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Essais pour temps critiques

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« Les Titans et les Dieux », entretien avec Guillaume Faye

lundi 2 avril 2007

Hache publie Les Titans et les Dieux, un entretien très riche de Christopher Gérard (directeur de la revue Antaios) avec Guillaume Faye, qui nous intéresse notamment aux trois titres suivants.

D’abord, l’entretien introduit, loin de tout folklore, une sensibilité païenne forte et authentique. Les « athées » que beaucoup d’entre nous sommes oublions parfois que ce fameux christianisme dont nous sommes supposés porter le deuil, échoués sur le rivage lunaire d’un monde absurde, est un apport culturel d’origine extérieure à l’Europe qui n’a fait que se greffer sur la tradition spirituelle européenne du paganisme. Si cette sensibilité et cette morale pré-chrétiennes nous parlent aujourd’hui encore, n’est-ce pas que, d’une façon ou d’une autre, elles persistent en nous ?

Ensuite, il englobe et réconcilie dans ce cadre les deux attitudes apparemment antagonistes que sont l’amour de la nature (et tout le versant traditionnel et d’acceptation, douce ou tragique, du monde tel qu’il est, et de notre existence comme non séparée de lui) et le mouvement « prométhéen » (dépassement des limites), abondamment illustré par les ambitions techniques grandioses présentées ailleurs sur ce site. Il offre ce faisant un recadrage intéressant de ces dernières par rapport à leur théorisation américaine « progressiste » voire « messianique » (Singularité) originale.

Enfin, il manifeste un « style intellectuel » qu’il nous plaît, au moment de démarrer cette nouvelle collection d’essais, de donner en exemple : indépendance d’esprit, liberté, rejet spontané de la lourdeur référentielle et de l’obscurité, et continuité de la pensée avec la vie, inspirée par l’expérience et visant l’action.

Essais : nouvelle collection de Hache pour temps critiques

mercredi 14 mars 2007

Hache démarre ce jour une nouvelle collection Essais.

Plutôt que de partir de zéro, nous reprenons le fonds, ou plutôt le fil du site Transition [en fait seulement quelques textes clés]. Transition, créé il y a 4 ans jour pour jour, s’intéressait au développement technique et à son impact présent et à venir sur nos sociétés. Du pamphlet primitiviste-révolutionnaire de Theodore Kaczynski au manifeste hyper-progressiste du mouvement extropien, un petit nombre de textes clés d’inspirations diverses ont été publiés, souvent dans des traductions originales. Des perspectives extrêmes, telles que l’immortalité physique ou la « Singularité » (explosion supposée d’intelligence artificielle), ont été envisagées.

Alors que Transition se concentrait sur le développement technique accéléré et les ruptures que celui-ci fait craindre ou souhaiter, la collection Essais de Hache élargit son champ de réflexion, tout en conservant l’idée de crise au cœur de son constat et de ses préoccupations.

En matière de crise la « hache » nous servira aussi bien que la « transition », si on se rappelle que la crise est « décision » (grec krisis) et décider « trancher » (latin decidere)…

Crises

Redoutable du point de vue de l’ordre provisoirement établi, mais pas nécessairement négative d’un point de vue surplombant, la crise est le moment décisif où un ordre se défait et où, dans la contradiction, la confusion, parfois la souffrance, un autre ordre se prépare. C’est le temps des décisions et des actes fondateurs ; c’est aussi le temps de la résolution des problèmes « par leur absence de solution », dans un retour du réel qui tranche lui-même les contradictions.

La crise se présente d’abord à l’esprit sous la forme de « premières fois » inattendues indiquant une rupture d’équilibre. Le 11 septembre 2001 vient à l’esprit, mais on pourrait aussi bien mentionner, plus près de nous, le second tour inédit de la présidentielle de 2002, l’arrêt par le peuple du processus d’intégration européenne démarré 50 ans plus tôt, les émeutes des banlieues prenant pour la première fois une dimension nationale, ou même l’élection présidentielle à venir dans un mois, avec pas moins de 4 présidentiables et qui se réclament tous de la rupture.

Un effort modeste d’interprétation permet de dégager, à partir de ces événements et de beaucoup d’autres, des crises multiples, partiellement interdépendantes, sur différents espaces et échelles de temps : crise culturelle (adhésion problématique aux idées de progrès, de modernité, au « modèle occidental »), crise spirituelle (effondrement du christianisme, évanouissement des fins dans la rationalisation des moyens, contexte égalitariste et marchand prévalant sur les idéaux traditionnels d’élévation et de dépassement), crise politique française (crise de la représentation, crise de la responsabilité, de l’autorité, de la légitimité, faiblesse face aux intérêts économiques, abandon de souveraineté au profit d’une UE trouvée floue et dangereusement impuissante), crise politique mondiale (fin de l’ordre mondial bipolaire après désintégration de l’Union soviétique, montée de l’islam, guerre d’Irak, contestation multiple de la domination américaine), crise économique locale et menace de crise financière, menace de crise écologique (changement climatique et épuisement des ressources), crise démographique européenne et flux migratoires vers l’Europe, crise sociale (atomisation sociale, multiculturalisme et communautarisation, montée des phénomènes d’émeute, des atteintes aux personnes et de la violence « gratuite »), crise identitaire (colonisation et décolonisation, brassage des populations, perte des repères traditionnels, déculturation).

Nous vivons aussi des crises qui ne nous apparaissent pas comme telles, à cause de leur très grande échelle de temps et du fait que nous n’avons jamais connu autre chose, mais qui s’éclairent quand on les reconnaît comme crises : explosion cognitive et sociale de l’hominisation, prise de conscience par l’homme de sa mortalité, sédentarisation, dualisme monothéiste séparant l’homme de la nature, essor culturel et technoscientifique, urbanisation, industrialisation, informatisation, perspectives de l’autotransformation et de l’autodestruction, transformation par l’homme de son environnement au point qu’il se retrouve, parfois, étranger et inadapté à lui.

Ligne éditoriale

Alors, nous voici, souriants et perplexes, un peu distraits mais pas trop quand même, plongés dans la confusion post-moderne depuis notre naissance, modérément inspirés par la génération qui nous a précédés, et doutant que tout cela puisse continuer ainsi encore très longtemps.

Les essais que Hache publiera fourniront chacun un point de repère possible d’un chemin en construction au travers et au-delà de cette grande zone critique, sans dogmatisme ni souci excessif de « correction politique », avec l’ouverture, la rigueur, l’intelligence et la clarté qu’on peut.

Scruter la Singularité, par Eliezer S. Yudkowsky

mercredi 12 mai 2004

[Des archives du site Transition] Transition publie aujourd’hui un texte saisissant, dans une traduction originale et exclusive.

L’intelligence artificielle (la programmation d’ordinateurs pour réaliser des tâches que nous percevons comme intelligentes et non comme mécaniques) a, aussitôt que le concept en est né, suscité des attentes grandioses, à commencer par celle d’intelligences artificielles de niveau humain. L’article historique de Turing, « Computing Machinery and Intelligence », écrit en 1950, en témoigne.

Il y a beaucoup de choses à dire sur l’histoire de l’IA dans la deuxième partie du 20e siècle, qui expliqueraient pourquoi et comment elle n’a pas répondu à ces attentes grandioses, mais une seule suffira ici. La capacité de calcul brute d’un cerveau humain semble pouvoir être estimée à 1017 opérations par seconde. Or les capacités de calcul dont a disposé l’IA jusqu’ici sont, relativement à cette estimation, dérisoires. Et c’est de fait encore le cas aujourd’hui.

Pour combien de temps ? La capacité de calcul d’origine artificielle augmente depuis la création des premiers ordinateurs, et elle augmente même rapidement. Plus précisément, elle augmente exponentiellement, et plus précisément encore, elle double tous les deux ans. Votre ordinateur 600 MHz était un ordinateur de millieu de gamme quand vous l’avez acheté en 2000. Mais 2 ans plus tard, en 2002, le milieu de gamme était à 1,2 GHz (= 2 x 600 MHz). Et 2 ans plus tard, c’est-à-dire aujourd’hui, le milieu de gamme est à 2,4 GHz, soit une fréquence d’horloge quatre fois supérieure à votre ordinateur de 2000, qui est pour cette raison devenu obsolète.

Ce taux de progression est remarquablement stable. On peut même prolonger la courbe vers le passé au-delà des années 60 jusqu’au début du siècle, et ce qu’on obtient correspond aux performances des machines de traitement symbolique mécaniques disponibles à l’époque.

Que se passe-t-il si on prolonge cette courbe, non vers le passé, mais vers l’avenir ? Dans combien d’années atteint-on l’équivalence humaine, le moment où un ordinateur aura, indépendamment de son logiciel, la même capacité brute qu’un cerveau humain ? 1000 ans ? Un million d’années ? En fait, on atteint cette équivalence dans 17 ans, en 2021.

On peut en outre spéculer que, lorsque cette équivalence est atteinte, très rapidement l’intelligence artificielle passe très loin au-delà du niveau d’équivalence.

L’objet du texte que nous publions aujourd’hui est d’annoncer cela, de justifier cette annonce, d’essayer de décrire ce qui se passe alors, de reconnaître que ça ne peut pas être décrit, d’essayer d’en donner une idée quand même, et d’en tirer des conséquences pratiques. Son auteur, Eliezer S. Yudkowsky, Américain issu d’une famille juive orthodoxe, chercheur indépendant auprès du Singularity Institute for Artificial Intelligence qu’il a lui-même créé, en a rédigé la version initiale en 1996, à l’âge de 17 ans.

Scruter la Singularité, par Eliezer S. Yudkowsky

Theodore Kaczynski : La Société industrielle et son Avenir ; Max More : Principes extropiens ; Manifeste des Mutants

dimanche 3 août 2003

[Des archives du site Transition] Nous publions aujourd’hui trois nouveaux textes, qui sont autant de « visions », exprimant chacune une perspective générale sur notre avenir et une attitude vis-à-vis de celui-ci et du développement technique :

  1. La Société industrielle et son avenir, par Theodore Kaczynski :

    I’m going to make me a good sharp axe
    Shining steel tempered in the fire
    Will chop you down like an old dead tree
    Dirty old town
    Dirty old town

    Ce texte, malgré son statut très particulier dû aux conditions de sa publication et à la trajectoire de son auteur, peut être considéré comme un « classique contemporain » de la réflexion sur notre avenir. Il est publié intégralement sur Transition, en traduction française et dans la version originale anglaise (avec des liens, paragraphe par paragraphe, d’une version à l’autre, permettant une consultation facile du texte original en cas de besoin).

    Le texte exprime un pessimisme radical face au développement technique, et annonce, sous l’effet de ce développement, une transformation négative inéluctable de la société qui, si elle subsiste sous sa forme actuelle, ne pourrait le faire qu’en dépouillant les individus du minimum de liberté qui leur est existentiellement nécessaire.

    Son auteur Theodore Kaczynski, Américain d’origine polonaise, ancien professeur assistant en mathématiques de l’université de Berkeley (Californie), est aussi l’auteur d’une série d’attentats au colis piégé contre des professeurs d’université et d’autres personnalités, entre la fin des années 70 et le début des années 90, entraînant la mort de 3 personnes et de nombreux blessés.

    En 1995, il fait publier cet essai par deux des plus grands quotidiens américains avec la promesse qu’il cessera ses attentats en cas de publication, et sous la menace de les reprendre dans le cas contraire. Ayant fait l’objet d’une des plus grandes chasses à l’homme de toute l’histoire du FBI, il n’est cependant finalement arrêté que sur dénonciation de son propre frère qui, ayant reconnu ses idées dans le manifeste paru dans la presse, indique à la police la cabane dans le Montana où il vit seul depuis sa démission de l’université en 1969. Il est emprisonné depuis pour le reste de ses jours.

    Au-delà de ces circonstances éditorialo-biographiques, et quels que soient les sentiments que peut inspirer une telle démarche, les arguments de Kaczynski (qui cohabitent en lui avec un désir de vengeance qu’il reconnaît) méritent d’être considérés. Le texte est par ailleurs bien écrit et c’est une lecture stimulante.

  2. Principes Extropiens 3.0 :

    Opposé polaire du précédent, ce texte présente la vision optimiste de Max More, Californien d’origine anglaise (né à Bristol sous le nom de Max T. O’Connor), fondateur du mouvement extropien.

    Intelligents, pragmatiques, sauvagement optimistes, suscitant une dérision réflexe qui ne les trouble guère, les Extropiens sont un groupe américain qui se projette dans l’avenir muni de ces sept visions et attitudes : Progrès perpétuel – Transformation de soi – Optimisme pratique – Technologie intelligente – Société ouverte – Auto-orientation – Pensée rationnelle. [L’Extropy Institute a fermé ses portes en 2006.]

  3. Le manifeste des Mutants :

    Le collectif Mutant ne porte ni le pessimisme et la destruction de Kaczynski, ni l’optimisme « humaniste » des Extropiens. Individualistes, ils expriment leur lassitude d’une société française obsédée du principe de précaution, et leur fascination pour les perspectives techniques d’autotransformation. [Les Mutants se sont dissouts en 2007.]

C’est parti

vendredi 14 mars 2003

[Des archives du site Transition] « Transition » est le nom finalement choisi pour le site web initialement baptisé « Evolution ». Les inscrits à la liste de diffusion evolution ont été silencieusement basculés sur la nouvelle liste.

Si « l’évolution » biologique de l’espèce humaine par sélection naturelle est un concept-clé dans la réflexion à laquelle nous souhaitons faire place, la partie prospective de cette réflexion ne concerne pas une poursuite de cette évolution. En effet, le démarrage de l’évolution culturelle, et son accélération récente (agriculture et écriture il y a quelques millénaires, invention de la science moderne il y a quelques siècles, invention puis réalisation des ordinateurs il y a quelques dizaines d’années), rend la poursuite des mécanismes lents de l’évolution génétique plus ou moins indifférente. Les transitions prévisibles, positives (« Singularité » par exemple) ou négatives (autodestruction, ou diminution des libertés et aliénation), sont trop proches et trop massives pour que l’impact de l’évolution biologique à venir puisse utilement être pris en considération à ce stade. Nous vivons un instant de transition, qui est un point dans l’histoire de la vie.

La perte de pertinence de l’évolution par sélection naturelle n’est d’ailleurs pas forcément définitive. Une reproduction / procréation qui se donnerait libre cours, avec toute la puissance de technologies à venir, pourrait rétablir à terme, pour le meilleur et pour le pire, la pertinence, dans les échelles de temps humaines, d’une forme d’évolution par sélection naturelle.

Quoi qu’il en soit, prendre conscience de l’évolution comme origine, ça n’est pas embrasser l’évolution (la même évolution, selon la même logique) comme devenir ; de comment nous sommes devenus ce que nous sommes ne suit pas comment nous voulons continuer à changer. De fait (et c’est la raison principale pour laquelle le nom « Evolution » aurait été malheureux), c’est même largement contre l’évolution et sa logique que nous souhaitons réaliser / orienter une transition. Nous devons certes à l’évolution notre existence même, et notre extraordinaire développement cognitif, et ce qui a été construit grâce à lui, jusqu’à ce message que je vous envoie ; mais elle est aussi responsable d’aspects de la vie qui laissent à désirer, des guerres, du vieillissement et de la mort — responsable dans le sens où ces problèmes, cruellement ressentis par les individus, n’en sont pas du point de vue de l’évolution.

Mais nous reviendrons sur tout cela.

Pour des raisons circonstancielles (affaire Martinot et opportunité médiatique populaire, qui ne s’est d’ailleurs pas réalisée en fin de compte), le site Transition vient de démarrer avec quelques textes sur la cryonie et l’immortalité.

La cryonie consiste à préserver un corps dans son état au moment de la mort plutôt que de le laisser « retourner à la poussière », dans l’idée que des techniques à venir pourraient faire usage de cet état du corps pour rétablir un individu vivant.

Sur quoi un tel espoir repose-t-il ? La réponse courante aujourd’hui est : les nanotechnologies et la nanomédecine. On évoque des nanorobots qui iront réparer les dommages causés par la congélation / vitrification dans les cellules, et ceux causés par le vieillissement et l’affection qui a causé la mort.

Tout cela est à prendre en considération, et est évoqué dans le texte de Drexler publié sur le site, mais j’aimerais offrir une réflexion plus fondamentale. Un acquis décisif de la biologie est la réalisation qu’il n’existe pas de « matière vivante » distincte de la « matière inerte ». Ce qui différencie le vivant de l’inerte est l’organisation de cette matière, qui est intrinsèquement la même dans les deux cas (mêmes atomes). Or l’organisation peut être capturée dans de l’information. En principe, si cette information est conservée, l’individu peut être reconstitué à partir d’elle. Les atomes qui forment son corps ne manquent pas ; il nous faut seulement savoir comment ils sont organisés et placés les uns par rapport aux autres. Si nous savons cela, ça n’est plus qu’un problème technique (et énergétique) que de reconstruire l’individu en question.

Nous pouvons même supposer que cette organisation qui fait l’individu peut exister dans un autre substrat que sa chair biologique. Ou même que les parties qui nous importent dans cette organisation peuvent exister indépendament d’autres parties.

Voilà pour l’aspect théorique fondamental. Préserver l’organisation d’un corps, et notamment l’organisation cérébrale qui renferme ses souvenirs et sa personnalité, rend son rétablissement théoriquement possible ; si le corps est incinéré, par contre, ou simplement enterré, l’information est perdue, et la mort mérite cette fois pleinement son nom, étant nécessairement définitive.

Un article est aussi publié contenant une réflexion générale sur l’immortalité par David Nicholas, banquier à la City de Londres.

Sur le plan terminologique, il faudrait d’ailleurs disposer d’un nouveau mot pour une telle « immortalité », si on ne veut pas provoquer de malentendus dans de telles discussions. En effet, la « mortalité » de l’homme, c’est le fait qu’il est « voué à la mort », c’est-à-dire qu’il mourra nécessairement. Le concept contradictoire n’est pas celui de la vie éternelle que suggère « immortalité », mais celui de la non-nécessité de sa mort. Un être qui aurait résolu le problème de la sénescence peut très bien mourir dans un incendie. Ainsi nous avons deux « immortalités » : celle qui s’est simplement débarrassée de la mort nécessaire, et celle qui s’est définitivement mise à l’abri de la mort.

 

© Hache et les auteurs sauf mention contraire
Paysage 16 : Suisse centrale (2006)