, mais pourquoi toujours seul ? Pourquoi es-tu toujours plus absente que présente ? C’est la vie dis-tu. Mais si c’est la vie, elle est ignoble de cruauté. Pourquoi toujours tu t’en vas et me quittes ? Je n’en peux plus d’amour.

Elle me dépouille de moi-même. Je l’aime tellement. Tu t’en vas, le temps reste immobile, l’heure stagne inutile. Il n’y a plus de demain. Rien n’est plus vaste que ton absence dans l’immensité de ma solitude. Tu me vidanges en catastrophe, pompe à vide.

Remède. Je pense à toi, je pense à toi, je pense à toi. Si je pense à toi très fort, tu reviendras plus vite. Je le sais, je le sens, je le veux. Ce sera.



Ta photo ? Hein ? Ta photo. J’aimerais que l’on fasse une photo ensemble. Je prendrai l’appareil sans tremblement à pleine ouverture. Devant vous prendriez la pose et je vous prendrai. Oui, je prendrai votre image comme l’on prend un corps et l’on s’éprend. Et puis après je porterai votre photo sur mon cœur, pour vous tenir toujours auprès de moi. Ainsi lorsque vous partirez, je serai moins seul. Je pourrai tenir votre image pour ne pas trop bouleverser mes sentiments. C’est peu une image mais c’est mieux que le néant. Le vide anéantit.

Il y aurait moi et toi sur la photo comme ça on serait toujours ensemble d’une certaine manière même quand on serait séparé.



L’amour est un caprice sur ton visage, comme un paysage glacé d’hiver en débâcle sous l’emprise de l’amour que givre ton espoir quand tu n’es pas là et qu’il ne me reste que l’attente chavirée de désespérance amoureuse, je gis en permanence. Depuis un mois chaque seconde je t’envoie un baiser et dans chaque baiser éclatent et étincellent mille baisers chaque fois chaque seconde, je suis fourbu d’amour.



Je me suis regardé dans la glace, dans le trop-plein de l’amour j’ai lu sur ma face une dramatisation du bonheur que crispe l’indicible douleur d’aimer. Chaque fois que tu m’embrasses, j’y pense, chaque fois que tu m’embrasses, ça me détruit et m’empourpre de bonheur en calvaire en chambre à air crevée. Avant-hier au moment du plus haut de l’amour, quand j’emboutissais ton sexe en folie et le bûcheronnais de bonheur, au moment où le soleil a éclaté dans nos ventres fondus de bonheur dans l’orgasme. Je t’ai regardée et j’ai pleuré dans mon âme, pleuré de bonheur, ta figure était en ravage d’extase. Tu avais le visage de la Vierge ravagée de jouissance dans une Piéta chavirée de calvaire. Tu portais le malheur du bonheur dans tes yeux. À trois genoux je t’adore perclus de génuflexions.

Embrasser sa bouche, embrasser le souvenir, embrasser la bouche du souvenir. L’amour est une tornade qui me ravage en supplice. Avancer les lèvres du souvenir pour l’embrasser. Elle est mon coquillage. Coller sa peau à mon oreille et j’entends la rumeur du soleil qui m’incendie. Je me tiens dans le miracle de son corps.

Tu, tu, tu es un typhon dans mon ventre et fournaise de malaise heureux. J’ai la chair béate de toi. L’univers a versé. N’existe plus au monde que notre marée, notre soulèvement permanent d’extase corps à corps à corps, chair dans chair tout le temps sauvage. Le désir me griffe en ravage, il est l’expression amoureuse de la douleur. Je ne suis plus que ma chair en miserere suraigu, symphonie en requiem de volupté désespérée, exproprié de moi-même. Et vent.



On vit sous le régime de la communauté d’amour. Tu es mon catéchisme.

J’ai faim. L’amour creuse des trous géants dans les personnes. Je t’ai tellement aimée et si sauvage. Tu me fais connaître l’enivrement dément.

Oh ! Vivre toujours chaud de notre lit au corps de l’amour.

L’air est blanc-beurre. Je m’engouffre en toi. L’heure est tempête. Dehors le jour est lumière. Je ferme les yeux, je ne peux plus vivre tant ton amour m’incendie. Je ne puis voir la vie, le dehors sans griller. Je vis yeux éteints en toi.



*



Quand on s’aime corps à corps à corps, les heures sont nues comme avec nos corps. Aimer c’est rouler dans le temps vautré. L’amour ne devrait vivre que couché. Quand on s’aime corps à corps à corps, les heures sont sans corps. Tu es ma foi. Il y a toujours de la passion du Christ dans la passion amoureuse.



J’ai aimé tout à l’heure, il y a un petit quart d’heure, on marchait dans la rue sans se toucher ou juste en se touchant du regard, l’amour volait tout autour de nous. Je l’ai lu dans le regard des passants. Ils pouvaient le toucher, ils le touchaient, s’en imprégnaient et nous souriaient. J’ai beaucoup aimé. On leur portait l’amour. Notre amour leur apportait l’amour. Tout l’air ruisselait de notre amour, comme une lumière en auréole tout autour de nous sceller notre marche et témoigner notre amour. Les gens nous regardaient et ils s’aimaient, l’amour est contagieux. Notre sillage n’était qu’amour qui volait et voletait en mandorle à tire-d’aile tout autour de nous. Le monde était beau d’être nu.



Notre bain d’amour n’en finit pas de se laver pour toute éternité. Je porte ton odeur, je suis soleil. Tu pars pour quinze jours, je ne me laverai pas pendant quinze jours, je ne me laverai pas jusqu’à ton retour, je serai moins seul et un peu avec toi, porté par ton odeur dans le rêve de ton corps, ton odeur m’accompagne. L’odeur est la chair du souvenir et le corps du rêve. Toi, toi, toi, moi. Chaque fois après chaque rencontre avec ton corps, je me sens tout propre, je me sens tout propre de t’avoir aimée. Mais là tu pars, tu me quittes, je te garde en ton odeur.

Tes cheveux sont en mousse. Ton visage fruit. Je rêve de ton corps. Je caresse tes cheveux emportés de soie de cheval. Dans le vent de la course d’amour. Mais pourquoi faut-il que parfois tu sois absence ?



Je me torture d’amour en toi. Parfois tu es tellement perverse de moi.
Et toujours l’amour me change à chaque instant, à chaque regard je mue en permanence, autre et toujours toi et un peu moi. Il me transforme à chaque instant et métamorphose chaque instant de t’aimer tout le temps du temps. Mon temps est ton temps. Tu me transmues en permanence. Et m’épuises. Mon ventre galope dans ma tête.



Quand on aime, on ne vit pas frénétique dans l’intensité, on est l’intensité. On flotte, on est juste de la lumière en poussière. Aimer c’est être ensemble et on flotte, c’est tout. Immobile et léger. À côté de tout, de son âme, de son corps, de ses pensées, de la vie, flottés et ensemble, sans frontière et liquide, en apesanteur que rien n’appesantit si ce n’est la lumière.

La fièvre de l’amour dans l’incandescence des sentiments me prostitue de jouissance, jailli, enfoui de lumière.



*



On nage de lumière. L’amour est bénédiction des corps fondus d’âme. Un et infiniment deux dans le un, comme le Père, dans le Fils, dans l’Esprit. Trois en un. Profonde est la mer en eux. Ils nagent immobiles. Tous nos souterrains, nos granges et nos greniers communiqués. Tous nos cœurs se tiennent la main dans la main absorbés communiés. On plane dans le même pas infiniment, infiniment courtisés. Ils étaient une seule voix qui chantait deux plains-chants. Ils tangentaient toutes leurs surfaces, toutes les synapses interconnectées. Le temps n’avait pas de date, l’heure avait perdu ses chiffres. Ils n’étaient qu’une guirlande d’ondes flottées de feuillages au firmament de diamant. Liqueur liquide, ils nageaient sans poids, innocents de tout corps. Ils sont portés de mer et plus légers que le courant, flottés de mer. On est le même bateau.



On s’est aimé au plus chaud de nos corps. L’automne dorait. Tu as jeté ton œil par la fenêtre. J’ai regardé ton regard tomber de la fenêtre. Le monde était retourné. Le blanc, la lumière et son noir. Le monde était blond, oh ma noire !

Le regard se détache, il ne regarde rien, il regarde tout à la fois. Nos têtes volent. Le monde grouille de crudité. Le tranquille n’a pas de sens, serait même sacrilège. L’amour retourne les sens. Je suis ta robe. La fenêtre ne sera plus jamais comme avant. Mon ventre est blanc. Le soleil vole par la fenêtre. Mon corps joue avec ta mémoire. Tu es sève du monde.



Je n’en finis pas de me répandre, de couler comme le bon pain et le blond de la bougie, de couler écoulé comme l’acier en fusion. Je respire les replis de ton amour. Frontières excommuniées. Oui, excommunié de moi-même par toi qui est mon blasphème d’amour mon amour, Amia, Amiia, Amiiiiia. Mixtion incandescente figée dans la puissance de l’immobile aveuglant. L’amour aveugle. Fondus, pas un poil de notre corps ne nous sépare. Comètes en galaxie. Je bave d’amour.

Sans mots, sans pensées, pure sensation en surtension. Je viens de toi, je vais à toi, communs. Toute pesanteur est défunte. On se promène sur le tapis volant de l’amour et lève ton corps à l’infini du plaisir et des monts. On est tout en pagaille de bonheur en chair et drame. Hier toute mon âme a fait l’amour et le fait encore. Tu es mon bien commun. Mes yeux sont de peau, ils touchent Dieu.



*



Reprends ta place chaude en moi. Je ne vois que tes yeux et tu es plus nue. Je suis le visage dévasté de toi. L’amour est gravissime de bonheur.

Ton amour m’a pulvérisé, écartelé de toute ma chair. Je meurs en joie de peine. Tu me tues. Le plaisir assassine, il est la suprême douleur. Le bonheur vous excommunie de vous-même. Je suis en révolution de moi-même. Ma peau accouche de mon âme en démesure et démence. L’amour mord et tord et vous ébranle cyclone. Je suis ta chose et ton esclave et pas seulement d’amour, mais de labeur, de honte et de mépris. Et de baise.

Elle me contient et me répand, s’insinue au plus clos de mon ventre, dilapide mon âme aux flots.

Tes pensées me caressent et me crucifient. Tu m’arraisonnes. Tu es mon oreille, mon ouïe et ma vue, l’extrême de mon toucher. Le ciel est stupéfait de bleu. Le ciel est bleu comme un parasol. Je pourris d’amour. Tu es chez toi dans mon corps. J’ai emménagé dans ton corps. Tu ouvres ma tête, tranches ma cervelle et déroules le cylindre de ma pensée comme un parchemin bien à plat. Je caresse le ventre du ciel. La couleur est en marche. Elle m’inscrit.



L’amour est abrasif. L’amour tue mais vous fait beau et fait le monde beau tout autour de vous. L’amour est ce qui me meut, est dans l’intense du vif. L’amour tue mais de douceur chaleur.



L’âme escalade le bonheur. Du fer et de la liqueur remontent tout du long de votre moelle épinière et vous répandent le bonheur, vous ahurissent de félicité. Au tout dedans de vous, le ventre se comble, la gorge s’emplit, le sexe se gorge, les yeux se déplient. Tous les viscères se lancent des pierres et métallisent. L’œil est rouge-gorge. Des ailes vous poussent dans la poitrine. Toutes les veines battent dans des vibrations de moteurs de paquebot. Les vaisseaux cognent et lèvent la mer. Ils palpitent le monde. Et vous n’en finissez pas et vous n’en finissez pas de vous répandre et de verser sur le monde et le plat du vertige et l’arête du chaud et tout ce qui vous entoure dans un long cri silencieux qui vous transmue au-delà de vos frontières. Je on se promène à l’intérieur de l’amour mon amour. Je nage en toi. Je suis double en toi. Tu portes ma vie.

Je suis double maintenant, toi et moi. Je te connais, on est un deux. Au plus haut de la vie. L’amour est grave et sévèrement joyeux, il brise le bruit brouillon de la passion. Il détruit toute certitude et tout ancrage et encule le quotidien et la rengaine du répété. Il explose la petite vie dans la petite maison avec sa petite femme d’ennui après son petit boulot métro. Il hait le tranquille et le lac, il adore l’incendie. Il est en marche. L’amour lave, l’amour est convulsion. Je t’aime, la douleur est la plus lascive des voluptés.



La chair en haine mais en haine de plaisir, je saigne d’amour et cette blessure d’aimer est la forme la plus haute de l’amour. Elle me pend à l’extrême de la vie. Je tangente l’éternité. Je meurs de l’impossible fusion éternelle qui est l’intolérable souffrance du bonheur. L’amour est la puissance avide de la sève du monde et chair de foudre, la peau de l’âme écartelée du vif en la respiration exacerbée du monde. Il est le fétiche qui ouvre la jungle, ma noire d’ébène et de marigot, mon aimée d’or, Amia mon bubale bleu !



J’ai peur l’amour d’automne perd son feuillage.

J’ai ri quand tu me l’as dit, mais maintenant j’ai compris, j’ai peur aussi. Je me défends de regarder le Jardin Public par la fenêtre.



*



Je t’aime tellement que j’ai envie d’embrasser toute ta famille. Ta fille, ton fils, aimer ta mère, ton père. Les aimer tous d’amour, de corps et de chair, à défaut de toi, de ton corps. Les aimer tous ensemble en paquet. Puis un à un en solitaire à deux, accouplés en duo corps dans corps, corps à corps de baise.



Tu étais sur le divan assise comme en urgence. Il était trois heures. Non, trois heures vingt deux très exactement. J’ai encore ta montre dans le regard. Tu t’es levée d’un coup derrière la fenêtre. Non, tu t’es arrachée comme on assassine ! Et quelque chose s’est déchirée en moi, quelque chose a chaviré et hurlé de détresse dans mon ventre. Ca n’a pas duré. Tu t’es évanouie dans la pièce d’à côté et la douleur s’est éteinte aussi soudainement qu’elle était advenue, comme un hara-kiri d’amour, aussi violent de mort et d’éclair de souffrance. Juste un flash arasé, mais j’ai touché le fond de la douleur. J’ai eu le ventre en ravine pendant trois jours.



Appareiller de toi je ne pourrai jamais.



Le soleil lutine le ciel. Les gens sont en fête de week-end. Le désir en feu sourd sous les branches. Le sperme de l’air visite. La chaleur suce les gens, échaude les âmes. Toi, la noire de baise, la noire d’amour, la noire de mon corps de mes quartiers d’amour me rend fou de désir. Ne pas attendre. À cul chaud, culotte basse. La prendre par tous ses bouts partout et la violer d’amour sans lui laisser le temps de respirer, sans lu laisser le temps de renouveler ses chairs noires. La prendre comme on tue d’amour, le désir affolé jusqu’au meurtre. L’empaler à cul, à nu, à cru. T’es ignoble. Oui. Mais ignoble d’amour.



Avant de te rencontrer Amia, je ne savais pas que les mots vivaient, palpitaient, respiraient. Je ne savais pas qu’ils étaient de chair. Ils sont le souffle, ils ont du souffle. Le verbe est vie. Le mot bat comme un cœur, respire comme un poumon, poulpe comme un viscère, bande humide comme une muqueuse et baise comme une pine. Le mot parle avec le cœur et la bouche, porte des yeux pour voir et cligne du regard. Les mots engendrent, bouffent et chient. Et tissent la langue et tissent la vie. Quand je dis je t’aime, le mot m’illumine. Je le prends dans ma main et il bat. Il palpite comme une fauvette affolée de caresses à chamade. Et il m’accompagne tout le jour comme chien à la laisse.

Ce que j’aime, ce que j’aime à frémir dans notre amour, c’est que jamais il n’humiliera. Il a trop d’orgueil.

Tu sais Amia, je cherche, je cherche mais, jamais, je n’ai aimé comme aujourd’hui. Jamais je n’ai aimé si intensément. À brûler.



On était debout dans ta chambre. Le ciel était rouge par la fenêtre. Il avait passé depuis longtemps l’incendie. Non, il était rouge comme un crépuscule ou le cou du toucan de jungle. On était central. Tu te tenais au cœur de la pièce, moi j’étais ton auréole. Et notre amour qui fait un seul corps, en bloc, qui fait un seul bloc. On se promenait tout autour et l’entretenait comme on nourrit les canards au Jardin Public. On se promenait tout autour et dedans. On l’entreprenait de regard, le parcourait du rêve, l’effleurait des cils. À tourner encore tout autour pour s’en combler.

Il vient toujours du très loin du fond de nous. Tous les nerfs et toutes les pensées vibrent à vif quand on est en état d’amour. Le ciel n’a pas de couleur. Il est mort d’odeur. Et l’amour m’engloutit et me continue. Nos corps se touchent et ressuscitent chaque fois que tu me caresses, chaque fois que tu me touches. Notre amour à l’infini du ciel.



Et toi nue sur le tapis africain indigo de noir qui renverses mon âme et chavires mon corps au comble de l’effusion, rien que de tremper mon regard sur ton corps. Et tes formes d’amour qui n’en finissaient pas de croître à m’étouffer. Je n’en pouvais plus, râlé d’amour. Toujours mon corps déchire mon âme en charpie dans l’acte d’amour. Après j’ai regardé par la fenêtre, l’amour avait métamorphosé la ville. Il faisait jour dans la ville, à brûler au cœur de la nuit.



C’est bête, c’est bête, je n’ose pas lui dire mais chaque fois que je lui dis « je t’aime, » j’ai l’impression de revivre l’Annonciation. Non ne pas lui dire, elle se moquerait. De toute façon elle ne peut pas comprendre, elle n’est pas chrétienne, elle est païenne. Non. Sois poli avec son corps. On ne dit pas païenne, on dit animiste. D’ailleurs elle est quand même un peu chrétienne. Oui mais elle est chrétienne païenne.



Aime, aime, aime, aime, Amia, Amiia, aime, aime. Je le répéterai sans fin, pour amortir la douleur délicieuse de mon amour. Je le répéterai sans fin, je le résonnerai en tambour. C’est un mot si long, c’est un mot si beau. Qui n’en finit pas de porter l’amour, de traîner dans le son de l’amour. M. C’est un mot de douceur, un mot de douceur douleur. Un mot comme une prière, un mot qui appelle.

Ce mot est un cri. Je le vénère tellement que chaque fois que je le prononce, je ferme les yeux en prière et je le bois en silence d’adoration dans le secret de mon regard illuminé de toi. L’amour est un don d’offrande. Oui je t’aime. Toujours je le crache avec violence, dramatiquement, jeté en avant de toute mon âme.



Depuis combien de temps on s’est pas vu, on s’est pas touché, on s’est pas senti ? J’en suis tout en maladie et en malaise de sentiment, tout penaud d’humeur. Pourquoi n’a-t-on pas pu se toucher depuis si longtemps ? Bon se téléphoner, s’écrire, c’est bien. Mais se toucher ? Je ne me lave plus depuis quinze jours. À quoi bon se laver puisque tu ne me touches plus ? Que veux-tu, je mets mon corps en deuil puisqu’il ne sert à rien ! Autant garder les dernières traces des dernières traces des dernières bribes du dernier soupçon de la dernière réminiscence de ta présence, de l’infime vestige du dernier lambeau de ton odeur sur ma peau. Pour te vivre un peu, ne serait-ce que dans le souvenir. Mais le souvenir ça fait mal. Je supporte plus. Ca souligne l’absence comme un couteau.



J’aimerais faire une promenade à l’intérieur de l’amour Amia. Et pas seulement dans ton corps et pas seulement dans ton âme, mais là où tout palpite et gire en fournaise de prairie déroulée. Dans le ventre du bonheur.



Je t’ai regardée, mes yeux se sont couchés sur ton visage. Mes yeux comme une lampe qui fouille, des bougies qui caressent, des mains qui touchent, des lèvres qui baisent en mille feux, des yeux qui fouaillent ta chair en surtension. Ils te fixaient et coulaient à la fois projetant le faisceau d’amour si fort que tu t’es arquée comme un pont. Tu t’es soulevée et tu t’es sentie tout habillée de mon regard. On brûlait. J’ai dû détourner les yeux tant je suffoquais. Je te regardais, tu me regardais, je te regardais me regarder et tu me regardais comme on tranche. Je t’enveloppais toute entière en toute ta chair. Et chaque regard était un éclair qui nous électrocutait. On entrait l’un dans l’autre dans l’un à chaque regard, au plus profond, au plus loin des sens à s’écorcher de bonheur crucifiés de passion. On chevauchait chaque fois l’infini du ciel et les prairies de la mer et les houles des steppes et le nu des gouffres à cru, martyrisés par la violence de l’échange. Je ne savais pas qu’un regard pouvait être incendie. Oui le regard échangé d’amour échange la chair et crée un état neuf, un monde furie. L’entre-regard d’amour trace un chemin de flammes en nos corps et engendre un faisceau si neuf qu’il engendre le monde, mais un monde retourné et pétrifié en son retournement, un monde qui est l’incandescence même de nos corps en pâmoison des passions. L’heure sentait le thé.



Je t’aime, je t’aime tellement que tu raccourcis le temps, tant et tant que je me retrouve enfant amoureux de mes langes, si enfant que je vais mourir de naître, que je nais enfant, que je nais à l’amour, mon amour, tu m’engendres.



L’amour est chair de fer et toujours en excroissance.



J’ai peur, peur à frémir, peur à trembler, peur à périr de tant d’amour, de tant de bonheur. Ah ! La montée magnifique du bonheur ! Oui l’amour est une blessure qui se prolonge d’éternel, l’âme tendue à rompre prête à flamber. Ah ! La montée magnifique du bonheur au creux des corps. Deux regards se rencontrent et l’on est englouti envahi. Monte l’électrique à ne plus tenir. Tornade dans les ventres.



Tu as peur que je ne t’aime que par exotisme, uniquement parce que tu es noire, mais tu serais verte ou bariolée de petits pois, je t’aimerais tout autant.



Je baise ton cul.



*



Tu l’as aimé ? Hein ? Tu l’as aimé mon cadeau ? Le foulard que je t’ai donné ! Tu l’as mis ? Hein ? Il te va bien ? C’est ton foulard, mais c’est mon foulard. Quand il te touche, c’est un peu moi qui te touche. Il caresse tes cheveux, c’est mes mains qui caressent ta tête. Il cache ta tête, c’est ton visage qui est entre mes mains. J’étais tellement excité quand je te l’ai acheté, c’est comme si je faisais deux cadeaux à la fois. Un à moi et l’un à toi. Deux cadeaux en un. Tu l’as aimé ? Le foulard ! Je te l’ai pas dit, mais je l’ai mis et même remis et même reremis plein de fois avant, je l’ai porté avant pour voir comment il t’irait, comment il te caresserait de sa soie rose. Et puis te caresser aussi un peu à travers. Je ne sais pas si tu l’aimes mais c’est un objet de tendresse. Je suis mon foulard, pardon, ton foulard. Tu le mettras hein la prochaine fois que l’on se verra ? Hein ? Comme ça il me racontera tout. Il me dira comment était ton corps toute cette semaine, comment il t’a caressée ? Si tu savais comme il m’a fait jouir ce foulard ! Ce sera notre fétiche. C’est une troisième peau. Tu vas toucher ce que j’ai touché. Je te donne d’ailleurs pas tant un foulard que le fait de le porter, un peu comme si tu me portais. Il sera notre tabernacle.



Tu me fais beau, tu me fais beau et bon. Si si ! Je ne savais pas que l’on pouvait fondre de bonté. Tu me travestis tant et tant de bonheur que je deviens bon, très bon. Si bon que j’ai envie d’embrasser toute la terre et boire toutes ses eaux pour les offrir au monde. Je suis le sang de la montagne. Je t’aime tellement, tu me fais plus beau qu’un sourire ma lumière de jungle.



Je parle, je parle, je parle pour te toucher avec les mots à défaut de te toucher avec ma main, avec mon corps, avec ma peau, peau contre peau de tout mon corps. Mes mots sont mes doigts. Ma langue est ma peau. Je frotte mes mots sur ton corps. Ma langue tremble de désir. Je te caresse, te frôle et te chuchote de mes mots. Je t’enveloppe et te déroule dans mes mots. Oui frotter ma langue à ta langue, la sucer à défaut d’embrasser ton corps.

Émoi. Les mots palpitent mon cœur.



Je suis en souffrance d’amour. Es-tu scarifiée d’amour mon amour ?

Tu es l’œil du soleil. Je ne vois rien. Je suis dans l’éblouissant et l’éblouissement de toi. La lampe de ton image m’aveugle.



Je me demande parfois, enfin souvent, enfin plusieurs fois depuis que je te connais si notre amour n’existait pas avant qu’on se connaisse. S’il n’existait pas de toute éternité. S’il n’était pas premier. Avant que nos corps ne naissent, avant qu’ils ne se rencontrent, il y avait notre amour. Et puis nos corps sont nés au monde, l’amour qui existait déjà, s’y est greffé. Et nous a allumés d’amour. Je me demande si ce n’est pas comme ça que ça c’est passé. Je me demande.



Je suis tellement en toi, je t’aime tant, je suis si envahi de toi que je suis un déchet, un raté de vie. Je ne me lave plus, je ne dors plus, je ne vais plus au boulot, je ne sors plus et c’est à peine si je mange. Je suis posé dans ta main et plus jamais ne bouge et ne bougerai. Mon amour tue ma vie.



Je viens de lire La Mer de Michelet page 120 elle nous dit que l’amour est l’effort de la vie pour être au-delà de son être et pouvoir plus que sa puissance. Il dit beaucoup Michelet.

L’amour est sa propre lumière, son phare comme la mer en sa phosphorescence. Il est le lait qui l’engendre et le nourrit. L’amour est son ciel, son soleil, sa lune, ses étoiles. Il est sa comète.

L’amour c’est la grande femelle du monde d’infatigable insatiable désir qui toujours engendre et dont l’enfantement jamais ne cesse.



Ca m’énerve, ça me met en crise, c’est n’importe quoi de n’importe quoi ! Rien que l’idée m’insupporte. On ne tomberait pas amoureux par éclair, mais par nécessité. Un peu comme par survie. On était seul, désespérément seul, et pour ne pas s’éteindre désespéré, on est tombé amoureux, par hygiène mentale et sentimentale. Je ne supporte pas cette théorie. Il ne faut jamais avoir été amoureux, jamais n’avoir brûlé de son incendie, pour croire de telle fantaisie !



Je t’aime tant que parfois je n’arrive plus à respirer. Je m’étouffe par bouffées.

Je t’aime, tu es ma chair. Je suis ta chair et un peu moi. L’amour est fleur de sang et corail de terre.



Dis, dis Amiia ! Donne-moi ton collier, donne-moi ton collier d’or ! Tu l’as tellement porté, c’est un petit bout de ta chair que ce collier. Il t’aime, il te fait belle, je l’adore. Il est ton mystère. Je l’embrasse et le prends, tu seras bien obligée de me le donner. Hein ? Oui.



L’amour attendrit l’attendrissement et boit la vie. Il est un peu ma chair.

Où se tient l’amour ? Demandez-le au soleil.

Toujours l’amour vit de l’amour de la lumière. Le soleil est son amant. Fleur première je t’aime, c’est-à-dire je t’offre la félicité que tu me donnes, le mouvement infiniment doux qui me lève vers toi. C’est ton don, mon hommage que j’aime en toi, infiniment confondus, infiniment toi en moi en toi.



*



L’amour c’est l’inceste. Non excuse-moi, excuse-moi, je déraille, je déraille !

Parfois j’ai peur de l’amour, il a l’intérieur tout noir. Comme croqué de mort.



Quand je t’aime et je t’aime tout le temps, je suis un enfant qui bande.



Le temps est bleu aujourd’hui. C’est mon kigo. Dans les petits poèmes japonais, l’allusion au temps est obligatoire. Pas de haïku sans kigo. Aujourd’hui je suis japonais. Le temps est lait. Je vais te visiter et c’est une fête et c’est la fête. Je suis ta fête.



Tu étais écrue. Je veux dire couleur crème sauvage et un peu rêche lors du jour de notre première rencontre. Tu t’en souviens pas ? Si ? Tu portais un chandail en grosse laine écrue dans un blanc gris mais chaud, un gris armé d’ocre doux qui se délitait. Oui, ton chandail à gros grains qui donne l’impression de s’effilocher en boulochant ! J’ai été fasciné. C’est comme si tu portais un mouton pour couvrir ton corps. Tu étais ma brebis. Moi je portais un chandail bleu pâli de ciel, un bleu tendre qui appelle la caresse. Tu as posé ta main sur ma manche droite la première fois. Je n’ai rien changé, je n’ai rien bougé. Je l’ai gardé comme une icône. Je vais le découper juste au-dessus du coude là où tu m’as touché où tu as effleuré ma laine la première fois.

Et puis. Hi ! La première fois, le premier rendez-vous je m’étais bichonné bien propre et tout lavé de part en part pour être tout ripoliné, tout neuf de bout en bout, au plus beau de mon éclat. J’avais mis des habits neufs pour un amour neuf. J’ai mis trois heures pour faire ma toilette. Si ! J’étais maladroit, je n’arrêtais pas de penser à toi. J’ai bichonné, embaumé, vernissé, enjolivé mon corps pour mériter ton amour à venir, le forcer et le justifier. J’étais briqué comme une femme. Hihi ! Et aussi paré, parfumé comme on embaume un mort. Aimer c’est vivre à petite mort. Hihi ! Je me faisais beau pour rencontrer la beauté.

Je me toilette et suis au petit soin de mon corps pour toi, pour toi mon aimée. Je me pare de beauté pour être aussi beau que toi, être digne de ton corps.



J’écris, j’écris mais malheureusement la langue commence juste là où commence ton absence, là où tu n’es pas, aux portes de ton manque. Oh là ! Parfois je parle comme on se suicide.

Tu es bleue. Je te vis toute bleue à force de regarder ma relique de laine bleue, tu es plus bleu que le bleu et plus soleil que le ciel. Je le lis dans mon petit carré de chandail découpé en hommage à notre rencontre qui n’en finit pas de nous ravager d’amour sans fin.



Je te voudrais femme de mer, grand vaisseau et grand marin, toute épousée de houle en ressac de vagues, tout en courant de lait, tressée d’algues, emportée de jusants et reine du flot, toute parcourue de rives, un grand port chaud en nid de digues. Tu sais la mer est mon grand amour, la chair de mon âme. Elle a tissé mon premier métier. Elle est ma patrie d’amour et toi tu es ma patrie de passion.



Tu es mon griot, tu es mon tabou. Ma déesse. Tu es un pli dans ma chair, un petit pli sur ma hanche au creux du rond. Je ne voudrais pas t’aimer à mort mais à mour.



Oh ! Faire un banquet splendide de ton corps.

L’amour est corail, comme lui toujours il aspire à la lumière. Il naît de la nuit de la mer. Oui, toujours l’amour ferme la nuit et ouvre la mer. Il lui porte la lumière en sa mouvante flamme. L’amour naît de la nuit, il couve le froid. Il s’aime de mer en mille lucioles fluorescentes.



Le crabe a la tête dans son ventre, il pense avec sa digestion qui lui tient lieu de cervelle. Tu me retournes d’amour. Je mue de moi-même comme le crabe et le homard je m’arrache à ma carapace en toi, tout tourmenté, infirme, mollet et précaire de naître et je te bois et tu me bois, tu me fais éclore de ma nouvelle naissance mon amour. Absent de moi-même.



*



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Assommé d’amour, fier, ému, lucide et enfantin, le narrateur veut être à la hauteur : il pense à sa belle, la célèbre, l’imagine en son absence, s’impatiente de la retrouver, n’en revient pas, explique pourquoi il est parti précipitamment. Inspiré (et rageant de ne pas l’être assez), il ressasse, drôle et déterminé, en un grand gribouillis d’amour interminable.

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