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Cimes en abîmes

Jean Figerou

septembre 2007

L’Agriculture en pot et sans potiron

Pu        tain ! Ils m’ont ravalé la façade et anéanti le bonheur. Putain, pour se moquer ils se sont moqués. Et pas moquetés léger, non non. Ils m’ont moqué à grande cuillère. Ils m’ont raviné l’honneur. Ils m’ont tellement moqué que j’en ai le moral bancal. C’est simple. Je suis vivant mais je suis mort en dedans du dedans tant je suis tressé par la honte. Ils y sont pas allés à la moquette, ils ne m’ont pas tamisé l’opprobre. Non, non ! Ils se sont moqués à vastes moqueries sans la moindre queue de pitié. Si seulement ils s’étaient moqués léger, sans blesser, juste moquetés léger, j’aurais compris mais ils y sont allés à grands goulots. Putain ! Ils ont pas tendu la moquette épaisse pour pas que je me blesse ou que léger ! Pour m’amortir la calomnie, vous voyez et me rabaisser la honte. Et m’émousser la vexation. Non ils m’ont moqué à l’aïoli, pardon, à l’hallali, sans rupture ni répit, à mort, à l’abrupt, à décéder, à la gémonie ils m’ont précipité dans la honte, je ne sais pas si je m’en remettrai ! Tant ils m’ont ravagé à me culminer la détresse en tension artérielle. Ils m’ont inondé de honte, simple. Ils m’ont jeté à la vindicte publique sans le moindre parachute. Tant qu’ils m’ont révolutionné en rétrogradé le statut social. Oui. J’en suis pendu à l’agonie. Et tout ça pour rien, pour rien. Juste pour un petit pot. Un petit pot de rien du tout, un petit plant de tomate. Un petit plant de tomate si petit que je le dis le mot tomate au singulier, c’est dire, c’est dire ! C’est pour ça qu’ils me galèjent.

Des tomates en pot. Ils étaient plus qu’étonnés dans le village, ils se tenaient ébahis esbaudis. Attention ! Des tomates vraies, des tomates de salade de tomates farcies, des tomates de Marmande en pot de fleur. On aura tout vu avec ces parisiens de Toulouse ! Et même pas des tomates cerises, non des vraies ! Des vraies de vraies. Des tomates à cuisiner cultivées comme des fleurs, est-ce possible ? ÇaÇa déborde l’entendement ça non ? Non ? Où qu’ils ont la tête ces gens de la plaine ? Hein ? Tout de même ! Les tomates de mangeaille érigées en tomate d’agrément vous vous rendez compte ? Les poules ne pourront pas être bien gardées avec de tels préceptes. Il faut être né au fond du lit d’une ville pour prendre une tomate pour une fleur.



Hé mais moi je me rebelle, j’ai pas cédé une graine. Si je veux cultiver des tomates en guise de fleurs ? Si je trouve ça joli ce rouge sur ce vert ? C’est mon droit non ? Ah mais ! C’est pas raison de me moquer ! Non mais ! J’aime bien, je pose le pot devant la porte et ça fait rougir la porte au soleil. J’aime. C’est délicieux. C’est comme si elle avait honte. C’est si timide une tomate. Et que ça sent bon la tomate, ça sent mieux qu’une fleur. Ça sent comme une fleur en plus mélodieux et avec de la verdure dedans qui fait frais. C’est super. Et en plus c’est une odeur qui se mange ! Que peut-on souhaiter de mieux ? Chaque fois que je le vois ce plant de tomate tout coquet dans son pot, ça me met du baume au cœur.

Ce qu’ils ne savent pas les gens d’ici c’est que la tomate est le fruit du sang. Rouge vif écarlate, couleur de crime. Si ça ne vous porte pas le frisson ça ? Mieux qu’un polar. Ils ne savent pas que la tomate est pomme d’amour et pomme d’or. Ils ne savent pas. S’ils savaient, ils en cultiveraient des hectares d’hectares. Oui, la tomate est pomme d’amour et pomme d’or. Et moi j’aime beaucoup l’amour, je suis très sensible à l’amour. Et à l’argent aussi. C’est pour ça que je tomate.

Enfin ces tomates ça nous a valu que pluie de moqueries. Ça nous a dissout l’orgueil. Mais c’est pas le tout, c’est qu’il nous est arrivé un énorme malheur, encore pire que catastrophe, une calamité bucolique, un cataclysme ruminant, un ouragan zoologique. C’est qu’il y a transhumance chez nous. Ils passent deux fois l’an. En juin pour mener les bêtes pour monter à l’estive et en octobre pour les ramener de l’estive. Ils traversent le village et passent juste devant la maison. Et c’est là qu’on s’est pas méfié. En juin on n’avait pas encore placé le pot de tomate devant la porte sur la rue. Vu qu’on n’était pas encore en vacance. On était à Paris encore, on les avait pas vus passer. Et on a acheté le pot de tomate après le passage de la transhumance vu qu’on était encore à Paris quand les bêtes sont passées. Mais on se méfiait. Oui, on était dans la méfiance parce que l’an passé les moutons ils ont mangé la vigne que l’on avait bien disposée dans un pot dans la rue au long du mur au soleil. Ils ont tout goinfré, ils ne nous ont laissé qu’une feuille et un raisin ! Même pas une grappe, non ! Juste un raisin pour nous donner le goût du regret. Que ç’était catastrophe, qu’on était en deuil de notre vigne ! Qu’on a mis plus des quinze jours pour se remettre. Que dis-je quinze jours ? Des mois de mois ! C’était devenu une légende notre pot de vigne. Parce que comme ils se moquaient de ma vigne qu’ils disaient que je ferais du vin de glace au jus de neige et que je risquais de me dévergonder au mildiou que c’était que moquerie-boutade sur mon dos, je leur ai dit que j’en prenais pas dépit et que je les invitais tous pour la vendange. Qu’il fallait qu’ils prennent un jour de congé le 27 janvier pour m’aider à la vendange, vu que le 27 janvier c’est la Saint-Vincent et que ce saint-là c’est le patron des vignerons. Et eux ils se gaussaient. Ils disaient qu’on n’a jamais vu ici au pays de la vigne pousser à des plus de mille mètres d’altitude. Ils étaient moquerie en entier et sans aucune indulgence. Et moi je leur claironnais qu’il fallait bien commencer. Qu’ils avaient jamais essayé et qu’on verrait bien. Enfin on se charriait à s’amuser sur cette vigne. C’était notre mât de cocagne de la facétie.

Maquarelle ! Ils m’ont tout boulotté ces cancrelats des prés, ces chenapans du bouton d’or. Ohlala ! Quelle histoire ça a fait. J’en suis encore en deuil de ma vigne. J’en avais encore le ventre tout en massacre rien que d’y penser et la rate en marécage. Encore une saloperie de ces ménopausés d’écologistes, ces faisandés du bon sens ! Encore une vengeance contre le Christ de Çana par cette shoah de la gent lanifère et lanugineuse. Ils m’ont tout déboisé ma vigne d’un coup. C’est dire si on craignait. Enfin ça s’est tassé au bout d’un an, on avait tout oublié. Ainsi le veut la vie. Et surtout la survie. Mais un matin sans crier gare, sans avertir, au matin du matin au tout nu de l’aube, au tout début d’octobre, dans un temps tout plissé de pluie et tissé de brume à pas voir, les moutons sont revenus. Ils sont passés avec leurs clochettes et ils ont brouté tout le plant de tomate, ils l’ont ra-ti-boi-sé. Ils ont tout boulotté fini en entier. Ils ont juste laissé un bout de tige tout nu d’être mort et écorché vif de la langue des ovins. Porca miséria ! Un vrai génocide biblique. Un crime animalier contre la science ! Ils ont pas laissé le moindre pépin. Ou plutôt qu’un gros pépin. Plus une goutte du plant de tomate. Pfouuuhhh ! Et nous qu’on reprenait du deuil de la végétation. On en prenait encore pour un an, boudigue ! Rien que de le remémorer, j’en ai des démangeaisons dans l’entendement        voûté. Même pas un petit pépin ils ont laissé. Seulement un grand pépin ils ont laissé, celui de leur passage ! Que ça a même été un drame pour la végétation, je parle de la végétation du macadam, celle du devant de notre porte, de la végétation sur rue. Le mouton passe et c’est le désert dans la rue après la passée. Une Bérézina de pierres. Une vraie raillère*. Ça vous déflore toute flore la transhumance et ça vous dévore l’espoir. Si, si ! Ça vous ravage l’avenir puisque ça engloutit toute la récolte d’une bouchée en un soupir de matinée. Boudieu foudre diable! J’en ai la tête avortée de sonnailles.



C’est qu’on n’a pas l’habitude, ni la coutume. On comprenait pas ce que c’était que toutes ces clochettes qui sonnaillaient tout partout alentour en n’importe quoi. On a cru que c’était l’angélus qui sonnait en désordre éraillé en avance à cause que c’était bientôt l’heure d’hiver et qu’il chantouillonnait en cacophonie sous la mauvaise humeur du temps. Alors que c’était l’holocauste de nos tomates. Et nous qu’on se faisait une réjouissance de nous alimenter avec nos tomates. Qu’il y en avait douze comme les apôtres et qu’y en avait deux qui étaient à point mûres, qu’on devait manger à midi et c’est les moutons qui les ont mangées, nous on en a vu aucune sur le palais. Elles nous sont passées sous le nez des papilles ! Ils n’ont même pas attendu qu’on les fasse en salade pour nous les dévorer ces bêtes à bouclettes, des malotrues. De nos tomates ils ne nous ont laissé que la couleur dans la mémoire les sales bêtes ovines ! Quand j’y pense. On a été deux fois en deuil de nos plantations. Aussi l’année prochaine, je plante des fleurs en plastique. J’ai trouvé le remède-rempart. J’en ai la tête en semailles,        grillée, rien que d’y penser. J’en aurais même la haine des pommes de terre de leur manigance de transhumance, c’est dire, c’est dire, moi qui adore les frites.



(Lundi 4 septembre 2006. Sainte Rosalie, je n’en connais pas beaucoup, je n’en connais même aucune. Lune plus que gibbeuse et près du plein de sa forme, dans trois jours elle sera pleine, ainsi va le monde. 10 heures 7, Saint Aventin est soleil, l’air est pur et clair de lumière avec cette brume qui annonce le beau et la chaleur à venir de midi solaire. Je crois que ce jour aura beaucoup de courage. Je dis je crois car il s’agit plus de foi que de pensée. Le soleil brûle déjà sur pied, tout être vivant. Il y a quelque chose de désinfectant dans tant de lumière qui brûle tous les verts de la montagne. Et elle l’immaculée beauté noire, la reine du Cameroun, celle qui ravage mes nuits supporte-t-elle tout ce chaud ? Quelques gouttes de suée perlent-elles sur sa lèvre supérieure ou sur son front ? J’espère que non, ce serait crime. Je serais au désespoir.)

Lexique (haut gascon)

raillère : pente d’éboulis

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Paysage 425 : Vent sur la mer, après-midi, presqu'île de Sicié (2005)