Cette page reprend les étapes de l'affaire Martinot (couple français en suspension cryonique menacé par l'administration française d'une inhumation forcée) jusqu'à son dénouement le 16 mars 2006.
Pour le contexte, vous pouvez lire sur ce site :
En bref, Raymond Martinot, ancien médecin, et sa femme Monique Leroy, ont pris des dispositions pour être placés, à leur mort, en suspension cryonique (ou cryogénique), c'est-à-dire pour que leurs corps soient préservés en l'état, maintenus à très basse température.
La loi française stipule que les cadavres doivent être enterrés ou brûlés, et le fils des Martinot, Rémy Martinot, qui prend en charge l'opération, se débat face à l'administration pour résister à un enterrement "de force" et respecter la volonté de son père.
Derniers développements :
16 mars 2006 - Les époux Martinot ont été incinérés
12 janv. 2006 - Appel à la Cour Européenne des Droits de l'Homme (?)
11 janv. 2006 - Décision (négative) du Conseil d'Etat
7 sept. 2003 - Documents audiovisuels
3 août 2003 - Quelle stratégie de défense ?
2 août 2003 - Le Conseil d'Etat avait déjà rejeté un recours similaire
1er août 2003 - Sur le recours en cassation auprès du Conseil d'Etat
17 juillet 2003 - Décision négative sur l'appel par la cour de Nantes
Selon cet article de BBC NEWS du 16 mars 2006 et d'autres article de presse, les époux Martinot ont finalement été incinérés, ce qui met un terme à l'affaire.
Rémy Martinot a expliqué que la température de la crypte où les corps étaient conservés était montée de -65° à -20° suite à un incident technique et à la défaillance de l'alarme correspondante, et que dès lors il n'était plus raisonnable de poursuivre "l'expérience" (pour reprendre le terme de Raymond Martinot).
"Je n'ai pas plus de peine aujourd'hui qu'au moment du décès de mes parents. Le travail de deuil a été accompli. Mais je suis amer de ne pas avoir pu respecter la volonté de mon père", a confié Rémy Martinot. "Peut-être que l'avenir montrera que mon père avait raison et qu'il était un pionnier", conclut-il (Figaro/AFP).
On peut avoir l'impression que le fait de préserver un espoir de son vivant (espoir de survie, et de retrouvailles avec sa femme bien-aimée) importait plus à Raymond Martinot que le devenir réel de son corps après sa mort : une attitude légèrement schizophrénique peut-être mais qui en vaut bien une autre dans la grande tradition humaine de ruses avec la mort.
Si ça n'était pas le cas, en effet, il aurait fallu prendre d'autres dispositions plus sûres, notamment le transport des corps dans un pays à la législation plus compatible avec le projet.
Il ne faut pas négliger non plus, comme il le suggère dans l'entretien accordé à la télévision anglaise (lien ci-dessous), son intention éducative : ouvrir par son exemple un chemin de réflexion, faire ce premier essai sans illusions sur son issue, parce qu'il faut bien commencer quelque part.
Dans ces conditions, la responsabilité confiée à Rémy Martinot apparaît comme quelque peu abusive, et celui-ci aura au final montré un courage et une fidélité qui l'honorent dans une situation difficile, entre son deuil, la défense d'une conception paradoxale qui ne lui était pas propre, le zèle intransigeant de l'administration et un traitement médiatique pas toujours à la hauteur (article du "Nouvel Observateur" de février 2002 intitulé "Papa et maman sont dans la glace : Les givrés de la chambre froide", avec cette conclusion pleine d'esprit : "Alors, d'accord pour être le prochain con... gelé ?").
Pour nous, la démarche de Raymond Martinot nous rappelle que notre propre mort, aussi difficile à appréhender que cela puisse être dans le cadre de nos repères culturels, pourrait bien être elle aussi, un jour ou l'autre, par un moyen ou par un autre, à la portée du sublime et calamiteux prométhéisme occidental.
On gardera aussi le souvenir joyeux du médecin de Nueil-sur-Layon, châtelain du Preuil, intelligent, idéaliste, sentimental et courageux.
À voir ou à revoir : Entretien du Dr Raymond Martinot avec la télévision anglaise.
Selon un article de BBC NEWS,
Remy Martinot has gone to the European Court of Human Rights because he says he cannot see how freezing his parents endangers the public. [Rémy Martinot est allé à la Cour Européenne des Droits de l'Homme parce qu'il dit qu'il ne voit pas en quoi la congélation de ses parents met en danger qui que ce soit]
Dans son arrêt rendu vendredi, le Conseil d'État reconnaît que le choix du mode de sépulture est lié à la vie privée. Mais ce choix «peut faire l'objet de restrictions, notamment dans l'intérêt de l'ordre et de la santé publique», ajoute la haute juridiction. Décidé à se battre jusqu'au bout par «respect de la parole donnée» à son père, Rémy Martinot prévoit de saisir la Cour européenne des droits de l'homme. [lien local vers la dépêche complète]
Comme nous le prévoyions ci-dessous, la défense adoptée (liberté de sépulture) a conduit le Conseil d'État à un refus prévisible.
Plaider le pari osé mais rationnel n'a apparemment pas été tenté. C'est clairement la seule possibilité, parce que dès lors qu'on admet que les intéressés sont morts (de façon irréversible), la situation devient une simple lubie malsaine sans enjeu, qui ne pèse rien face à la (même faiblement pressante) considération d'ordre public, surtout en France où il n'y a gère de respect de principe des libertés individuelles.
France-culture a consacré une émission à la situation des Martinot. Vous pouvez l'écouter ici en format real audio (consulter aussi la fiche de cette émission sur le site de france culture).
Par la même occasion, on remet à disposition le documentaire réalisé par la télévision anglaise sur Raymond Martinot, dans des formats realaudio (version 9) de meilleure qualité : version 34kbps (modem) et version 100kbps (ADSL/câble).
À la lumière des éléments ci-dessous, et des décisions rendues jusqu'ici (dans le cadre de l'affaire Martinot, mais aussi la décision du Conseil d'Etat de l'année dernière ci-dessous), quelle stratégie de défense faut-il adopter ?
Me Alain Fouquet, l'avocat de Rémy Martinot, a opté jusqu'ici pour une défense de la liberté de sépulture, qui n'a hélas pas fonctionné.
À la réflexion, dès le moment où tout le monde admet que les époux Martinot sont morts, le point devient relativement trivial, et la responsabilité des différentes cours en rejetant les appels est faiblement engagée.
Il semblerait plus opportun de plaider la liberté de cryonie dans l'esprit où elle est réalisée, c'est-à-dire comme une procédure de préservation, et non comme une sépulture. Il ne s'agit pas de convaincre la cour que la cryonie est une démarche au succès certain (ce que même Raymond Martinot ne pensait pas), mais qu'il existe une certaine probabilité de succès, et que cette probabilité implique une probabilité que les époux Martinot, contrairement aux apparences, ne soient pas réellement morts (le concept de mort impliquant une interruption définitive des fonctions vitales). Ils ne seraient pas réellement vivants non plus, mais dans un état intermédiaire, de suspension.
Forcer une inhumation dans ces conditions engage lourdement la responsabilité de la cour, qui prend le risque de tuer. Qui plus est, de tuer pour rien, puisque la suspension cryonique est réalisée dans un cadre privé, avec des moyens privés, et ne saurait nuire à qui que ce soit.
De ce point de vue, il semblerait opportun de mettre en évidence comment la définition de la mort a évolué avec le développement des techniques médicales. Des êtres réputés morts selon certains critères peuvent s'avérer ne pas l'être lorsqu'on parvient à les réanimer, là où cela était impossible avec les techniques plus anciennes. La cryonie semble nous mettre en face d'une situation qui a un tel potentiel.
Voilà ce que nous dit notre conseil (lui-même guère convaincu par la cryonie) à propos de cette suggestion :
« Tu as raison, je pense, en ce qui concerne la répansion des cendres de P.-E. Victor en mer et le peu de cas qu'il faut faire d'un tel argument. [Argument utilisé par l'avocat de Rémy Martinot à l'appui d'un principe de liberté de sépulture.]
Tu as raison aussi d'évoquer la "définition de la mort" qui aujourd'hui a peut-être changé. Le noeud du truc est là en effet. Mais la seule question vraiment pertinente est celle de la définition "légale" de la mort. L'évolution récente de la définition "scientifique" de la mort ne sera jamais, en tant que telle, un argument recevable devant une juridiction française. Les juridictions françaises, comme à peu près partout dans le monde, se prononcent sur le droit "positif". Un tribunal, pour faire court, se contente d'ouvrir son code à la rubrique "définition légale de la mort" et s'il est écrit que quelqu'un est mort à partir du moment où la chaleur de ses pieds est inférieure à une certaine température, alors ce quelqu'un sera dit "juridiquement mort" par le tribunal. Peu importe, après, que les scientifiques disent que l'on peut très bien avoir les pieds froids tout en étant vivant. La question n'intéressera le tribunal qu'à partir du moment où l'information aura été répercutée dans les textes juridiques que le tribunal est tenu d'appliquer, autrement dit à partir du moment où le législateur sera intervenu. (Je précise évidemment que les choses ne sont pas tout à fait aussi simples car le rôle du tribunal est avant tout un rôle d'"interprétation" des textes applicables, donc nécessairement, au moins dans une certaine mesure, de "création" du droit.) Bref, ce que je veux dire par là c'est que pour établir une bonne défense, il vaut mieux s'en tenir aux prescriptions légales en vigueur.
UNe telle défense, en tout cas, pourrait s'appuyer sur l'article 2 § 1 de la C.E.D.H. qui énonce que : "Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où un délit est puni de cette peine par la loi." (Dans ton optique, on pourrait en effet avancer que le préfet risque de "tuer" les époux Martinot.) »
À prendre en considération : le Conseil d'État a déjà rendu, l'année dernière, une décision négative sur un cas similaire :
Conseil d'Etat, 5 / 7 SSR, 2002-07-29, 222180, Publié au Recueil Lebon
Commentaires et décryptage par notre expert :
La décision du Conseil d'Etat que tu me communiques est très intéressante, parce que les faits de l'espèce sont vraiment très proches de ceux de l'affaire Martinot. Elle l'est d'autant plus que le droit administratif français se caractérise surtout par le fait que c'est un droit (cas relativement isolé en France) largement jurisprudentiel : le CE pousse à son paroxysme le phénomène évoqué de "création" du droit par l'interprétation ; il tient presque toujours compte de ses décisions antérieures (même s'il existe des "revirements") pour dire le droit, c'est-à-dire, devant des situations sans arrêt nouvelles, interpréter les textes en vigueur et, par ce biais, inventer des règles.
Si tu veux, quoi qu'il en soit, je te propose de décrypter rapidement l'arrêt dont tu donnes les références.
FAITS ET PROCEDURE :
ARRET DU C.E. :
Concernant ce dernier point, je pense que le CE refuse de se prononcer sur ce point parce que le moyen n'avait pas été invoqué par les parties devant le juge d'appel. De plus, c'est un moyen qui n'est pas "d'ordre public" et que le CE ne peut pas soulever d'office.
C'est dommage car c'est un argument intéressant. La France est partie à la C.E.D.H. et, par conséquent, ses dispositions font partie intégrante du droit positif interne que le juge français doit appliquer.
L'article 8 de la C.E.D.H. dit que : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui."
Evidemment, l'argument reste un peu faible...
Notre conseil juridique (professeur assistant et doctorant en droit à Paris, non-spécialisé dans le droit administratif) nous donne les éléments suivants concernant la dernière démarche accessible à Rémy Martinot en France, le recours en cassation auprès du Conseil d'Etat :
La cour administrative d'appel de Nantes a rendu sa décision, rejetant la congélation comme mode légal de sépulture (qui était la façon dont l'appel était formulé par l'avocat de Rémy Martinot, Me Alain Fouquet).
http://fr.news.yahoo.com/030717/202/3b29q.html
Rémy Martinot dispose maintenant de deux mois pour présenter un recours en cassation auprès du Conseil d'Etat, plus haute autorité pour les contentieux administratifs.
Si ce recours est rejeté, il ne restera que la Cour européenne des droits de l'homme.
Me Fouquet a annoncé aux journalistes son intention de déposer un tel recours auprès du Conseil d'Etat, puis le cas échéant auprès de la CEDH.
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