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Choix

Pierre Igot

juillet 1998

Je me souviens d’avoir ressenti des émotions plus denses. J’ai le sentiment d’avoir eu moins mal. Je crois avoir été plus incohérent. Il y avait de nouveau une bête noire et gluante qui rampait sur le lit ce soir.

Je n’ai pas choisi d’essayer une autre personnalité. C’était ça ou la rupture. Je ne vois pas comment j’aurais pu m’en sortir entier autrement.

Ce genre de choix, ça ne se critique pas vraiment, si ? Autant laisser les bêtes noires ramper librement.

Je subis sans nul doute une augmentation du nombre de piqûres. Reste à déterminer si elles viennent d’ailleurs ou de l’intérieur.

L’eczéma est roi. Ses manifestations sont subjectives. Les mouches s’en occupent. Leur merde se voit sur les choses nettes. Ces matériaux sont si artificiels que j’en rougis. L’été, je ne sais plus si ma chaleur vient du dedans ou d’ailleurs. L’hiver, à la fin d’une bûche, c’est plus clair. C’est pour cela que je ne l’attends jamais. Je ne veux pas savoir. Je veux ne pas avoir besoin de savoir. J’ai besoin de calme. Mouche-toi.

Dans un autre monde, je n’aurais pas à me lever si tôt demain matin.

Spécialiste des plaintes de surface / Expert en idées entières / Diplômé en espaces écrits / Apprenti casse-pieds.

Pensée accessoirement fragmentée, globalement indéchiffrable. (Avant : pensée fragmentée, indéchiffrable.) (Encore avant : pensée fragmentable.)

La qualité du changement se mesure à son sexe.

Il se masturbe pour doubler la douleur, les pilules roulent sur son pénis courbe, il courbe sa douleur sous son pénis rouge, les pilules s’écrasent et leur poudre double la masturbation de sa douleur, il se roule de joie et de douleur sur son pénis écrasé qui poudroie.

Il n’a jamais éjaculé aussi sec.

À l’arrêt, c’est d’abord la déroute des neurones et ensuite le retour en flux des synapses. On ne choisit pas celles qu’on veut faire taire. C’est une décision très grossière mais c’est aussi la seule. Rien ne sert alors d’envisager les conséquences en tant que telles. La poitrine n’est pas libre mais n’est pas serrée non plus. La tête n’est pas claire mais arrive encore à retenir les objets. Le cœur n’est pas discret mais ne déborde pas non plus sans avertir. Les choses ne sont pas comme avant — avant qu’elles ne soient choses. Le choix est fait. Au lieu de mépriser mon être, on peut désormais mépriser la pitié que je n’inspire pas. On peut se laver les mains sans rougir. On peut désinfecter toutes les bières.

Avant, au moins, on choisissait de ne pas mourir entier.

Il n’y a pas de comparaison qui s’impose. Après tout, il n’y avait pas d’autre décor possible pour cette misère-là.

Je ne rentrais pas dans le cadre. Je n’ai plus besoin d’y rentrer.

Je suis approximativement redevenu moi. C’est, apparemment, ce que je pouvais espérer de mieux.

À bien y réfléchir, rien n’a jamais été bien différent. Reste le mystère du petit saut quantitatif qui a tout déclenché. Comme si la montée n’attendait qu’un seuil.

Au fond, c’est ce mystère qui fait peur à mes os. Rien ne dit qu’il ne se reproduira pas. En plus grand. En miracle aux yeux des géants. En cataclysme. Je pourrais soudain exploser. Éclabousser tous les murs. Puer jusqu’à la frontière. Sonner le ralliement de la vermine du monde. Ceci dit, ça risque de compliquer l’autopsie.

Tout a commencé, un jour de 198…, par une pointe de douleur à l’extrémité inférieure du testicule droit. Tout a continué comme ça avait commencé, inférieur en pointe. Je n’ai appris qu’à l’occasion du décès récent d’un être laid que j’avais une prostate. Maintenant, j’exagère. Nouvelle sorte de médicament contre l’exagération. Je prends.

Désormais, je monte, mais sans prise.

Ma raquette s’est blessée à l’entraînement. Je joue à mains nues.

Est-ce qu’un jour, il faudra tout recommencer ?

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Paysage 178 : Lac de Sils, Grisons, Suisse (2006)