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Foyer à ciel ouvert de littérature contemporaine européenne

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La Peur Fenêtre

Stephane Ilinski

février 2000

1

À reluquer des papayes on s’retrouve à piquer des pommes toutes connes pas exotiques et juste acides pour faire pisser un vache buveur de cidre. On a trop maté et la papaye ricane en bloc à l’étal et se fout de la gueule de toute la rêvasse du globe. Pour peu qu’on soit sans veine, on se fait choper par le col et on crache même les pauvres pommes encore avec leurs pépins dedans. Hop flicaille hophop ben on est désolé bien baveux devant les barbus badgés de la superette. Vaut rien d’malheureux tu vas pas taire ton bec non ! Profane espèce arriérée des pommes tsss tsss, pas honte nan ? ma main dans ta gorge si tu les déballes pas une à une… Scrute un peu pas même une allure d’Ève ni d’une cloche ! ça cherche à rigoler du monde en vrai, à rendre con par les fruits ! et qui trinque pendant c’temps dans les vergers normands hein qui ?… Sûr que ce matin encore les tropiques ont pas fait long feu y’a pas à chiner : on a déconné en gros…

Les messieurs vigiles ont des teints de papayes, mais plus fiers encore et un rien plus cyniques. Authentique ça de prendre un vieux tout propre sur lui et puis qui tire un kilo de pommes !

Un des deux sort son torchon à morve du côté vierge et chatouille les pommes des îles qui nous ont foutu dedans — pchtt pchtt sa gueule tout en coin nous en jette un tout blanc à travers histoire de rappeler la faute foireuse de l’aventure…

Ping-pong et vingt-deux oust ! la volaille qui rapplique en grand sérieux et le chef de rayon et la donzelle de la douze et le clampin du bureau des payes et tout le troupeau. Là les papayes ont foutu le camp bien au loin il fait moins beau que tout à l’heure les vigiles bronzent même plus les néons clignent pour que l’affaire s’éternise. On a les poches encore trois-quatre fois trop rondes pour ces gens qui vont pas traîner à mordre… Pfff si on avait su le prix on aurait saisi le soleil et le jus pas l’objet plouc et normand ! C’est qu’on voulait prendre le large à l’origine courir vers le neuf bouffer du sable fin au lieu de bouse grasse ! On avait en plus calculé eh minutieusement ! On s’était pas remis que ces saletés de pommes étaient à portée de poches, qu’elles avaient l’allure toute facile que les papayes eh quoi il fallait se lever pour en cueillir !

Alors mon vieux on sait pas quoi foutre, on ruine l’agriculture nationale et le gentil commerce ? Où c’est qu’on a gagné ses fringues où c’est qu’on a la panse ronde et les pompes cirées ? Ah y’en a qui manquent de cafard en pensant chaparder pour le sport ! Visez-moi la trousse pleine de billets — tu sais qu’il y en a qui font dix fois ça sur le bitume pauvre âne ! Sûr qu’y peut pas nous cadrer le personnage qu’il a déjà monté sur les barricades en 68 (t’as vu son âge ? — bon bah ses vieux au moins)….

Alors commence la ratisse les bleus qui écartent la police locale on grimpe d’un cran tout qui retourne en marche y’a rien à voir — même les pommes sauf une pour la conviction — mais sans nous. Et on détale correctement agencé d’une quinte de galons graveleux et pas aimables. On a même un chauffeur qui patiente sans jurer casquette arrière clope en coin et tout et tout. C’est pas loin d’être royal sauf pour les papayes qui sont qu’un souvenir passé sous le nez. Les pommes on va les entendre jaser et plus que de raison ; grâce à elles on va se faire chamailler les entrailles et verser quelques larmes. Quand même con ce fruit qu’on pense un peu tard dans la caisse. On peut au moins goûter pour le prix ? nan ? Ben alors…



*



Derrière l’office ça gangrène. Ca gangrène on ouvre l’œil. À toute épreuve de ci de bord d’alentour on espère cueillir. Tout d’écoute on est à l’orée d’un grand coup sûr ! N’empêche pourvu que ça tarde pas parce qu’on dégage plutôt vivement devant le vide. La trouille monte vite en scène avec sunlights et tout l’orchestre : schizonoïacyclotimicaroïde vlanvlan et zou en bas ! plus un poil ! à dix lieues qu’on est barré au repaire clinquant de l’allure tout épinglé cravate et cirque culinaire ou clairement au troquet bien au carré face à la mousse. Ca rigole maigre ça détale et ferme ! C’est pour la raison qu’on tient le calme qu’on essaye tous sens dehors le sourcil froncé à l’ancienne les écoutilles calées pour pas battre au premier vent la pupille injectée tellement on la verrouille.

Toctoc allez laisse flotter la flore passer la papillasse cuve le qawah jusqu’au nez la médecine peut pas grand-chose s’agit d’accroche de forcer l’âme : y’a rien de gratuit dans la danse ! Bon dieu parce que tu vas danser gaillard et mieux qu’hier soir ! tu verras la méditation ailleurs en attendant bouffe la pierre et trémousse tes arrières si tu veux pas crever hagard…

Vrai que ça s’allume derrière l’office et même à peine larmoyant. Sans blague on croirait une ballerine en dentelles — presque douce mon salaud ! Tout juste si ça grille pas du pain pour le directeur dis-donc frotte-frotte avec du beurre au sel la marmelade et les œufs coque… Toute l’histoire sous les néons en lettres clignottantes faudrait penser aux barrières pour écarter la foule de l’oiseau rare appeler du renfort pardi ! Pas une mince mouillette hein de cogiter à la chasse. On rit dans le seau plutôt à couvert. On gesticule mais du bout des lèvres. L’obscène on l’garde sous la langue…

Attends ça crépite les couleurs viennent ça s’arrange en douce avec les bouquins… bouge pas on arrive… un sucre ou deux ? une orange pressée ? un sirop exotique ? on te pompe le nœud tout de suite ou tu retires ton bavoir ? Nan nan ça vient mine de rien bien appliqué en trois couches sagement propret et correctement tissé… un sacré trompe-l’œil qu’il accouche et encore sans bavure net d’impôt ! Pas une goutte de plasma sur la moquette la chose pas du tout esquintée par les forceps — elle a glissé au-dehors vaselinée par une main de maître… dis on y voit que du feu clapclapclap !

Faut dire que l’opération demande un vieux coup de pioche. Intituler ça s’apprend guère — t’as pas l’coup tu l’as pas. S’agit de se faire inspirer de s’enfiler promptement la pub et tout en un coup. L’élixir de l’artiste quoi ! tu sais pas vas brouter les temps sont pas pédagogues… parfait pour d’autres — de ceux qu’ont la manière côté génial les grands buveurs avec la classe les forts poignets. Pas pour des p’tits palucheurs les titres. C’est de la grosse lettre. C’est de la littérature à la hussarde du vendeur quoi et tiens des couilles en or !

Intituler voilà à quoi ça s’use au comptoir lettreux ! Pfff une vraie micheline à penser et que ça envisage et que ça décroche et que ça ressasse et que ça paume le fil… pas possible de saisir le bon caractère avec les doigts gras ! Parbleu une carte postale et ça repart. Parce que l’image ça peut être du solide une top partie de coloriage — vas suivre le contour et hop torché ton titre où donc s’est vue l’énigme ? Y’a pas à raconter à s’étendre pas à moufter — pas même à causer pour soi : on comble les blancs et puis révérence applaudissements debout rappels… zou plus qu’à picoler le succès en loge !

Voilà pour la mémoire : y faut ruminer mais droit comme un bambou roucouler et cajoler mais que la plante soit à portée sous l’œil s’il se peut. Après c’est rien d’mieux que de la gribouille qui tombe en art et tout net mon vieux vlan ! plein pot dans l’centre ! Monsieur Tell peut bien rentrer sous le comptoir on fait mouche à coups de mots et sans verbiage… Pareil pour les poètes du coin ! Un titre de ce calibre quand ça se trouve ça flingue les meilleurs vers… quand ça s’attrape. V’là le hic le niais malheur. Intitule pas comme ça qui souhaite. C’est pas une truite qu’on ferre en bord de Marne ! Et pour les cartes postales faut du monde en voyage et qui a des pensées pour le sédentaire. Forcé que c’est du grand art tellement c’est peu gagné…

Des siècles que ça enfile attablé comme une morue chapelet au bec. Des graines de graines de graines d’instants pas légers — des secondes parfaitement dans la valeur du terme. Le menton devenu si mou qu’il imprime les poings contre la barbe la queue qui goutte à goutte entre les cuisses le métronome qui bousille l’ambiance plombée… v’là le vrai hic. Tiens tousse un iota dans ma manche qu’on se marre là-dedans sors l’argenterie que j’te dégote un titre avant que la soupe ait refroidi !

Derrière l’office ça gangrène presque.



*



Le parquet et les comptoirs ça vous rend chaleureux l’endroit. Et toutes ces fenêtres ces innombrables lucarnes en plexiglass les néons en rangs d’oignons… pratiquement l’envie de chialer tellement l’aquarium est clair ! Dans pareille usine ça doit être la joie de se pointer aux fourneaux. Le cœur doit frémir rien qu’à l’idée de quitter le bled de trou ! Il faut quand même relever l’étrange : que le rire est plutôt tiré nerveux comme canard sans tête par ici. Les gars et aussi les bonnes-femmes eh ben ça rigole du tout au bout des lèvre… Drôle de peuplade aux sacrées politesses : que j’te boude que j’t’ignore que tu me gonfles à vue d’œil… Par contre entre nous les bleus que de délicatesses que de démonstrations quel amour ! Sûr qu’y doivent partouzer en cachette dès qu’on tourne le dos à tellement se lécher les pommes. Le club doit être du genre ésotérique et pas facile à incruster…

Tiens privilège ! un gros nous rit au nez comme ça on entre d’emblée dans la danse on attend pas long d’être mis au parfum. Va y avoir de l’action bon sang on risque pas de rester en rade on a d’un coup l’attention requise et sans demander.

Le temps qu’il se gausse que les échos de ses entrailles allument une toux du diable on jette l’œil au-dessus du bureau. Vrai un tas de cartes postales toutes épinglées à tout un tas de textes ! Office office ! Ca renifle l’aventure la réflexion voyageuse… on a dû tomber sur une floppée de globe trotters songez la veine ! Bon les couleurs des cartes sont plutôt passées et les mots embaument pas vraiment la bonne humeur — mais qui sait s’y suffit pas d’une cinglante causerie pour décrasser le tableau et endormir la stupeur ?

Le gros pouffe plus y grogne tout en bloc tout massif. Le con ! ça sursaute et grogne de plus belle. On se sent concerné. On se retrouve tout chose quand le patron du coin dégaine le fruit défendu — ben oui c’est bien l’objet de la fête qu’on bégaye retourné par magie à l’état morveux. L’autre il enchaîne se démousse pas avant l’assaut il coule la sueur tant il est pas heureux de l’ennui qu’on lui cause dans sa fraîche matinée. Punaise causez-moi d’un fouilleur de veines froid d’un sac à litrons descendu respirer l’asphalte d’un trou de balle qui a vu trop large… Mais croiser pareille moquette en début d’semaine ça file comme l’envie de se faire tatouer à quel point on est maudit par la bêtise… Quoi le vieux on tâte à l’œil chez le commerçant ? On a des frénésies printanières de compote on prépare ses conserves gratis ? Putain pas même foutu d’argumenter tant la crasse t’intériorise !

Le gros balbutie sous notre terreur d’être con. Y s’étrangle presque sur le mobile trop propre pour tenir bon. Vrrr hop ! on remet ça le succès matinal est pas terminé : les bleus s’alignent s’orientent se ramènent en tas hagards pour constater groupés l’irritation du gros. Allez une court-montée aux tétons railleurs et qui semble avoir plusieurs gâchettes à user. Tiens un maigre tout vérolé au poil ras comme une taupe. Un carré l’air tantinet bonne poire. Une sportive belle comme une paire de flingues neuve et au regard plutôt bavure… la secrétaire en chef les dents en clavier… Holà ! faudrait veiller quand même sur les clapiers ’sieurs-dames ! Pour dix balles de golden on cherche pas le fait divers… parce qu’une mauvaise passe du genre ça fait jamais la une…

Le gros se sent pas calmé par le public : il en repasse des couches calé au fond de ses bouées à chaque fois qu’il fait tourner la pomme dessus la table. Sept huit… dix mince on avait pas pensé tant on avoisine les deux kilos ! et avec trois poches ! Ca les fait rire en boucle mais on sait pas bien d’où. Y’a qu’à le coller avec le ballonné de Hollande comme ça y causeront passe-passe et ennuis de chiasse ! balance le gros.



*



Le ballonné de Hollande comme on l’appelait dans les parages il était pas des plus causants. La cuvette de la cellule lui soutirait seule ses secrets en floc-flocs vaseux que les hôtes arrivaient récupérer dans la minute avec des tas de relents bileux. Et là quel manège dans nos quatre murs ! le Hollandais il y était attaché à ses confidences et il gueulait des crocs et des pognes pour le faire savoir — tac une savate dans le nez du pêcheur crichhh le v’là en manque d’une motte capilaire…

Bref pour un ballonné il se dégonflait pas des nerfs l’ami nordique. Après une heure les bleus l’avaient si bien en tête qu’ils frappaient même plus à notre porte : à côté de la cuvette y avait maintenant une gamelle à remplir. Hé on le priait de mettre la main à la pâte sans rire. Il pouvait rien chaparder le pauvre tant il était correctement visé… la prière à la mode d’ici elle était rondement menée : fissa hophop dans l’bac si possible les mains dessus le crâne t’as qu’à y aller avec tes belles dents mon toutou… vas pas pour la déconnade laisse tes narines à l’air frais ou on t’envoie des gorilles pour t’encadrer… Ha putain d’Europe j’ten ferais brouter moi vas y t’as qu’à cracher !

Si bien que l’ami nordique a sacrément perdu du ventre et qu’après trois heures pas très délicates le régime a fini par finir. Il en avait bavé par-dessus sa fierté le molosse et avec des larmes et ça sentait pas la rose mais le frisson et la panique… Deux fois ils ont dû venir l’aider à sortir ses paquets à coups de talons. La Hollande pour finir avait carrément viré bleublancrouge : du museau (qu’ils aimaient sec et qu’ils soignaient) aux chaussettes le gars avait grincé sous la réprimande. À leur dernière visite les gorilles l’avaient si bien aidé à rendre les armes qu’il s’était plongé dans la roupille face dedans la cuvette — le sommeil du juste l’avait pas manqué et ça faisait marrer les cages voisines.

Bon sans vouloir faire tache ni vexer le gros on avait pas causé des masses ni pommes ni passe-passe. En fait on nous avait pas présentés et la perspective se serrer la paluche au collègue se faisait pas pressante vu l’absence de lavabo. Quand même on aurait volontiers échangé sur le compte des bleus des fruits… Rien à faire la Hollande avait fichu le camp au pays des guignols : sûr que là-bas les maux d’estomac jouissent de la plus large légalité et les tables d’hôtes d’une grande tolérance voire même de compassion !

Comme on commençait à se trouver las et sans inspiration pour les lieux voilà le gros qui pointe lui aussi l’air justement fatigué — trop pour rire comme avant. Cric crac oust allez un clin d’œil : pas bien c’qu’on a fait oh pas trop grave pour cette fois après tout chacun a droit de s’égarer et puis on reste chrétiens dans le fond et puis y’a pas mort de bonhomme (quand même le hollandais pionce salement profond). Il a les mots d’un vrai papa le gros tout juste s’il nous glisse pas dix sacs pour aller faire mumuse dehors et une claque dans la clavicule. Tiens même la secrétaire aux dents de clavier qui souhaite le bonjour et merci et beau voyage et tout en politesse et en miel. Treize heures on est en plein air tout chose papiers en poche avec la caillasse qu’on a pas claqué pour les pommes. Comme tout neuf fraîchement venu au monde.



*



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Petit roman moderne fortement ouvragé racontant le difficile et quelque peu inextricable cheminement d’un jeune homme qui aspire à devenir Rédacteur, quelque part derrière un beau et honnête bureau. Le style est énergique, argotique, recherché ; les phrases, de taille variable mais pauvres en virgules, tendues comme des ressorts. Drôle, difficile, flamboyant, sans pareil.

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Paysage 876 : Corse (2009)