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Foyer à ciel ouvert de littérature contemporaine européenne

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Balades porno la conscience tranquille

Stephane Ilinski

août 2001

Balade 5

Avec son âme de poète, R. aurait dû faire médecine, son droit. Chemin faisant à user les bancs universitaires, il aurait trouvé du pain et des jeux pour sa langue vachement pendue, les aurait payés cash en grosses coupures. Personne n’aurait bronché, les gamines se réservant pour le mariage auraient en chœur roulé des yeux pour sa tronche douteuse alors grassement pubère, puis des hanches, puis avant le coup de reins salutaire et fécond — dont seules les mères ont finalement le secret, l’une de ces mielleuses donzelles aurait affirmé vouloir s’engager à son bras ad vitam eternam. On aurait chanté en chialant dans une zef nef… applaudissements, riz à l’américaine de préférence non-collant, Champagne, paf pof, bof on se serait amusés en famille, entre amis de collège et de fac ; belles bagnoles, tennis le dimanche entre dix et onze après la messe, poulet fermier, sieste pour la marmaille, Armagnac et barreaux de chaise pour les grands… Clap clap clap, souriez pour la pose, emballez c’est pesé, passe-passe de maître : t’as rien vu mais t’es cuit !

R. au fin verbe et à la caboche raisonneuse, il aurait rien foiré à se faire docteur, à s’occuper de finances, à tirer le canard et le sanglier en Dordogne, à passer Noël aux sports dear d’hiver, à sonner trébucher dans les yeux de sa banque, à resplendir liasses, gros chèques et passer à l’Euro le menton fier sans nul besoin de conversion — qui a l’Amex Gold se soucie peu de petite monnaie.

En lieu de pétard, d’anisette R., pour pas s’encombrer le poumon et pas nuire à son sain teint se propose un trait de poudre d’escampette de temps à autre, dans des water closed marbrés et sur un précieux petit miroir de poche tout à fait féminin. Bien doser, c’est une clé de réussite. Bien s’essuyer l’aile du pif après consommation pour pas faire tache au salon aussi ; tout comme recoiffer V. aussi prise dans les mêmes chiottes vite fait pas trop mal fait après le dessert. V. qui a eu la bonté de venir se remaquiller sans culotte et que la moitié malgré elle partageuse de R. aime tant, et avec qui elle échange ses ennuis de femme peu aimée, ses faux désirs de fausse jeune-fille fanée. Ca se passe en famille, entre amis ; entre qui a fait son droit et qui donne consultations exorbitantes, entre qui coûte les yeux de la tête et en fait concours, qui amasse ferme et palpe à gogo et cependant verse peu au fisc parce qu’on sait la débrouille. Entre proprets et proprettes plus blancs que colombienne qui squashent et golfent et adultèrent avec manières ; entre — jadis — pommes poètes prometteuses quasi parfaites ! R. là-dedans seul à incruster sans grade autre que son verbe prisé le carcan notable de ces gogos notoires.

C’est samedi soir, la fièvre aussi pour eux, un rien molle, pas celle du cheval, du nourrisson, mais quand même. Madame moulée à merveille, pleine de Chanel élégance, crachant pour tous ses pores l’essence d’un parfum cher, qui converse sur la préparation sous-traitée des fins amuses-gueules — un doigt de Perrier et trois de Brandy si c’est discret, clin d’œil ; on sait se tenir, on a procréé, on assume, on avance digne, pas question de tituber devant la cheminée, même si les mouflets sont restés à quai baby-sittés par une cambodgienne hors pair et aux tarifs noirs défiant toute concurrence…

R. en veston chasse qui en jette mine de rien sous les chandelles parce que c’est la bonne saison et la bonne heure et le bon goût de mise ici — chez les British serait en pingouin comme les autres au fumoir sans les dames et les toilettes ne seraient pas mixtes. R. au salon cognant, parmi d’autres dont seules les coutures et finitions diffèrent, un douze ans d’âge on the rocks.

Veston chasse, futal bouffant un brin, foulard soie parce que c’est week-end, velours côtelé vert wagon, genoux correctement croisés, le cul pompé par un vieux fauteuil cuir dont un Lord en faillite s’est certainement séparé dans une foire à tout du coin, R. cause, attentif à son froncement de sourcils qu’il s’agit de tempérer avec minutie pour ne paraître trop léger ni trop à ce qu’il raconte. Autrement dit pas grand-chose mais de grandes choses tout de même et avec grande allure.

V. vautrée en châtelaine aux pieds de son ventripotent bonhomme qui lui en a mis quatre dans l’abdomen en cinq ans d’union sacrée ; la pupille fade paumée dans les bûches et les braises. V. sans culotte, ce soir donc, mais qui subtilement en conserve une, basique 100 % coton, genre sage petit bateau, dans son sac à main pour se vêtir avant retour au bercail. Précaution semi-utile puisque Monsieur, qui pour sa part a toujours refusé de céder à la tendance caleçons et n’a pas même suivi le slip dans sa confortable évolution, s’en ira sans faute compter les ovins illico, la langue pâteuse de havane et de digestifs d’ailleurs fort mal digérés. L’éternel paradoxe conjugal en gras dans le texte : Madame la cervelle pleine de mille et une nuits d’au moins mille et une secousses chacune et son attaché bonhomme à peine en mesure de les compter de loin dans un continuel et très profond coma où seuls comptent les comptes de tous types. Mais c’est samedi soir, hausse de température dans le corps de V. de ci de là parcimonieusement râpé par le velours côtelé et à y bien regarder, sur le fessier légèrement incisé par une boucle de ceinture Dior. Sans sourire, elle en tremble encore et réprime formellement un irrésistible appel à s’en retourner poudrer le nez. Faut avouer que R., avec ses airs de poisson dans l’eau dans le grand monde, contrairement à ce que confie la gamine qui lui a mis le grappin dessus, il a conservé ses ardeurs et sait s’appliquer à parfaitement en abuser. R., c’est du béton gaillard, de la graine de bougre qui a refusé de germer plat, pas du genre à se laisser désencanailler par une noce en bonne et due forme…

V. qui pratique R. d’assez longue date, d’assez peu après ses épousailles propres, évalue régulièrement l’évolution du charme irritant de ses pantalons. Exclusivement le week-end, entre amis bon genre, non loin de la cheminée l’hiver, au bord de la piscine quand la saison s’y prête et qu’il devient pour les propriétaires des lieux envisageable de chauffer l’eau sans piocher dans les obligations familiales ou dans le plan épargne logement du rejeton. Leurs rencontres, de bon ton à table, prennent un autre son de cloche quand elles passent d’une intimité sociale à un rencard improvisé aux latrines entre quatre yeux, quatre mains, quarante doigts et tout un paquet de termes dignes du plus argotique des jargons gynécologiques.

Comme le sérail féminin de son âge, V. avait verrouillé son exemplaire puberté en remplissant ses valoches Vuitton de connaissances parfaitement inutilisables dans les cercles qu’elle fréquentait depuis. Khâgneuse moins drôle encore que khâgne même, V. par l’effort de ses nombreux et prévoyants ancêtres pleine aux as avant d’avoir poussé son premier soupir s’était adonnée aux choses littéraires avec le plus grand désintérêt carriériste, avait plus que vaguement et dans un bref écart rapidement maîtrisé par la suite appartenu à l’un de ces clubs officieux de fumeuses d’herbe des beaux arrondissements de la capitale. Révoltes floues vouées à d’obscures grandes causes, débats interminables en nocturne partant de la question des sans logis du Guatemala sud pour finir la gueule pâteuse, la pupille injectée et le cheveu gras dans les bras d’un gars à lunettes ovales affichant un irrépressible penchant pour l’éjaculation pré-précoce, V. devenue d’un coup rêvasseuse, rebelle, fumait dans ces clubs la plus mauvaise herbe de l’époque aux plus exorbitants prix et fréquentait sans savoir la graine des graines de tout un tas de futurs aspirants shampouineurs de moquette industriels qu’elle ne croiserait bientôt plus de son existence sinon à quatre pattes au milieu de son salon en train de frotter ferme. Parce que les grandes idées n’ont, à ce qu’on dit assis autour d’une bonne table arrosée de grands crus ou dans les loges de concierges, qu’un temps, V. avait tôt fini par lâcher l’humanitaire, s’était mise à fumer seule de la Péruvienne à grosses têtes et par pur désir de tranquillité prometteuse avait eu le coup de foudre pour un polo mauve, une paire de mocassins mièvres et un complet croisé dans lesquels habitait un rondouillard destiné aux sciences politiques. Accessoirement, le rondouillard en question pesait quantités de gadgets type résidence secondaire, résidence tertiaire, caisse ministérielle, duplex à l’aise comme principale adresse, cuisinière cordon bleu au doigt et à l’œil, cave à cigares digne de reléguer Fidel Castro au rang de bête amateur, trois purs sangs à voir cavaler à Vincennes ou Deauville en misant quelques centaines de milliers de broutilles… pour faire bref et en vrai, s’il n’avait pas la touche classe d’un prince perse, il en avait les moyens. Et V. à la tête bien faite, encore pas trop esquintée par les formidables taux de THC qu’elle se tapait alors, avait d’un trait harponné le bestiau au niveau des bourses, l’avait d’une main résolue conduit à l’autel puis aidé scrupuleusement à remplir les formulaires nécessaires à l’ouverture d’un compte chèque on ne peut plus commun. Dès lors, signatures en tous genres posées là où ses bons sens l’exigeaient, V. s’était mise à mieux profiter du sommeil aux côtés de son flasque compagnon, lequel avait dès la nuit de noces mis sa descendance en route. Roupillant en guise de devoir conjugal et se réfugiant derrière des grossesses à peine perceptibles bien que fort successives, V. partageait ses jours entre d’intenses parties de courses en compagnie de la compagne de R., rescapée comme elle des mêmes clubs de fumeuses en herbe mais qui avait tiré un numéro peu stable en la personne de R., et une kyrielle quasi bovine d’amants irréguliers seuls mis en mouvement par le cliquetis de la grasse ferraille, donc le froissement d’énormes billets type Pascal.

R. avec son âme de poète, matériellement, physiquement et moralement beaucoup moins bien pourvu que nombre des fréquentations discutables de V., R. cependant au verbe fin et aux portefeuilles tranchants de loin avec ceux d’authentiques mâche-lauriers, était longtemps pour V. resté dans l’ombre d’une rencontre à venir mais jamais venue. La vie, en somme, entre amis du même monde qui n’ont pas nécessairement pour amis ceux des leurs propres. Sans compter que R., jeune homme ou pas, aurait large gagné à miser sur une brochette de sûrs diplômes au lieu de bousiller son après bacho par années entières à fouiner parmi les flopées grabataires de rimailleurs endimanchés fourmillant dans la bibliothèque municipale du coin chic où il habitait. Certes, il y avait pendu mieux encore qu’il ne l’avait sa belle et venimeuse langue rose, y avait exercé, conférence après conférence, thé citron après Perrier rondelle, bonbon après chocolat praliné, ses coupantes cordes vocales pour mieux en paroles guerroyer. Certes aussi, R. avait, dans l’aile minuscule droite de la bibliothèque, section poésie, au coude à coude avec papy mamie, fait en sorte ses classes ; avait à grands renforts de rimes et de pittoresques exposés fini par exploser littéralement les gencives et oreilles prothèsées de ses collègues de luth. Rude école que celle des Muses ! R. avait tôt appris à manier les joies de la langue à des fins moins nobles que le seul plaisir verbal. Il savait sans le vouloir être tout à fait odieux, détruire sans vergogne l’image du plus subtile orateur, suicider d’un coup les aspirants à une mort prochaine, détourner sans emphase les fonds cachés du meilleur escroc, ou refourguer ses propres cartons de chemises prix doublés à un grossiste pro qui venait de les lui vendre à presque perte… C’est dire si R. savait rimer, avec tout et n’importe qui pourvu que ça l’arrange en fin de compte et lui permette de chaque fois gravir un barreau de l’échelle vers les hautes sphères où socialement tout se décide et tout se fait.

En cours de troisième grossesse, V., de la tête aux orteils souvent refaite à frais lourds par une connaissance chirurgicale de son époux, s’était vu présenté R. par sa complice d’achats, Madame l’officielle de R. herself, au cours d’une officieuse partie de salades dans l’enceinte feutrée de l’espace repos des grands magasins de la capitale. Trois quatre tercets plus tard, le trio par miraculeux concours de circonstances éclaté, V. en grande toilette et petite tenue ouvrait à R. les grâces de son petit cul poudré aux petits soins et recevait en retour dans le confinement javellisé des W.C. dames une délicieuse série de heurts causés par la ceinture allant venant de R. Comme on dit dans le beau monde non sans un précieux plissement d’œil, la messe dite une première fois, R. et V. étaient, par pure logique, par pur constat d’une soulageante efficacité partagée dans le sujet commun, voués à se revoir.

Entre amis, en famille une fois et si et seulement si la marmaille pionce dur, les week-ends mondains sont pratiquement organisés pour ce genre de retrouvailles. Les sciences politiques, l’économie, la bourse, la chasse : tout un vau l’eau hautement indiqué par ce qu’il laisse d’instants libres et assommants au cours desquels il fait bon, sinon prendre l’air, s’enfermer dans le premier placard, se consoler les narines avec une blanche de première qualité et se tortiller en duo jusqu’à suer plus que serpillière. En fonction de l’assemblée conviée à rejoindre le coin de verdure de la baraque de campagne des hôtes, l’occupation et le temps d’occupation des penderies, salles d’eau et toilettes dépend. La seule règle d’or consiste à laisser suffisamment de paires d’invités au salon ou dans le jardin pour que le doute ne vienne pas planer autour des laissés pour compte du moment. Avant, après, on se tient juste proprets, la joue gentiment molle et rosette, la paupière basse supposée traduire les affaires de la semaine close, un verre à la pogne pour affronter cheminée ou piscine, selon. On cause de tout et rien mais en bons termes, usant de préférence d’un vocabulaire le plus technique et insignifiant possible, ratissant large dans les thèmes appréciés pour briller et faire briller chacun chacune à convenance.

R. avec son âme de poète, sait précisément faire. Sa langue pas dans sa poche, tour à tour divertissante et requine en large comité, penche clairement pour la soie, pour la pilosité intime mielleusement parfumée et mieux entretenue qu’un gazon oxfordien de V., lorsque revient le fiévreux samedi soir. La moitié de R. aime faire les magasins en même petit comité, pourvoyant sans conscience aux soieries et fragrances qui pimentent le palais de son beau causeur de mari. Le gras conjoint de V. l’écoute poliment énumérer soldes, enseignes, marques, modèles et tickets de caisse tout sourire, grimaçant en-dedans sur les voluptueux extras qu’entraîne un mariage mais rassuré par le choix sage de sa compagne pour assouvir les instincts parfois excessifs que l’on attribue volontiers au genre féminin. Il songe à un quatrième rejeton, à une nouvelle bagnole genre break ou espace. Tout ça fume, s’abreuve bon enfant, bouffe cher, se comporte délicatement. Pour la fièvre, du paracétamol dans un grand verre de Vichy Celestin, excellent pour le teint, la digestion. Pour le samedi soir, finalement tout tient, tout va, tout se tasse en vue du dimanche matin. S’il fait beau, on pourra sortir le jeu de crocket. Après le poulet fermier du déjeuner, R. dira quelques belles choses et on ira faire la sieste. En famille, entre amis. Si les enfants dorment.

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Des pensées sexuelles envahissant un homme qui attend que le feu passe au vert pour traverser la route, une ex-demi-célébrité qui tente de séduire un jeune homme, une soirée privée où les couples se recombinent provisoirement dans un rituel un peu naze mais qui a sa luxuriance propre : des textes indépendants cernant une même chose, dans un style original et sophistiqué.

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Paysage 178 : Lac de Sils, Grisons, Suisse (2006)