Cette présentation constitue l'acte de naissance de Hache, et a été écrite quelques jours avant sa création, soit en janvier 1996. Il s'agit d'une présentation littéraire, qui faisait alors office d'appel à la participation.
Céline -- Le... Le... Je vois le journal, un journal que je lis... (...) Eh bien, c'est un long prêchi-prêcha de bout en bout, n'est-ce pas... (...) Ce qu'il faut faire, ne pas faire, penser, ne pas penser... (...) Et je vous prie, dans la mesure où... Et cependant que... Et puis je vous prie, il y a ceci que... Il ne doit pas être pensé... (...) Enfin, vraiment, on est emmerdant, mais à en crever, n'est-ce pas... Quand vous avez lu ça, vous en tirez un agacement énorme, vous êtes irrité, vous le boufferiez, ce journal, tellement il est assommant de pédantisme...
Jean Guénot -- Mais c'est le classicisme français, ça !
Céline -- Ah ! oui, n'est-ce pas... On sait la vérité, alors... On la connaît... On y met de temps en temps une fantaisie... Ah ! une brève fantaisie de très bon ton, et puis on y ajoute une petite trouvaille... Où l'avez-vous trouvée, cette trouvaille ? Ah ! qu'elle est mignonne ! que c'est fin!... C'est étonnant... Ah ! quelle fine trouvaille !...
Entretien avec J. Guénot en 1960
(Cahier de l'Herne Céline, L'Herne, 1972)
Ce que l'Internet a, sans doute, de plus précieux, c'est les rencontres qu'il suscite et supporte, la manière dont des hommes et des femmes, proches par certaines facettes de leur esprit mais qui ne se seraient pas rencontrés autrement, s'y rencontrent, et y échangent des choses. Hache est ainsi voué à l'une de ces communautés éparpillées : celle de ceux qui ont un intérêt personnel pour la littérature, entendue d'une certaine manière, et sous sa forme francophone.
De quelle littérature s'agit-il ? Pas des petits chapelets de trouvailles qu'elle est pour certains ; pas plus d'une répétition nauséeuse du passé de la littérature par des gens anxieux de convaincre et de se convaincre qu'ils sont des écrivains...
Le jeu de la littérature n'en vaut pas la chandelle, si ça n'est pas un combat livré dans le langage, livré dans la joie ou l'effroi de l'esprit qui augmente sa liberté, son acuité, dans la joie ou l'effroi du corps plus vivant. Ce jeu peut être doux, drôle, brutal, obscène, amoureux, concret, théorique, las, joyeux, serein, désespéré, il est toujours plus libre que celui joué passivement dans le langage appris, assimilé et reproduit. Il s'y passe quelque chose. Il touche profond, descend tout droit, de l'écume verbale où il est joué, aux émotions, aux sensations, aux idées.
La joie ou l'effroi... Un esprit qui cherche à être plus libre ne sait jamais, en effet, ce qu'il va découvrir, et s'il vivra mieux où il se réveille que dans le rêve qui se termine. Découvrir l'étrangeté de son propre esprit en lisant Sade, devenir athée avec un peu de réflexion, deux manières exemplaires de perdre quelques illusions rassurantes. Voici pour la joie : Céline ; voici pour l'effroi : Kafka.
Et comment y joue-t-on, à ce jeu ? A chacun son style. A chaque texte son style. En parlant de la forêt du langage, quelqu'un a dit :
Il ne faut pas la parcourir par ses grandes allées, ni croire qu'on va produire, comme ça, la chansonnette du chemin qui ne mène nulle part... Il faut se munir d'une machette, et tailler.
(Jean-Christophe Bailly, parlant de Ghérasim Luca dans un entretien radio avec Alain Veinstein)
Voilà. Et une fois la langue brisée (celle donnée, qu'on parle et qu'on écrit partout), les branches qui tombent, les débris mêmes de cette langue sont récupérés pour en créer une autre. Voilà pour l'aspect technique : écrire ne pollue pas, c'est un recyclage.
A quoi bon ? Wozu Dichter, etc.? (Hölderlin*) Y'aurait-il une usure des représentations ? cesseraient-elles avec le temps de nous donner la réalité, comme une plaisanterie qui ne fait plus rire ? Peut-être. Mais assez de justifications ; pour quelque chose de plus concret, voyez une expérience personnelle.
En passant, mentionnons quelques tendances que Hache évitera d'illustrer : toutes les formes par nous identifiables de la niaiserie poétique, l'écriture blanche (celle qui est censée se faire oublier derrière la narration), les Lamanièredeux (Céline, À l'agité du bocal), la littérature interactive, la religion, les complications graphiques dans les pages web et autres formes du goût d'obscurcir.
Oh, une dernière chose : Vous vous sentez sérieusement atypique ? pas réellement écrivain ni poète ? vous pensez vos proses irrecevables parce que trop différentes ? Bien... Aiguisez peut-être encore un peu vos textes, appliquez-les à la peau dure de la pensée morte, et s'ils font le trou, contactez-nous. Hache ne diluera pas son caractère, et publiera l'impubliable.
JDP, 21 janvier 1996.
*Hölderlin : J'avais écrit Rilke à la place. C'est François Di Dio, créateur et directeur des éditions du Soleil noir, premier éditeur de Ghérasim Luca en France, qui, ayant trouvé Hache et lu ces pages, m'a fait remarquer que je m'étais trompé. Il est bien placé pour le savoir, ayant publié un volume collectif en 1978 sous le titre Wozu Dichter in dürftiger Zeit ? - À quoi bon des poètes en un temps de manque ? - Why poets in a hollow age ?, qui regroupe des réponses à la question-titre par des personnes comme Samuel Beckett, Allen Ginsberg, Bernard Heidsieck, Philippe Sollers, Christian Prigent... (près de 150 réponses) C'est de ce volume même, consulté une fois, que je m'étais (mal) souvenu de cette citation...
Ce site web est dédié à la mémoire de Ghérasim Luca, retrouvé mort dans la Seine en mars 1994. Ghérasim Luca est l'auteur de Passionnément, du Quart d'heure de culture métaphysique, et d'autres textes dont la plupart sont aujourd'hui publiés par la Librairie José Corti (11 rue de Médicis, Paris).
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