Jean Figerou, octobre 2004
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J’aime. J’aime. Je l’aime. Je n’arrête pas de l’aimer. Je ne peux, je ne peux me détacher d’elle. Elle me promène. Elle se promène et elle me promène. Je la suis. Pas trop près. Ca pourrait l’incommoder et lui plisser le front et la fâcher. Surtout pas la fâcher. C’est l’abîmer. Elle est moins belle lorsqu’elle plisse le front. Elle l’a effronté. Si. Elle l’a effronté alors et ça l’enlaidit ; si je fais l’effronté. Elle est le corps du corps du corps du corps de l’amour. Mais surtout ne pas la fâcher ou elle se froisse et moi je me dissous de honte, je me morfonds au cur de la honte honteuse. Tu ? Non, non ! Ne pas lui dire ! Ne pas lui dire encore ! Rien. Ca me lamine. Rien que l’idée de la flétrir un instant, je m’éteins. Rien que l’idée de la contrarier un tant soit peu, même rien que d’un millimètre, ça me détruit. Ouh ! Mais elle marche vite. Elle accélère. Elle accélère dément. Je ne peux plus la suivre. Si je ne peux plus la suivre la précéder ? Non c’est idiot. Faut rester discret ou tu l’insupportes.
Mais c’est pas gagné, c’est même pourrait-on dire perdu, si elle accélère, c’est pour me larguer, sûr et certain de certitude. C’est comme le requin qui accélère pour se séparer de son rémora pilote qui le taquine et le démange de toujours le suivre. Elle me démange. C’est fou l’amour tout de même. Qu’est-ce que ça ne vous fait pas faire ! Je vais bien finir par faire plus de trois kilomètres à la suivre, moi qui ne marche jamais. Ca ne peut faire que du bien à ma santé. Ca me fait du bobo à l’âme qu’elle me refuse, enfin qu’elle m’accepte pas. Sois pas trop défaitiste, ça me fait saigner l’âme, mais en contrepartie ça me lubrifie à neuf les articulations et me polit la santé. Elle me ravale. C’est comme si elle me ravalait à la suivre. Ouh ! Ouh ! Accélère ou tu vas la perdre. Elle presse le pas pour me semer. Mais je ne vais pas me laisser faire. Je la raccompagne dans sa marche. Hihi ! Je ne suis pas né de la dernière pluie. On ne me lâche pas comme ça. Avec tout le mal que je me donne, je vais pas lâcher prise maintenant. Non mais. Mais. Tiens, le nuage est parti ! Elle chasse le mauvais temps. Non c’est vrai, j’ai remarqué, c’est pas la première fois. C’est un soleil. Chaque fois. Elle avance et il fait beau. Elle rayonne tellement. Si c’est vrai. Je ne sais pas comment elle s’appelle. C’est dommage. Ca serait plus facile quand même si je pouvais l’appeler. On pourrait faire connaissance. Enfin ça serait… Plus aisé. Je me demande si un jour je connaîtrai tous les coins de son corps, les beaux coins, les coins secrets et même les coins sales. Je veux tout connaître d’elle, tout. Non tu exagères ; elle n’a pas de coin sale, ou même tapissé d’humeurs un peu ragoût ! Elle est si belle. Tout est merveille chez elle, y a rien à jeter. Ou peut-être un peu de poids ? Elle est un peu forte quand même. Et alors ? ! Elle ne double pas le quintal ! Non bien sûr, bien sûr, mais elle est un peu à l’aise dans ses chairs. Et alors c’est tant mieux, il y en a un peu plus à aimer. C’est magnifique. Au contraire ! Quand on aime quelqu’un, on préfère qu’il y en ait beaucoup à aimer. On n’est pas radin, on est copieux. Et on aime les gens profus, ils en ont beaucoup plus à donner. On ne se repaît jamais des gens que l’on aime.
Oh ! Elle accélère encore. Ne pas avoir l’air, faire comme si. Comme si on s’en était pas aperçu. Oui, oui, faire semblant ! Comme si. Oui. Absolument. Faire semblant de ne pas avoir compris, d’être complètement imbécile totalement benêt. Ca rassure. Oui. Non. Elle accélère pour me punir. Certain. C’est d’évidence. Elle a peur que je lui porte le mauvais il avec les mots. C’est ça. Elle a peur que je l’engrosse avec les mots, aussi elle accélère pour conjurer le sort. Oui. Parce que je l’ai portée grosse dans les mots, enfin dans la description avec les mots. J’ai dit qu’elle se portait un peu grosse. Bien, belle, magnifique, splendide même, mais un peu grosse. J’aurais pas dû, ça l’a vexée outrageusement. Alors elle accélère de peur que je la contamine, qu’elle devienne grosse pour de vrai vraiment à cause des mots que j’ai employés, elle est superstitieuse. C’est ça la cause. C’est les mots. Les mots, ils peuvent pas tuer mais il peuvent blesser et c’est pire. C’est là où j’en suis. Les mots il vaudrait mieux qu’ils tuent plutôt qu’ils blessent. Ce serait pas pire. Au contraire. C’est comme les génocides. Les génocides ratés sont plus nocifs que les génocides réussis. Vous tuez un tiers des Juifs et des Arméniens, et on n’en finit pas de pleurer et de s’excuser et de demander pardon, de s’agenouiller et de s’humilier de pardon et de pardon et de pardon tandis que le génocide des Indiens ou des Aborigènes, personne n’en parle. Les Américains et les Australiens ils les ont tous tués, y a pas un rescapé, un vrai génocide vraiment réussi, aucun rescapé. Il n’y a plus personne pour les pleurer. Ca fait moins de mal, ça fait moins de trace. Y a même plus de trace, alors y a plus de larmes obligatoires. Y a plus de dégât en nombre puisqu’ils les ont tous tués mais dans la mesure où il y a personne pour pleurer et les regretter et crier leur nom, il y a moins de mal. Que voulez-vous c’est la vie ! Moi c’est pareil, avec mes mots je l’ai génocidé dans la vexation. Quel idiot ! Comment peut-on être aussi maladroit ? Mamama mia tia ! T’es un handicapé de l’intelligence, j’ai bien peur. Je suis maladroit quand même tout de même. C’est pas comme ça que je la ferai se jeter dans mes bras.
Oh ! Elle est magnifique avec son petit calicot rouge, on dirait un petit chaperon vert ! Oh ! Quelle merveille ! Regarde ! Elle avance et il fait encore plus beau. Un vrai soleil soleil. Oh mais faudrait pas qu’elle avance trop vite non plus ! Là elle va fort, elle accélère en démesure. Je ne vais pas la suivre quand même comme un caniche en laisse de loulou de Poméranie ? Je suis son esclave, je suis son chien, mais quand même. Oh ! Elle accélère encore. Je vais l’aborder, je vais l’aborder, je ne tiens plus. Non je vais pas tenir, elle me démange. Je la grimpe. Non mais pourquoi insister, elle me refuse, la conquérir est impossible. Pourquoi je cours derrière ? Hein ? Pourquoi ? Pourquoi se consacrer toujours aux causes désespérées ? Du cran ! Ne sois pas timide vermisseau. Fonce. Allez ! Fonce au lieu d’agonir. Le ciel est cruel. Le ciel n’est pas cruel, il appartient à ceux qui l’ébranlent. À la charge ! Va ! T’es un homme ! Enfin t’es supposé être un homme. Vas-y ou tu vas la perdre de pas, elle avance si vite maintenant qu’elle court pratiquement. Vas-y, avant d’être essoufflé. Dis-lui ! J’y vais.
Par… Par… Pardon ! Pardon, Mademoiselle. Pardon. Je ne sais comment vous dire, je ne sais. Je ne voudrais pas vous froisser ou vous importuner mais je dois malheureusement vous dire, enfin je me vois dans l’obligation obligatoire de vous communiquer, de vous dire qu’il est défendu d’être aussi belle. Si parce qu’on saigne après. Vous allez royale, vous avancez, vous irradiez la beauté, majestueuse et souveraine. Suzeraine. Et puis vous partez en nous laissant le cur ensanglanté sur le bord de la route, orphelin de votre image, baigné dans le deuil de vous voir disparaître, rêve évanoui. Et nous on souffre, on souffre et on geint sans fin de vous voir disparaître, de vous avoir rêvée. On est en deuil de vous. Et on se perd de douleur dans votre sillage qui pleure votre absence. Non c’est vrai. Il y a quelque chose d’indécent à être si belle.
Euh non, là t’en rajoutes un peu trop quand même, tu fais dans la tonne. Tu vas pas l’engueuler d’être trop belle tout de même ! Stop ! Stop !
Arrêter. Ne pas perdre son temps à la suivre. Ca sert à rien. On devient vite hors d’usage. Une autre fois. Guetter. Guetter et m’épier. Euh ! Et l’épier.
Elle va passer, je vais la surprendre. Lui tomber dessus avec le regard sans qu’elle s’en aperçoive. Je serai dans son corps pratiquement dans, je serai sur elle avec les yeux. Ouh ! Je suis gourmand de cet instant. Rien que d’y penser, je bande dru. Ca me plaît de guetter, attendre. Elle devrait pas tarder maintenant. Ah ! Je la devine entre les marronniers. C’est bien ce parc, on peut se cacher pour aimer. Et puis pour voir. Attends, je vais mieux me dissimuler derrière le fusain. J’ai juste un il qui la voit mais c’est bon. Je la verrai mieux tout en vrai, et tout dans sa vérité, dissimulé. Le temps est plus petit mais je serai plus près d’elle. Je la caresserai avec les yeux. Je suis si gourmand d’elle. Elle est le centre du monde. Autrefois le monde tournait autour de la terre. Puis il s’est mis à tourner autour du soleil. La terre fut le centre de l’univers, puis ce fut le soleil, maintenant c’est elle. Elle est le centre du monde. Et sa lumière. Le sillage du bonheur mais elle ne vient pas.
Elle ne passe pas ? C’est curieux. D’habitude elle passe à moins vingt. Non moins vingt-et-un et quinze secondes plus exactement. Je ne comprends pas. Il faut qu’elle passe. Je ne peux pas me passer d’elle. Elle est mon songe, ma vie, mon regard, ma… Quand elle est pas là, je vis mort. Je ne fais que l’inventer chaque seconde pour survivre. Toujours je me l’imagine ou je vis mort. Comme défénestré de moi-même. Si. Si. C’est un peu fort. Comme avorté de moi-même. Si. Comme si j’étais jeté à côté de mon corps. C’est ça absolument. Je ne…
Je ne comprends pas. Quelle heure est-elle ? Vingt-deux. Curieux. À cette heure-là elle a déjà tourné l’allée. Elle est passée derrière le platane ? Etrange ! Je me suis mal placé ou quoi ? Non. Qu’est-ce qui a pu la retarder ? Je vais me déplacer. Un peu. Là. Un peu. Pour avoir toute la vue sur la remontée de l’allée jusqu’au petit pont. Je la verrai mieux. Je parcourrai mieux son parcours. Et parcourir son parcours c’est un peu la parcourir. Mais enfin si peu. Elle n’est toujours pas là. Elle est en retard. Plus de vingt-trois. Si j’avais deux montres aussi ou même trois, ça la ferait venir. Non, là, je suis mieux pour guetter. Je suis mieux dissimulé et j’ai tout un angle de vision plus large de regard. C’est quand même malheureux, c’est toujours moi qui la regarde, c’est jamais elle qui me regarde. Qu’est-ce qui a pu lui arriver ? Elle n’est peut-être pas venue aujourd’hui tout simplement ? Elle a été empêchée. Ca m’étonnerait. Elle vient tous les jours, tous les jours que le temps fait et elle est réglée comme un sablier alors ! Je ne l’ai jamais, jamais, jamais vue en retard, alors ?
Vingt-quatre maintenant. Elle m’a échappé. Ca doit être ça. Elle a dû passer et je ne l’ai pas vue. C’est ça. Attends ! Attends diminué de l’horloge ! Ca fait vingt-six minutes que tu guettes, elle aurait pas pu t’échapper. T’arrêtes pas de scruter le chemin sur cent mètres, à te rendre aveugle, les yeux éteints à force de chercher. C’est pas possible. Si tout de même. À moins qu’elle soit passée par un autre chemin ? Elle ne change jamais de chemin. Elle n’a jamais changé de chemin. Pas une seule fois dans sa vie, elle n’a changé de chemin, pas une seule fois. En tous cas elle est pas là. Elle a dû passer. Je vais essayer de la rattraper. Je vais changer de place, c’est plus sûr. Je vais aller me cacher derrière la cabane des jardiniers apiculteurs de l’autre côté du parc. Oui. Je la surprendrai mieux là-bas.
Elle n’est toujours pas là. Je ne l’ai pas manquée, en raccourcissant le chemin pour me poster positionné bien ? Je ne sais pas. Elle a fait peut-être, elle avait une course urgente. Elle a fait une rencontre. Ca l’a retardée. Elle ne connaît personne. Je ne l’ai jamais, jamais, jamais vu faire une rencontre, une seule rencontre, jamais. Jamais elle n’a fait la moindre rencontre dans sa vie depuis trois mois que je la guette. Oh ! Il est moins le quart. C’est inquiétant tout de même. Je ne comprends pas. Elle a dû recevoir un coup de fil sur son portable, c’est ça. Et elle s’est arrêtée pour mieux entendre. C’est ça. Elle a arrêté sa poussette et elle téléphone. Oh ! C’est ça que j’aimerais sublime. Tout à fait. Absolument. Oh !
Être le bébé dans la poussette. Le bébé qu’elle promène chaque jour dans le parc à la même heure, chaque jour elle fait deux tours de parc à la même heure, et toujours, toujours dans le même sens, dans le sens des aiguilles d’une montre, toujours ; elle doit être superstitieuse. Chaque jour elle fait deux tours de parc, c’est réglé comme du papier à musique qui jouerait Monteverdi. Parce que. Je l’aime tellement que j’aimerais être un peu son enfant. Au moins un peu. Oui. Je suis dans la poussette et je lui fais risette. Je lui souris et elle me sourit et je lui souris et elle me fait risette et je lui fais risette, sans fin. On se tient par la barbichette du rire.Être dans son regard et dans ses mains peloté de caresses comme un enfant. Elle me berce, elle me berce, elle me berce. Et moi, je fais areuh areuh de bonheur de contentement.
Moins cinq ! Non là quand même c’est beaucoup ? Peut-être le temps ? Elle a peut-être eu peur qu’il pleuve ? Sûrement pas. Je l’ai même vue sous la neige promener l’enfant. Quel que soit le temps elle promène, toujours. Elle est réglée comme deux horloges. C’est pas ça. À moins que ? Je vais changer de place. Encore un peu. Ca va la faire venir. On sait jamais. Mais j’étais dans un bon poste. Non mais juste un peu. Un tout petit peu. Pour lui donner une chance de venir, même avec un peu de retard.
Elle était sur ses gardes, elle m’a aperçu et elle a changé de chemin, elle a préféré s’esquiver. C’est cela, elle guettait, elle guettait et elle m’a vu et elle s’est détournée de son chemin pour m’éviter, c’est cela, d’évidence évidente. Oui. Elle veut pas être spectacle dans mes yeux, oui. C’est qu’elle a la vue perçante, elle est si jeune. Elle m’a entraperçu ou même pas juste reniflé, elle m’a senti et elle a préféré prendre la tangente en me contournant, c’est ça. C’est qu’ils sont plus près de la nature les noirs, ils sentent les choses, ils ont pas besoin de les voir pour savoir. Ils savent d’instinct sans avoir à confirmer des yeux. Ils ont le savoir subtil les noirs. Ils devinent les choses par sorcellerie et pas par connaissance. Un noir, c’est le corps de l’intuition, alors une noire je vous dis pas
Et puis c’est ça l’erreur, l’erreur forte. Je n’aurais pas dû changer de place, je l’ai ratée. Si j’étais resté à ma place aussi. Elle me serait pas passé devant. Mais elle a profité de ce que j’ai changé de place pour m’éviter. Ou même pas, c’est juste la faute à pas de chance, il a suffit que je change de place pour qu’elle passe. C’est pas de chance, c’est la faute à pas de chance. J’ai jamais eu de chance aussi. J’aurais pas dû tenter le diable du parcours aussi, si j’étais resté bien sagement à ma place aussi. Et oui aussi. Je l’aurais pas ratée. T’as même peut-être fait exprès en plus. SI ! Avoue ! Un peu. Et oui un peu, un peu beaucoup même. Tu es plus que ravi enchanté mais tu as peur de la rencontrer. Avoue ! C’est évident. Ouh le temps qui fait la grimace ! Il est maussade vert-de-gris, tout maussade et d’ici qu’il fasse la gueule orage, y a pas balance, ni un pas. Ah zut alors, il pleut ! Elle va encore moins venir, elle va pas venir et puis j’aurai l’air tout crotté tout dégouliné quand elle va venir et elle voudra pas de moi oulala si j’ai la gueule d’un rescapé de baignoire ! J’ai pas de chance. Attends, il pleut pas encore ! Il pleut pas mais ça va pas tarder. Vraiment j’ai toutes les guignes aujourd’hui. Elle est pas là et à la place j’ai la pluie. Si seulement le parc pouvait se faufiler entre les nuages, j’aurais pas la pluie. Goutte du soir désespoir, dit le proverbe météo de France 3. Mais quand même je suis frisson rien qu’à l’idée de l’attendre.
Ah non là c’est trop ! Deux heures quatre. Je ne comprends pas. D’habitude à deux heures quatre elle a déjà franchi le pont. Elle est presque à la statue nue. À moins cinq elle est à la bergère et au dieu Pan, à et quart elle est au socle sans statue et à moins vingt-trois aux balançoires. Là elle devrait s’acheminer vers le pont alors qu’elle n’a même pas tourné l’allée sud. Elle est peut-être aux balançoires ? C’est ça. Elle a voulu faire plaisir au bébé. Le récompenser parce qu’il a été sage. Elle lui a offert un tour de manège. Non, tu n’y penses pas, il ne tient même pas assis, il est trop petit ! Alors elle l’a amené à guignol. Hein ? Non, c’est un bébé bébé. Il est encore beaucoup trop bébé pour aller à guignol ! Alors je sais pas.
Si ça continue l’automne va arriver et même l’hiver avant qu’elle ne passe. Les feuilles vont tomber. Et elle ne sera toujours pas là. Il est neuf et dix-sept secondes. Pourvu qu’elle n’ait pas eu un accident ? J’en suis mort. Non, c’est pas possible, elle est toujours à l’heure. Et justement, elle est toujours à l’heure pour croiser l’allée sud et aujourd’hui elle est pas à l’heure, c’est bien la preuve qu’il lui est arrivé quelque chose ! Certain sûr. Elle a été enlevée ? Non idiot ? Quoique ? Elle est si belle.
C’est fou ! Qu’est-ce que je perds comme temps malgré tout ? A la poursuivre absente. À la poursuivre dans l’absence. Elle n’en finit pas de trotter dans ma tête. Elle est ma douleur. Elle me crucifie au foie. Elle m’expatrie et me tire par tous les bouts de mon cur, me glycérine à me miner, lacéré d’attente, éjaculé de moi-même. Je, je, je… essoufflé de piétiner d’amour. La voilà.
La voilà ! La voilà ! Alléluia ! Elle est là. Elle est là. Elle vient. Je butine. Elle avance, elle avance, le soleil est apparu. Le soleil est vivant. Elle vient vers moi oh Dieu ! Elle arrive. Elle vient, elle est là. Recoiffe-toi que tu sois présentable. Un petit coup. Remets la mèche. Oh Dieu ! Je suis odieux de bonheur. Le temps est blond. Zut ! La branche me la cache. La pousser. Là, bien. Je l’ai plein regard. Le ciel est avec moi. Elle est souveraine suzeraine. Elle avance, la route est velours. Les moineaux pépient sa beauté. Elle vient, elle vient ! Elle vient vers moi. Je suis tout exalté. Elle est le jour. Elle vient. Elle passe, je suis électrocuté d’elle. Le jour est un tambour dans mon ventre. Il hurle tam-tam-tam. Elle minaude du pas. Oh qu’elle est coquette ! Et chaude, chaude. Elle a le pas menu qui butine l’asphalte. Le monde est sous ses pieds. Idiot ! Avec tout ça tu l’as pas abordée, tu t’es laissé décrocher imbécile malheureux ! La suivre. Dégager les buissons. La suivre. Non l’aborder. L’aborder c’est ça que tu dois faire. Comment faire ? Quoi lui dire ? Le soleil gazouille. Que, quoi lui dire ? Trouver. Je m’approche. Je la rattrape. On passe le pont. Elle est là, je brûle, la doubler. Y aller. L’aborder. Le temps est court, dépêche-toi ! Elle est lumière. Peut-être mais vas-y ! Elle ouvre le jour. Sûrement, mais fonce. Elle.
« Quelle heure est-elle je vous prie ? » C’est bien trouvé, ça fait rire. Quelle heure est-elle. Non. Rien. Elle a pas tiqué. Elle a pas compris. Peut-être parle-t-elle mal le français ? Peut-être ? J’ai perdu l’accroche. Je suis pas bon. J’aurais cru que ça aurait marché. D’habitude ça marche. Bon un coup pour rien. Se reprendre. Relancer. Vite, vite ! Ne laisse pas le silence s’installer ou c’est le malaise qui s’installe et c’est cuit. Vite reprendre la main, trouver quelque chose.
Quand même ça aurait pu la faire rire : quelle heure est-elle ? Elle n’a peut-être pas d’humour. Des humeurs peut-être mais pas d’humour. Des humeurs en vapeurs et liqueurs mais pas d’humour du tout. C’est embêtant : les gens qui n’ont pas d’humour, n’ont pas d’amour dit le proverbe moldave. Faut décrocher autre chose en tous cas et vite. Respirer fort, calme, encore pour pas que ça bouillonne dans ton ventre et que l’émotion fasse pot-au-feu dans mes tripes. Apaiser la mer qui me soulève la poitrine de déchirures. L’émoi rend impuissant. Eh ! T’es pas là pour parler du déchirement de ton cur ! Laisse pas passer ta chance nigautaud. Trouver quelque chose. En urgence. Lui balancer un compliment qui la fasse fondre et l’abatte, à jamais à ma merci.
« Merci d’être née. » Ah ! Elle a tiqué, touchée. Elle a sursauté. Elle a marqué le pas, sans s’arrêter mais elle a marqué le pas. Son sourcil s’est levé sans rebaisser. Hi ! Il est toujours haut. Elle n’en revient pas. Elle ne s’attendait pas à ça. Moi non plus d’ailleurs. Je l’ai étonnée, peut-être même estomaquée. L’estocade, l’estocade pour l’achever et fêter l’hallali. Elle me rend sauvage. Je l’aime tant déjà.
Poursuivre, poursuivre, dense, la noyer de mots pour la séduire. Et me rassurer. Des mots enroulés déroulés en compliments bien tournés ouvragés. Le temps est braise. Ne pas s’arrêter, la saouler de mots pour qu’elle abdique. « Merci d’être née », c’est pas mal quand même. C’est bien trouvé. Merci d’être née. Ca m’est venu spontané, tout seul sans réfléchir. Elle est si belle aussi, si belle. Vous êtes si belle.
Pardon ? Vous n’êtes pas belle ? Vous n’êtes pas belle ? Il y a beaucoup de femmes plus belles que vous ? Peut-être mais je n’en ai jamais rencontré. Et vous êtes la seule la plus belle. C’est vrai quoi c’est agaçant ! Pourquoi elle se diminue ? Elle est pas belle, elle est la beauté. Ca devient vexant. De quel pays êtes-vous ? Ah du Cameroun ! C’est un beau pays avec le mont Cameroun. Vous êtes de Conakry ?
Elle répond pas. Elle doit être de la campagne. Elle est sûrement de la campagne. Les femmes de la campagne font les bonnes compagnes. Elle est de la campagne oui. Pas de la brousse brousse mais de la brousse élégante. Sûrement. Sûrement. Elle a tellement de chic. Et elle sent tellement le soleil. Je me demande s’ils ont le lait noir en Afrique ? Tu crois ? Peut-être ? En tous les cas ils ont le sperme noir. Sûrement. Puisqu’ils ont la queue noire. Ah ! Elle téléphone.
Arrêtons-nous. Ne pas la laisser s’échapper. Se retirer un peu quand même. Ne pas faire l’indiscret. Mais pas trop loin pour ne pas la perdre. Et puis quand même si je pouvais entendre quelques bribes de conversation, ça serait pas pour me déplaire. Ca me renseignerait même un peu sur elle. Et après je pourrais m’en servir pour la séduire peut-être. On sait jamais. Qui c’est ? Ah ! Elles parlent du pays, du Togo. C’est où ça le Togo ? Sous le Congo ? Ah ! Ca va mieux, y a la paix ! C’est curieux en général en Afrique ça va toujours mal, ils s’entretuent en boucherie avec hystérie, délice et bon plaisir. Comme à Conakry. Ah bon ! Il y a des petits sacs jolis qui sont arrivés à la Maroquinerie de Paris ! Ah bon ! Et il y a Sanofi qui couche avec L’Oréal sur trois niveaux dans la nouvelle galerie marchande au Mall du Petit Marigot ! Bien ! Bien !
Bien ! Et chez Exquis y a du nouveau whisky grande marque. Enfin c’est pas trop tôt ! Elle vient bientôt à Paris Liliane et justement elle voulait savoir si elle pouvait venir dormir chez elle. Ah tant mieux, tant mieux c’est gentil ! Elle la remercie beaucoup, beaucoup Liliane, c’est vraiment trop gentil, vraiment. Vraiment. Vraiment vraiment. Vraiment. Elle ne sait comment la remercier. C’est infiniment gentil de sa part. Elle est vraiment trop aimable et infiniment bonne. La bonté même. Un délice. Oui elle apportera du foutou et du froufrou de banane. Oui. Merci encore. Elle se fera toute petite petite comme petite souris pour pas la gêner du tout, du tout. Elle est vraiment désolée de venir ainsi s’incruster chez elle mais elle a pas beaucoup d’argent et vraiment ça la dépanne immensément présentement qu’elle l’invite à coucher. Et peut-être même à manger. Et peut-être même pour deux nuits. Oh vraiment tu es trop gentille, vraiment ! Euh ? Euh… Elle viendra pas seule, non, si ça ne l’ennuie pas trop, elle viendra avec sa fille. Et son fils. Si ça ne l’ennuie pas. Oui. Si. Et sa belle-fille aussi. Bien. Et avec le chat aussi. Non pas le chat ? Pas le chat d’accord, d’accord, pas le chat. Oui oui, elle comprend, elle comprend tout à fait, elle comprend parfaitement, absolument, y a pas de problème. Elle lui amènera une parure de tête en surtout d’atours avec nuds dénoués de nattes en perles et jeux de tresses en verre. C’est la dernière dernière mode. Ca c’est gentil. Elle sera somptueuse avec. Sûr ! Elle sera reine. Elle est déjà royale mais là elle sera impériale. Avec un boubou haute fibre écarlate et des nattes en couronnes de turban perlé. Oh ! Rien qu’à l’idée je brûle ! Elle me consume d’amour. Elle m’obsède d’obsession. D’obsession obsédée. Je suis comme déporté de moi-même tant elle m’incendie en noyade. Elle me monopolise. Je ne pense qu’à elle, qu’à elle. Je mange elle. Je dors elle. Je couche elle. Je pense elle. Je sens elle. Je… Elle m’a exproprié de moi-même. Elle est délicieuse. Elle est craquante comme un petit boudin. Oh sa peau ! Une confiserie délice. Un gâteau au chocolat qui porte du café dans des gousses de vanille. Je suis gourmand d’elle. Un boudin croquant, moelleux à l’intérieur et croquant à l’extérieur, de peau, un régal festin, un vrai régal de papille et de pupille que sa peau dorée de noir. Que son bras, que son corps. C’est si bon le boudin, si fondant dans la bouche, si fondant dans l’amour. Je suis gourmet d’elle. Elle avance comme une charcuterie.
Ouh non c’est trop quand même ! Elle avance dans ma tête et la hante en overdose de mots. Comme une indigestion de beauté à force de l’ingérer de désir. Mais faut quand même pas devenir cannibale sous prétexte d’amour. Elle est le temple de l’amour pas la cuisine. Oh me noyer dans ses bras, y crever d’amour, ruisseler de bonheur !
Allo ? Allo ? Ah je croyais que ç’avait coupé ! C’est pas elle, non, c’est le petit. Ca braille, criaille, piaille. Il est impossible aujourd’hui. Il me fait une après-midi invivable le petit monstre. Oh ça, j’ai une dent contre lui, il fait une dent et il hurle voyou goret, terrible ! Tout le monde me regarde autour du bac à sable comme si je torturais le petit. J’ai l’air de quoi ? Je suis gênée gênée, mais gênée gênée. D’ailleurs il mériterait qu’elle le torture. Oui. Absolument. Ca fait mal les premières dents mais tout de même ! C’est pas une raison pour arracher la compassion à coups de sirènes buccales à mille kilomètres et demi à la ronde ! Il m’a déchiré au moins six tympans depuis ce matin. Six, oui. Et même peut-être sept ! Ah on repart ! Elle a fini son coup de téléphone ou plutôt elle va conclure sûr. Elle en a marre de sa copine parasite. Elle avance pas vite. Bon enfin c’est toujours ça !
Je devrais lui téléphoner. Oui. Si je n’ose pas lui parler au moins le faire par téléphone. Ce sera plus facile, je serai plus à l’aise dans l’à l’aise et le décontracté. Elle sera étonnée quand elle recevra le coup de téléphone. Le temps qu’elle réalise qui c’est qui lui téléphone, j’aurai placé toute ma marchandise et advienne que pourra. Il faut toujours jouer l’amour à quitte ou double, le lancer à l’à dieu vat. Oui. C’est ça que je vais faire. Oui. Mais ! Mais quoi ? Tu oublies que tu détestes le téléphone. Tu l’as en phobie. Tu es handicapé quand même ! De toute façon tu ignores son numéro de téléphone ! C’est vrai. Comment faire ?
C’est étrange. Je ne sais pas mais. Je suis mal à l’aise avec un téléphone. Surtout pour l’intime. C’est pas commode. Je ne supporte pas de ne pas voir l’autre, de ne pas le toucher, au moins avec les yeux. Il y a quelque chose de grossier et d’abusif dans le téléphone, dans cette manière qu’il a de s’imposer dans l’intimité des gens. De forcer leur désir. Et puis ? Comment dire ? Ce n’est pas une présence le téléphone, même pas un réconfort mais la concrétisation d’une absence, l’aggravation d’un manque.
Pouhhhhheuhhh ! C’est dément quand même. Elle me vendange complètement. Me lapide. Je n’ai jamais, jamais été amoureux comme ça. Jamais aussi fort, aussi longtemps. Elle me pulvérise les neurones et me monte les couilles en braise sans relâche. Je ne pense qu’à elle tout le temps du temps, tout le temps du temps du temps tout le temps en permanence. J’ai le temps massacré. Elle est dans mon corps et m’ébouillante à chaque instant. M’a lessivé intégralement la cervelle. Plus une pensée. Qu’elle, elle. Elle dans elle dans elle, qu’elle. Dément non ? Elle est ma vierge et mon icône. J’en suis amoureux fougueux, intense d’elle. Elle m’éblouit le sympathique, envoûté par son corps, hanté de sa chair je me prosterne dans ma tête tant elle m’arrime halluciné d’elle. Je suis amoureux en détresse. C’est ça. Elle me rabote. Je ne savais pas que l’amour pouvait faire aussi mal, lever si haut l’angoisse, à l’arête, à vous mutiler le bonheur. À vous tartiner au malheur. Je n’ai jamais connu un amour aussi dru ardu. Jamais. À vous frémir dans tous les os. Je suis son ouvrier, elle est la patronne et je suis son ouvrier. Elle m’électrocute et me démange en ravage sans cesser. Bien !
Faudrait peut-être voir à voir à lui causer. C’est pas tout de l’accompagner, il faut la faire rire si tu veux la lever. Et pour faire rire faut causer. Mais que lui dire ? Pas lui parler de mon amour en direct ça fait trop lourd et trop direct, juste par allusion. Délicat.
Vous êtes là et il fait beau. Non c’est idiot. Il faisait mauvais, enfin un temps hargneux, vous êtes arrivée et le soleil a éclaté. Non n’insiste pas, c’est lourd, tu patauges, tu dilues. Tu t’enfournes. Elle a pas souri, elle a pas souri, n’insiste pas. Faut trouver autre chose. Des petites choses drôles. Des amusettes de langue, des affiquètes calembourées, des frivolités enjouées, des… Je suis malade de vous. Non, tu peux pas lui dire ça de but en blanc ou tu veux la faire fuir alors ? Attaque pas si fort. Elle s’en fout de toute façon. Elle est comme si elle était pas là mais ailleurs, en l’air. Elle joue l’absente. Elle veut pas. Elle regarde ailleurs. Qu’est-ce qu’elle fait ? Elle rêve les nuages ? Elle va trousser les mésanges ou quoi ? Pourquoi elle lève la tête ? Pour pas me voir, sûr, sûr. Elle fait semblant. Elle m’occulte, elle me saute, elle me nie. Elle saute les yeux en l’air. Elle préfère me refuser un regard que de me regarder. C’est ainsi. Elle me gomme. Et si elle trébuchait à force de regarder en l’air ? Ce serait bien fait. Tiens ! Ca lui apprendra à regarder par terre. Non mais attends, attends ! Elle va pas me faire croire qu’elle est tombée amoureuse d’un cerisier du Japon ! Et qu’elle s’absorbe dans sa cime ! Quand même ! Oh y aillhe ! Elle me fait les pieds plats à tourner inutile autour d’elle comme une mouche sans coche !
Et si on allait chercher les ufs de Pâques dans la prairie ? Crétin ! C’est pas l’heure de batifoler, on est à la Toussaint pas à Pâques, l’herbe est toute mouillée et y a longtemps qu’elle a plus l’âge de jouer à colin-maillard cache-tampon, l’aimée ! Et c’est pas des ufs que tu cueillerais mais des maccabées. On n’est pas en mai fais ce qui te plaît mais en novembre protège ton membre. C’est plus l’Ascension fiston c’est presque Noël.
Oullahh elle ne me regarde pas, les couleurs sont verdâtres dans le ciel ! Pchihhouhhh !
Tiens ! Profiter, au virage, le Délice Gourmand. Le restaurant de belle gueule, la submerger de mets pour la dévorer d’amour. En profiter. Je l’invite dans ce grand restaurant bien cher, bien chic et je la stomaque. Je lui porte l’estocade d’amour. Héhé ! Malin le petit toréador, l’estaquade, pardon, l’estocade y a que ça. Elle est à moi. C’est un beau cadre que ce restaurant avec toutes ces jardinières et toutes ces coulées dégringolées de fleurs. Elle sera pivoine parmi les roses, reine des fleurs et des regards, miroir du jour, éclat du rêve. Un miracle de beauté.
Ca vous dirait… ? J’aimerais… Si vous vouliez… Termine tes phrases comme on termine ses plats ou elle te lira demeuré. J’aimerais vous inviter à dîner dans ce restaurant ce soir si vous voulez. Quand vous voudrez. Ca fait tape-à-l’il mais ça irrigue le désir et lève la convoitise, les femmes d’amour sont toujours gourmandes. C’est dans le panier. Elles ne savent pas refuser. Tiens ! Elle ne répond pas ? Curieux étrange ! Pourtant c’est un bon restaurant ultra cher ! Elle a pas dû y être invitée de sa vie ! D’habitude ça ne se refuse pas ? Non, on peut pas la corrompre celle-là par le gourmand.
Elle a un corps soleil. Vous êtes les portes de l’amour. Elle est le corps de l’amour. Elle me torture. On n’a pas le droit d’être aussi belle. Je… Je suis comme une défaite à côté d’elle, elle est si belle. Une tache de honte. Si… Comment oses-tu ? Elle est si belle ! Tu fais comme une tache à côté d’elle, comme une injure. Tu es le corps de Dieu merveille. Oh ! Je vous touche et je touche Dieu. Vous aimer est péché mais péché d’amour.
Mais ça me tarabuste et me bourchiffonne lourd. Toujours. Oui toujours. Enfin tout le temps oui. Sans connaître l’exception jamais. Sûr. Enfin je crois. Non, certain et sûr. Toujours elle navigue de gauche à droite, comme il se doit. Oui. Je me demande pourquoi ? Oui ! C’est vrai. Toujours. Absolument. C’est curieux quand même et des plus étranges. Une habitude ? Une nécessité ? Un réflexe conditionné ? Un hasard répété quotidien ? Une inadvertance ? Ca s’incruste dans ma tête et l’obsède à pas pouvoir la départager. Elle me vend à l’interrogation dense. Je me le demande tout le temps depuis toujours ; enfin depuis toujours que je la connais. C’est ça qui me tirebouchonne intégralement. Pourquoi tourne-t-elle toujours dans le sens des aiguilles d’une montre ? Oui pourquoi chaque jour que le diable fait, tourne-t-elle toujours dans le même sens exactement ? Dans le même sens et à la même heure à la seconde près ? Par conformisme ? Pour se rassurer ? Par maniaquerie ? Et même par maniaquerie maladive ? Elle aurait tellement peur de tourner dans l’autre sens. Elle est très copie conforme bien sage obéissante, photocopie couleur. Si elle tournait dans l’autre sens, c’est qu’elle serait habitée par esprit de révolte ou tout au moins un petit esprit de rébellion. Ca lui donnerait l’impression d’exister. C’est ça. Absolument. Si elle tournait dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, elle aurait un peu l’impression de tenir tête au vent au lieu de vivre comme un mouton. Mais elle se préfère mouton. Et moi je me la préfère brebis, je l’aurai mieux en main, elle sera plus docile. Elle a raison de tourner dans le sens des aiguilles d’une montre. Le monde est plus large quand on tourne de gauche à droite plutôt que de droite à gauche à cause de la rotation de la terre. Enfin je crois. Enfin y a de fortes chances. Je me demande quand même quand elle tournera dans le sens opposé aux aiguilles d’une montre ? Quand ? Oulala ! Oulala ! Avec mes élucubrations ! A force de vaticiner je vais la perdre, elle est déjà à trois kilomètres ! Je vais la perdre ! Elle est déjà perdue même, ohlala ! La rattraper vite, vite !
Vite, vite ! Ah voilà le rêve des jours ! Je suis à ses pieds. Je tourne autour du rêve de mes jours. Je suis en conquête. Pourvu qu’elle me veuille ! Que je reprenne mon souffle. Que je reprenne mon souffle ! Houf ! L’amour ça essouffle et ça ruine. Un jour quand même il faudra qu’elle prenne le parc en biais, en diagonale pour varier. On peut pas vivre en s’encroûtant toujours dans le même sens. C’est pour le coup qu’elle tourne en rond. Mais… ? Qu’est-ce qu’elle fait ?
Tiens c’est amusant ! Qu’est-ce qu’elle sort ? Curieux ! Elle doit aimer les fleurs ! Beaucoup les fleurs. C’est une drôle d’idée ! Souvenir sans doute ? Ou étude scientifique ? Ca m’étonnerait tout de même ! A moins qu’elle soit jardinière ? Qui sait ? Etrange pour le moins du plus ! Elle ? Que fait-elle ? Clic ! Ah non moi je le prendrais dans l’autre sens ! En vertical, pas en horizontal ! Elle aura moins de champ inutile. Ah ! Elle remonte un peu. Elle a raison. Quoique moi je ne monterais pas autant. Non. Faut plutôt glisser, glisser sur le côté tout en descendant un peu. Enfin je pense. Oui. C’est pas évident mais ça agrandit l’impression. Je me demande si c’est le jaune qu’elle adore ? Ah elle recule ! Non elle revient. Elle recule, elle recule encore. Hi ! Si ça continue, elle va tomber dans mes bras ! Tant mieux, tant mieux ! Ravi, je suis. Elle pointe en haut. Non elle descend. J’aimerais tant être pris avec elle ! Qu’est-ce qu’elle prend exactement ? Le massif de tulipes jaunes, très évasées de calice. Pourquoi ? Peut-être est-elle amoureuse de cette race de tulipe au col échancré de vasque en crochets de lance de hallebarde ? Mais qu’est-ce qu’elle aime les tulipes ou le jaune ? Ou les deux ? Je sais, je sais, je sais ! Lui offrir des fleurs. La prochaine fois, demain, je lui achète des fleurs jaunes. Sûr. Elle sera tout sourire. Un grand sourire jaune. Un sourire bouton d’or et ce sera dans la poche. Hihi ! A moi ! Hi ! Oui lui offrir des fleurs pour lui ouvrir le sourire. Ou ? A moins que…
Oui. C’est peut-être pas les fleurs qu’elle prend mais la statue derrière qu’elle prend, le gisant champêtre. Oui. Bel ensemble. Deux hommes nus ramènent sur leurs épaules et le poids de la tristesse, le corps nu de leur camarade blessé. Ils reviennent du combat à la bataille de Sébastopol ou d’ailleurs. Le temps n’est pas large pour eux. À moins que ce soit la fête du printemps avec l’automne et le printemps qui portent le corps de l’hiver mort sur leurs épaules. C’est une allégorie des saisons. Enfin peut-être. Allez savoir ce que signifient les statues de parc ? On ne sait jamais. Ou elles illustrent des inconnus célèbres ou des paraboles que personne ne comprend jamais. Non. Elle devrait pas ! Là je crois qu’elle a tort. Elle devrait cadrer en latéral et pas en hauteur, ça ouvre le champ. Oui comme ça.
Elle est la grâce quand même. Une grâce fleurie. Et même les trois grâces à elle toute seule. Je me demande qui elle est exactement ? Elle est la beauté mais dans la beauté, elle est plutôt Aglaé ou Thalie ? A moins qu’elle soit Euphrosyne ? Non Aglaé, Euphrosyne c’est un prénom dur à porter, Aglaé c’est plus gai. Mais elle en prend plusieurs ! Plusieurs clichés. Elle adore les fleurs vraiment ! Faut que je l’inonde de fleurs. Absolument. L’inonde à l’enivrer. À moins que ce soit les hommes nus qui la tentent, dont elle abuse. C’est ma chance. Je vais me mettre tout nu, tout de suite pour m’offrir, pour offrir mon corps à son regard et qu’elle me prenne tout de suite. Et… Non quand même, c’est un peu osé osé. Je vais… Elle va me prendre pour un homme à l’imperméable exhibitionniste et prendre peur et me repousser effrayée. Elle me prendra pas, au contraire elle me jettera. Mais ? Quand même ! Si seulement elle pouvait me prendre au lieu de prendre des fleurs inutiles. Je la mettrais sous un joli cadre. Et ça me ferait un souvenir. Parce que même si elle me repousse, j’aurai quand même cette photo en souvenir. C’est toujours ça. Ou… ? Ca serait mieux magnifique ! On pourrait ?… On serait tous les deux sur la photo, ça nous ferait peut-être un souvenir à deux, à partager. Hihi ! Elle m’enfourne.
Je suis lourd et balourd. Je vous encombre. Je suis plus pesant, patinant qu’un 30 tonnes. Peut-être. Bien sûr, excusez-moi ! Excusez-moi ! Ca vous ennuie que je m’excuse tout le temps ? Excusez-moi ! Mais, je m’excuse, mais je ne peux pas vous quitter. Si je m’éloigne de vous c’est comme si je perdais une jambe. C’est pour ça que je me permets d’insister, m’incruster. Je ne voudrais pas finir infirme de l’amour. Non. Non. Non.
Qu’est-ce que j’insiste ? Sûr. Elle n’aime pas. Je lui gonfle les branchies et lui enfle la vessie à l’impatience. J’insiste et dans cinq secondes elle me ravine l’honneur et me tronçonne à la réplique assassine. De toute façon on tombe amoureux par nécessité et par besoin. On tombe pas amoureux par hasard mais c’est une question de survie. Comme qui dirait une nécessité impérieuse. C’est biologique chimique l’amour. Idiot ! Ne pas lui dire, ne pas lui dire ou elle m’avorte pour toujours et elle me crêpe le cuir chevelu. T’es là pour l’encenser, l’admirer, lui faire la cour, pas pour la banaliser et éteindre l’étincelle. T’es vraiment un demeuré de l’amour.
Oh ! Elle me rend fou, me besogne d’amour. Je suis son chien, ne peux m’en défaire. Je lui appartiens. Elle, elle, elle. Elle m’ensorcelle. Je ne tiens. Je crie.
Vous êtes mon sang. Tu es mon pain. Ton corps est un gâteau. Je le sens. Je l’ai pas vue mais je le sais. Au matin du matin du matin, à l’aube de l’aube, au saut du lit, je la vois. L’aimer, la surprendre au petit matin de l’aube toute froissée de son corps de la nuit, fraîche endormie. Elle a le visage comme effacé par la nuit, sans apprêt, le moindre maquillage, infiniment nue. Il apparaît indécent dans sa nudité essentielle, comme incongru, tant elle n’est elle que fardée en excès. Nue, brute de décoffrage, en deuil de tout fard, elle paraît même obscène. Ne pas lui dire, ne pas lui dire ! Je ne la démaquillerai jamais, jamais. Je refuse, refuse de la voir au petit matin du matin, quand elle est mutine, câline mais crue. Ne pas lui dire ou elle m’incendie calciné.
Dieu est dans votre regard. Avant de vous rencontrer je vivais mort, décédé de vie. Vous êtes l’amour, votre corps est bonheur. Vous êtes la reine des corps, du jour, vous portez l’amour. Je vous regarde, je vous regarde, je vous regarde et je viole votre âme. La prochaine fois qu’on se verra, on fera une fête ! Promis ! Ce sera la fête de votre corps.
Attendez ! Si je peux vous aider. Ca passera mieux comme ça. Non tirez ! Tirez mais en poussant. Et en girant. Oui excusez-moi de vous donner des ordres ! Mais pour qu’elle entre, il faut tirer tout en poussant là et tourner en glissant en translation latérale à tendance ascensionnelle. Oui. Je m’excuse de vous faire un cours sur les méthodes de traction et de levage, mais la poussette entrera plus facilement dans le bus si l’on applique ses lois. Non, pas ainsi, en vrillant un peu tout en élevant et tournant, juste forcer un peu pour passer. Voilà. Attendez ! Je vais le faire ! Laissez-moi faire. Ca sera plus commode. Et plus facile. Je vous monte la poussette tout seul. Ca sera plus simple. Voilà. C’est plus pratique comme ça. Regardez, il est tout content le bébé d’être baladé dans les airs en ascenseur ! Voilà ! Voilà ! On repose. Il n’y a pas eu d’à-coups, ni de violence. Le bébé en est tout béat. De rien, de rien. Y a pas de quoi ! Je vous en prie. C’était un plaisir. C’est moi qui vous remercie. Je vous en prie.
Merde ! Je suis extrahypergrave con ! Pourquoi je suis pas monté ? Je suis une double andouille triplée à l’andouillette et farci boudin gras ! Je l’ai laissée s’échapper ! Mais pourquoi, pourquoi l’ai-je laissée s’échapper ? Pourquoi ? Pourquoi ? Il fallait monter dans le bus ! Avec elle, triple diplodocus à tendance mahométante déficiente ! T’as l’à-propos où ? Dans les talons ? Fallait monter dans le bus triple racaille de la présence d’esprit ! Putain ! T’es un poireau de l’entendement ! Laisser passer une chance pareille ! Et maintenant elle est partie. Tu es indécent de bêtise. Goujat de l’échec ! La laisser s’échapper. Je suis en rupture. C’est raté, elle est partie maintenant. J’en suis sauvage.
(Mardi 19 mai 2004. Saint Yves, c’est les avocats qui sont à la fête. Lune nouvelle et donc défunte. Le soleil inonde le soleil. Le ciel est bleu jusqu’à vous rassasier. Ma femme part en Chine et moi je reste à Paris baignant dans le beau du temps et dans l’attente. Elle dort, calfeutrée derrière sa fenêtre, elle m’attend. Pauvre bougre ! On peut toujours rêver. Le ciel refuse les nuages. Le soleil grille déjà le ciel. Le mauvais temps est défunt mais le vert lumineux des arbres est piqué de terne si intense est le soleil. 10 heures moins dix. Le soleil adore les heures de symétrie.)