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Lettre au Lac

Bernard Saulnier

juillet 2001

Au lac Saint Jean y’a la chute à l’ours, le zoo de Saint Félicien, la fontaine de Normandin, le village fantôme de Val Jalbert, le cheddar Perron, le chocolat des pères trappistes, le festival country de Dolbeau, le boulevard Walberg, la traversée du lac Saint Jean, l’auberge de Sainte Monique de Honfleur, Péribonka, la tourtière, les bleuets, la ouananiche et les gens.

Je veux créer un Lac Saint Jean mythique sur l’asphalte de la rue Sainte Catherine bordée de belles fermes comme là bas, des bleuetières comme parc les mouches noires en moins, les frappe-à-bord une mouche qui pique que dans la chaloupe, les mouches à chevreuil qui vous harcèlent quand c’est trop chaud. À Montréal dans nos logements humides tout ça c’est du folklore on se méfie plus des rats que des mouches.

Je vous parle pas du français chantant du lac Saint Jean, c’est si beau moi je l’ai perdu y’a longtemps quand mon père a cessé de travailler pour des jobbeurs. Je suis pas un gars du lac pas plus qu’un gars de Montréal. En banlieue ils m’appelaient le gars de la ville mais quelle ville ? Je suis un peu comme une provinciale qui débarque à Paris mais j’ai plus le temps. Juste au cas avant d’en finir j’irais revoir les lieux de ma petite enfance. Dolbeau la rue des Érables, le château d’eau de la Domtar à Mistassini, la rivière Mistassini, les rapides, l’intersection quand tu arrives de La Tuque à gauche Roberval à droite Alma. À Saint Félicien c’est la rivière Chamouchou. On mentionne pas la réserve indienne sur ma carte ça s’appelait Pointe Bleue aujourd’hui je sais pas. Je crève sur la rue Sainte Catherine en rêvant des frères Boudreault de mon enfance qui pratiquaient leur drive de golf dans la cour. Les souvenirs, les souvenirs on s’en lasse voudrais en faire de nouveaux.

J’ai rêvé que j’étais en voyage au Lac. Pointe Bleue c’est Metabetchouan. Je vais m’acheter un ticket d’autobus aller. J’irai à Roberval me faire dire par un couple de français que je suis alcoolique. Je suis entre le silence et le bruissement des voitures qui passent. Je me vois pas eresoudre au chalet sans avertir pourtant… Ça se fera pas sans heurt, j’ai un sentiment de départ en moi. Partir, partir pour le Lac. Ce soir je suis loin de la tourtière du lac Saint Jean suis à la soupe tonkinoise un goût sucré et des bouts de bœuf bouilli. Y’a beaucoup de Jeannois qui migrent vers Montréal pour réaliser leur rêves ici dans la « grande ville ». Moi je préfèrerais monter au nord manger des renversés aux bleuets mais le Lac c’est loin.

Y’avait la route deux et le parc des Laurentides. Pour aller à Roberval en bus y’a un transfert à Québec un autre à Alma deux départs de Montréal onze heure et deux heure. La deux c’est je crois le chemin du Roy. Je suis comme un lion en cage je pense à mon départ, j’irai, j’irai pas, je sais pas si j’ai envie d’entendre des histoires de bûcherons aux sous-vêtements gelés pris par le frimas avec les mains et les pieds qui restent chauds j’y crois pas. Ça m’obsède cette idée d’aller au Lac vais je être bien reçu ? J’y vais ? J’y vais pas ? Je suis comme la petite chienne quand ils se préparent à partir elle gémit comme si elle voulait pas rester seule derrière, elle rôde autour de l’automobile et si la portière est ouverte elle saute dans la voiture. Je sais je partirai pas au cas où une de mes fameuses crise d’angoisse me prendrait.

Au fond aller au Lac, à Roberval, au chalet loué par mes parents c’est qu’un prétexte. J’ai envie de manger du bitume de voir la forêt de prendre un café à L’Étape en attendant que le bus reparte. J’irais payer mes frais de baptistère au presbytère de Normandin. Je sais pas combien de fois j’ai écrit là ça dois faire une somme. Peut être me recueillir sur la tombe de pépère et mémère. Le Lac c’est bien beau mais ça me place dans le trou et ils sont pas très accueillant pour les célibataires un peu pédés sur les bords. Mes parents me feraient un bon accueil mais deux jours avec eux c’est déjà trop. Le Lac c’est une chimère…

Ce soir j’étais loin de mes rêveries du Lac. J’étais au cœur du plateau Mont Royal, rue Chambord, y’a un Chambord près de Roberval. Je m’éloigne tranquillement de tout ce qui fait ma vie, la peur l’emporte toujours, je suis en tabarnak, je vois plus l’heure… Je rêve plus au Lac la réalité c’est une rencontre avec le psychiatre c’est pas de la rigolade. Le Lac, le Lac, il est beau le Lac mais loin. Je crois pas voir le Lac cette année. Je crois qu’au Lac ils sont orgueilleux. Je l’ai pas connu le Lac comme j’aurais aimé le connaître , son eau froide, ses moutons quand le vent se lève. Il est très loin dans ma mémoire le Lac c’est étrange il me suit comme si cet immense plan d’eau donnait de la couleur à tout ce que je fais. Le Lac est une puissance supérieure à qui on peut confier ses malheurs, trop éloigné pour que mes regrets coulent au fond. Le Lac c’est ma mer intérieure. Il s’imprègne en vous à la naissance. Juste assez grand pour ne jamais perdre la rive à l’horizon mais toujours immenses et dangereux dans ses sautes d’humeur. Il attire quand même occupe les journées creuses à rêver d’être sur le bord d’un quai et plonger. Les châteaux d’eau me font penser à des minarets vers lesquels on se tourne pour implorer les compagnies papetières. Les moulins tant de moulins et le bois toujours plus loin.

Je suis pris dans ma chair j’aimerais me dissoudre dans le Lac que ma carnation devienne vapeur nuage pour voler au-dessus du Lac. Je parle pas du Saguenay c’est pas d’adon, je préfère le Lac. J’ai l’écume à la bouche un peu comme le lac quand il est fâché. Maudit Lac ! Maudit Lac sale ! A fallu que je m’en vienne à Montréal sur l’asphalte chaude de l’été pour penser à te retrouver. T’es loin mon Lac ! T’es loin ! T’as certainement beaucoup changé, comme moi, je te retrouverais tes eaux seraient les mêmes mais plus pareilles. La vie qui t’entoure c’est comme à Montréal quand je t’ai quitté y’avait que Radio-Canada et sa cible amérindienne la vie moderne t’a rattrapé. J’ai jamais su si c’était Lac Saint Jean en l’honneur de Saint Jean ou de Saint Jean Baptiste. Un baptême avec ces eaux ça laisse une marque dans l’âme une marque de provincial perdu en ville. Non ! Je veux pas faire simple…

Y’a plus de cabane au Lac y’a des gens qui travaillent fort pour se faire une vie. Une vie extraordinaire sans bon sens. Les pagers les téléphones cellulaire sont là aussi autour du Lac. C’est si loin et tout près. T’occupes encore beaucoup de place ça sert à rien de penser à la plage de Pointe Bleue, à toutes ces histoires de bois, de pays qui croit encore. C’est comme si je t’avais jamais vu l’hiver, je sais que t’es blanc mais j’ai retenu que ton bleu, ton bleu Sainte Vierge de plâtre sur le devant d’une maison. Mais oui, pour moi t’es encore le lac d’avant avec ses ouananiches, ses lièvres, ses perdrix même si le bois la forêt… Les mouches les maringouins du Lac, aussi niais que ce soit, réussissent pas a t’enlever ton charme. Saudit Lac ! Tu avais tant à m’apprendre j’ai pas pris le temps. Je suis retourné comme les autres en touriste. J’ai rien vu pas pris le temps de te humer comme on hume la mer. J’étais qu’un passant engoncé dans ses habitudes citadines, affaibli par la ville. J’ai pas le cœur, maudit Lac, de vivre près de toi en te regardant résister au monde.

Emporte-moi, Lac, emporte-toi dis-moi de revenir de m’attacher sur tes bords ! Regarder les nuages les embarcations. Le soleil se couche dans l’estuaire de la Chamouchou tout près de Saint Prime on en veut des couchers de soleil dans ton miroir. Icitte en ville on a pas le temps on s’étourdit. Tu te lèves dans le Saguenay soleil ? Ça fait si longtemps je me rappelle plus. Je rêve pas de tes terres mon Lac je rêve de ton eau libre. T’es là depuis longtemps et tu vas durer toujours. L’hiver où ma grand-mère est morte j’ai pas pu voir le Lac tout était blanc, pour un enterrement ça ressemblait à la Nouvelle Orléans. J’y étais j’y étais pas, jamais vu autant de visages, un aller retour comme toujours.

Ça semble idiot un lac, mais pas celui là, on y rêve, il vous tourmente, vous aguiche on veut toujours le revoir on s’y accoutume pas. De loin de très loin j’essaie de m’imaginer l’odeur de souffre des moulins elle est encore là ? Mais j’irai pas au Lac pas cette année. Je vais chercher l’onde, l’ombre, ici, tout près. J’irai sur les plans d’eau qui entourent Montréal jamais aussi magnifiques que le Lac. J’imaginerai des forêts, la nature, la verdure je chercherai des bleuets en sachant qu’il n’y en a pas. J’irai en acheter un casseau au marché les mangerai avec de la crème et du sucre retrouverai peut être un peu de la saveur du Lac en passant je regarderai les gourganes pour la soupe. Ça fait folklorique tout ça mais c’est là toujours là. J’ai des souvenirs de champ de moutarde immense jaune à faire pâlir. Ils parlent tous du fleuve moi c’est le Lac mon obsession.

Y’a la pêche à la truite mouchetée au Lac j’y connais rien aux ruisseaux qui vont vers le lac. Je vous raconte c’est naïf, très naïf, le Lac c’est mon ailleurs à moi, l’endroit où il fait bon. Je te parle saudit Lac ! Je te parlerai toujours pour garder ma mémoire vivante. J’habite maintenant dans plus étrange, plus étrange que tes rives que tes baies. Je me souviens plus mon Lac, de tes gelées tardives de tes brumes du matin. T’es pas à moi t’es plus à moi, t’es le lac des rêves qui s’évanouissent, le lac du poisson qui s’en va du gibier qui se meurt. Y’a plus de draveur on descend la pitoune par camion y’a aussi des chômeurs au Lac. J’entends tes murmures le Lac ton eau qui clapote sur les quais ça vaut bien des chansons.

Je t’espère toujours, je t’espère toujours mon Lac à chimère mon Lac à ciboère. Je me morfonds. Mon Lac amer vidé de tes eaux tu serais toujours dans ma mémoire. Je te déménage t’amène dans ma tête.

Je me fais croire que le lac Saint François c’est le lac Saint Jean on est bien loin du Lac c’est un fait. Je pense aux éclairs au tonnerre sur le Lac. Ils ne me suivront pas au Lac, je vais partir sans le dire, je resterai muet. Les femmes, les femmes du Lac belles comme mille rivières au printemps, mille rivières qui n’arrêtent pas. Maudit Lac à marde ! Y’a pas de jeunes filles sur tes rives parfois dans le calme de tes eaux y’a des joncs, des quenouilles, des nénuphars. Mon Lac c’est pas un lac ordinaire c’est le père des lacs, a la langue la plus pure. Je dormirai sur tes eaux mon Lac me laisserai emporter par tes vents capricieux. Je n’aurai plus de rêve je serai en toi sur toi mon Lac.

Le Lac se montre comme il est à tout le monde dans sa vérité. Tes eaux me brûlent mon saudit Lac. Je deviens vaporeux et t’espère quand même. Saudit Lac ! Les vapeurs explosent comme au temps de… Ce qui me tue c’est le regard des gens. Je sais pas où est mon point de rupture là où tout se brise où ma vie chavire comme une embarcation ballotté sur toi, mon Lac. Ça sert à quoi de contredire le Lac, d’argumenter avec lui, il fait plus de vent que je peux en faire, grand maudit vent ça laisse un frisson ça dépeigne et après y’a plus rien je tombe à plat. Mais mon Lac tu t’en fous, y’a longtemps que tes enfants mangent plus de mets régionaux. Le Lac j’y vois plus le fond ni l’horizon. Je suis dans la brume.

Moi, le Lac, j’avais des rêves insensés. J’ai voulu te battre mon Lac devenir plus grand que toi m’étendre dans la vie aussi bien que toi. C’est pas ça qui est arrivé mon Lac, je suis resté qu’une goutte une goutte qui attend sur le comptoir d’être séchée. Tu vois mon Lac les métaphores à la va vite ça te donne pas ta place. C’est difficile de dire ce qui se dit pas sur le Lac les problèmes de consanguinité ces êtres déformés jamais vus. Les pur sang si belles qu’elles vous jettent à terre. Je suis à bout comme protégé dans une anse j’ai peur d’aller plus avant. Je veux des bateaux du vent et des hirondelles, je me suis trouvé un cap, je vois le Lac. J’ai écrasé un moustique rempli de sang mon pull est taché. J’entends les corbeaux, une scie mécanique. La gardienne du Lac lit Bel-air de Maupassant. Sur la plage dans la baie une porte moustiquaire claque, y’a des moutons sur le Lac. Je couche avec le Lac il m’enveloppe dans ses flots m’abrite comme avec un édredon. Je partirai, oui je partirai pour… Il me semblait bon le Lac je croyais que c’était une manière de s’en sortir je reste prisonnier. Pourquoi je me torture avec ce Lac maintenant si loin.

Toujours ce bleu, ce bleu profond à l’âme ce bleu qui ne guérit pas qui s’attache et se détache autour de moi, il part pour mieux revenir, me ramène ces maudits souvenirs. Ce bleu fugace comme un flash. C’est pas un voyage au Lac qui va régler le sentiment d’être enseveli sous les injures cette impression d’être rien pas même une goutte dans le lit du Lac. Le ciel est couvert je rame pendant qu’un autre écope. J’ai peur très peur. Mon histoire une histoire de canot brisé cassé sur le Lac déchaîné.

Le Lac se laisse sentir, observer, éblouit les yeux de ceux qui n’ont qu’un été au nord. Je me décourage le Lac, je me décourage de voir le bout de mon malheur. T’es ailleurs mon Lac, tes images mon Lac, ta nature me fait mal. J’irai me perdre saudit Lac. J’irai me perdre à ton large me perdre à ta féerie, me perdre tout court et ne jamais me retrouver. Mon Lac et ses épinettes, mon Lac sans érables. J’ai jamais su si les outardes s’arrêtaient au Lac. Je toucherais jamais le fond même lesté. J’y arriverais pas je serais mort avant. Mes eaux sont troubles et la terre est mouillée. Je souffrirai quand même près de toi mon Lac à se noyer dedans. Tout ce que je t’écris mon Lac c’est comme si c’était resté là, les odeurs de ferme, les saveurs aussi. Les feux de forêts avant les bleuets c’est pour ça que je brûle, je brûle pour mieux voir le bleu des eaux du Lac. T’a pas besoin de personne pour aller faire ricocher les galets. Je veux t’arracher de mon cœur t’es à cent lieues. Je veux me rapprocher de ma douleur. C’est top calme mon Lac, y’a pas de tempête, pas de grêlons juste des nuages qui passent comme de longues heures. Je cherche le Lac, je cherche… Le monde est arrêté, y’a rien plus rien que des nuages gris jusqu’à toi mon Lac, ça cafouille, ça crache, c’est que des sursauts mon Lac avant que je te laisse seul. Je t’arrache mon Lac, mon Lac à émotions moi si opaque je passe de rive en rive m’échoue et repars.

Lexique

eresoudre : arriver sans avertir
frais de baptistère : montant payé pour un certificat de baptême
d’adon : qui concorde, s’accorde
draveurs : personnes qui descendaient les billots de bois sur les rivières

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Brève évocation du Lac Saint Jean au Québec, en direct de Montréal downtown.

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